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« Bruges revendra Okereke pour 30 millions à un club anglais »

C’est en passant par la Belgique qu’il rejoindra le plus facilement l’Angleterre, estime David Okereke. Visite à La Spezia, qui a vu naître footballistiquement le nouvel attaquant des Blauw en Zwart.

Le gigantesque paquebot de croisière déverse, comme presque chaque matin durant les mois d’été, sa cargaison de touristes dans le port de La Spezia. Aujourd’hui, ce sont principalement des Américains qui prennent la direction du centre-ville. Certains choisissent d’aller découvrir Cinque Terre, les cinq petits villages à flanc de colline : en bateau ou à bord du train touristique.

Le soir, les terrasses du piétonnier sont prises d’assaut par tous les touristes de retour de leur excursion. La terrasse de la pizzeria Pepe Nero, elle non plus, ne désemplit pas. Ce restaurant, en plein centre-ville, était la saison dernière un lieu de rendez-vous très prisé de quelques joueurs de La Spezia.

David Okereke, le nouvel attaquant du Club Bruges, avait l’habitude de s’y attabler avec Emmanuel Gyasi, le Schaerbeekois Soufiane Bidaoui et Sveinn Aron Gudjohnsen (eh oui, le fils d’Eidur, ex-Chelsea, Barcelone, Club et Cercle, et petit-fils d’Arnor qui a joué pour Lokeren et Anderlecht dans les années 80).

Une des tribunes du stade est proche de la mer.
Une des tribunes du stade est proche de la mer.© stefano stradini

Vue sur mer

Pour se rendre à Cinque Terre, ou dans le village tout aussi idyllique de Portovenere, on passe devant le Stadio Alberto Picco, petit mais coquet, qui porte le nom du tout premier capitaine de l’équipe, qui a perdu la vie à 21 ans alors qu’il était soldat durant la Première Guerre mondiale.

La Spezia a remporté le titre au terme de la saison 1943-44, lorsqu’un championnat de guerre improvisé avait été organisé. Mais ce titre ne figure pas sur les palmarès officiels, parce que l’équipe n’a jamais évolué en première division. La Spezia est aussi la seule équipe à n’avoir jamais perdu en match officiel contre la Juventus, même si elle n’a rencontré la Vieille Dame qu’à six reprises.

La capacité du stade de La Spezia est de 10.000 places. Si le club devait accéder à la Serie A, elle devrait être portée à 17.000 places. C’est pratiquement irréalisable, avec les deux rues qui bordent les tribunes latérales, et la mer de l’autre côté du boulevard, derrière un but.

L’argent ne constitue cependant pas un problème. Le propriétaire Giuseppe Volpi, qui a repris le club en août 2008 après la faillite et qui a recommencé en quatrième division, est riche comme Crésus. Ce self-made man s’est rendu au Nigeria dans les années 70 et a investi dans l’extraction de pétrole off-shore.

Au départ, ce n’était pas une activité très lucrative, mais lorsque les prix du pétrole ont flambé en 1973 après la crise pétrolière, les choses ont changé. Aujourd’hui, le propriétaire de La Spezia habite carrément au Nigeria. Il a même échangé sa nationalité italienne contre un passeport nigérian.

Record de vente

Depuis que Volpi a repris le club en 2008, il y a investi 150 millions d’euros, affirme le directeur sportif Guido Angelozzi, qui revient d’un stage d’entraînement dans les Alpes. Angelozzi (64 ans) est ravi d’accueillir un visiteur belge. Logique : il vient de vendre un joueur pour un montant record de dix millions d’euros, le double du record précédent.

Avec, en plus, la vente d’un arrière gauche à la Sampdoria pour un million et demi d’euros, le propriétaire ne devra plus injecter d’argent au cours des deux prochaines années. Le directeur sportif reçoit son visiteur au centre d’entraînement des jeunes, très moderne.

L’ Intels Training Center porte le nom du fonds d’investissement nigérian (Integrated Logistics) du propriétaire Volpi. C’est ici, sur les terrains synthétiques, que David Okereke, a effectué ses premiers pas comme footballeur. Il logeait dans une petite maison toute proche avec quelques équipiers et déjeunait le midi dans le petit restaurant.

C’est le deuxième passage d’Angelozzi à La Spezia. Précédemment, ce Sicilien originaire de Catane a travaillé trois ans pour Sassuolo (« Je me souviens d’avoir eu de bons contacts avec Genk lors de nos matches d’Europa League « ) et aussi à Lecce et à Bari ( » Saluez Jean-François Gillet de ma part, un gars fantastisque).

La mission d’Angelozzi est de donner une nouvelle orientation sportive au club.  » Jadis, l’équipe comptait beaucoup de trentenaires. Aujourd’hui, ce sont presque tous des jeunes joueurs. Le problème, en Italie, c’est qu’on hésite à donner une chance aux jeunes. C’est ce que nous faisons aujourd’hui. Nous avons commencé la saison avec un gardien né en 1999. C’est exceptionnel, ici.  »

Prêt à Cosenza

La première chose qu’Angelozzi a faite l’an passé, à son retour, a été d’offrir un nouveau contrat à Okereke, qui revenait d’un prêt en troisième division à Cosenza, avec lequel il a fêté la promotion en Serie B. L’attaquant n’avait plus qu’un an de contrat, il en a reçu trois de plus.

 » Je croyais en lui. Le nouvel entraîneur était plus hésitant, mais nous avons décidé de lui donner pleinement sa chance.  » Avant cela, le jeune Nigérian avait eu du mal à faire son trou à La Spezia. La concurrence était grande à l’avant. En 2017-2018, l’attaquant de pointe était Alberto Gilardino, ex-international et ancien joueur du Bayern Munich et de la Fiorentina. Okereke devait se contenter de quelques apparitions.

Durant cette saison 2017-2018, l’entraîneur était Fabio Gallo. Deux ans plus tôt, il avait été le tout premier entraîneur du Nigérian à La Spezia, lorsque Okereke jouait avec la Primavera, l’équipe Espoir.

 » Lors de son arrivée, David était encore un garçon timide, mais bien éduqué, courtois et avide d’apprendre « , se souvient l’entraîneur qui est aujourd’hui en charge de Ternana, en troisième division.

 » Il s’est illustré une première fois au Tournoi de Viareggio, où il a inscrit cinq buts, dont deux en demi-finale contre la Juve, dans un stade plein. Mais la concurrence de Gilardino était trop rude en équipe Première. Lorsqu’on a parlé d’un prêt à Cosenza, je l’ai appelé dans mon bureau et je lui ai dit que même si ce serait compliqué, il devait passer par là. Je savais que ce prêt lui permettrait de progresser. Et cela s’est confirmé.  »

A bonne école

Lors de son retour, on s’est vite aperçu que le jeune Nigérian était devenu un autre homme, en six mois. Plus solide mentalement, plus fort physquement.  » J’ai moi-même été étonné des progrès qu’il a réalisés « , dit Gallo. Le nouveau système de jeu mis en place par l’entraîneur Pasquale Marino offre la possibilité d’aligner trois attaquants.

 » David peut jouer sur tout le front de l’attaque mais sa meilleure place est sur un flanc « , affirme Gallo. Il ajoute :  » S’il y a un point qu’il doit encore travailler, c’est de garder son sang-froid devant le but. Il parviendra toujours à se créer des occasions, mais il doit mieux les concrétiser.  »

De retour de son prêt à Cosenza, l’attaquant est ravi de voir son contrat prolongé et de ressentir la confiance du nouvel entraîneur. Le fait que l’attaquant bulgare Andrey Galabinov se soit rapidement blessé l’a aussi aidé à se faire une place. C’est l’entraîneur Pasquale Marino, un homme d’expérience qui est un jour allé s’imposer 0-2 au Borussia Dortmund de Jürgen Klopp en Europa League, qui a offert une chance à Okereke.

Marino adopte généralement un système de jeu peu usité en Italie (le 4-3-3) et il a la réputation de rendre ses joueurs meilleurs. A l’Udinese, sous sa direction, de nombreux joueurs se sont épanouis, comme Alexis Sanchez, mais aussi Fabio Quagliarella, encore meilleur buteur italien la saison dernière à 37 ans avec la Sampdoria, et Toto Di Natale qui a inscrit 191 buts en 385 matches pendant 12 ans à l’Udinese et qui a la particularité d’avoir un jour refusé une offre de la Juventus.

© stefano stradini

L’an passé, Marino a fait venir Toto Di Natale à La Spezia, où il a travaillé comme entraîneur des attaquants. Lorsqu’un homme d’un tel palmarès et d’une telle expérience parle, un jeune Nigérian ouvre forcément les oreilles. Et s’efforce d’appliquer ses conseils, même lorsque Di Natale lui explique qu’un attaquant ne doit pas forcément entrer avec le ballon dans le but. Tirer à distance, c’est bien aussi.

Pas de danse

Après les entraînements, le jeune Nigérian reste souvent sur le terrain pour s’exercer aux conseils que lui donne le vieux renard. Et cela paie. Une période sombre, cependant. Lorsque Okereke commence à percer, après le Nouvel An, quelques clubs (Livourne et Benevento) déposent plainte parce qu’ils ont entendu que le Nigérian serait arrivé trop jeune en Italie. Finalement, l’enquête a démontré que le club n’avait rien à se reprocher dans cette affaire.

Angelozzi :  » Lorsque David a débarqué ici, il était déjà bon, mais le problème était qu’il ne marquait pas. Selon moi, il pourrait encore progresser de 30% dans ce domaine. Il doit aussi encore apprendre à tenir 90 minutes au même rythme. Parfois, il a encore des moments d’absence. Mais il est toujours à l’écoute, et c’est un travailleur. Un bon gars, aussi. Lorsqu’il a signé son premier contrat professionnel, il a directement acheté une maison pour sa famille au Nigeria. Et lorsque le transfert s’est concrétisé, il nous a téléphoné, à l’entraîneur et à moi, pour nous remercier.  »

L’absence d’Okereke se fait déjà sentir dans la maison qu’il partageait avec Emmanuel Gyasi. Les deux garçons cuisinaient à tour de rôle, explique le Ghanéen né à Palerme. Okereke préparait des plats de riz à la nigériane, assez pimentés.  » C’est désormais ma petite amie qui cuisine « , sourit Gyasi.

Les deux joueurs étaient inséparables, sur le terrain comme en dehors. Ils adoraient tous les deux la musique. A la maison, ils s’exerçaient à quelques petits pas de danse, qu’ils se promettaient de réaliser sur le terrain lorsque La Spezia marquait, explique Gyasi. Le sourire d’Okereke lui manquera.

 » David était toujours positif. Même dans les moments difficiles qu’il a traversés comme footballeur, il n’a jamais perdu confiance en lui. Et il était toujours prêt à aider les autres.  »

Molto generoso

Nyasi ne doute pas de la réussite de son copain.  » Je suis sûr qu’il ne tardera pas à devenir très populaire auprès des supporters du Club.  » Le directeur sportif Angelozzi voit même plus loin :  » Je verrais bien David en Premier League, plus tard. Je pense que Bruges parviendra à le vendre pour 25 ou 30 millions. C’est un attaquant moderne et complet, bon de la tête, rapide, bon finisseur également. Chez nous, il a inscrit 11 buts, dont un seul penalty, et a délivré 12 assists. Il travaille aussi pour l’équipe : molto generoso. Je suis persuadé qu’il inscrira entre 15 et 20 buts pour le Club. « ‘

 » Bruges et Sassuolo offraient la même somme.  »

Le Standard s’était déjà manifesté en hiver, mais le tout premier club qui s’est intéressé à David Okereke, à la grande surprise du directeur sportif Guido Angelozzi, était la Juventus.  » La Vieille Dame voulait l’incorporer dans son équipe de U23 qui joue en troisième division italienne. Genk s’est aussi intéressé à Okereke en janvier, tout comme Southampton. Les Anglais sont même venus ici pour discuter, et ils ont aussi parlé à David. Mais comme il n’avait pas encore joué en équipe nationale A, il n’a pas obtenu de permis de travail pour l’Angleterre.  »

Toujours en janvier, l’ancien club d’Angelozzi, Sassuolo, a aussi frappé à la porte.  » Mais nous ne voulions pas nous en séparer durant l’hiver. Au début de l’été, Sassuolo s’est représenté, tout comme Genk. L’offre de Sassuolo était supérieure. Alors que les négociations traînaient, Bruges est entré dans la danse. Vincent Mannaert est directement venu à Milan, où le marché des transferts italien est centralisé. En trois jours, tout était réglé.  »

D’autres clubs ont pris contact avec Angelozzi : Genoa, Cagliari, Fiorentina et Udinese. Genk ne s’est plus manifesté dans le sprint final, affirme Angelozzi.  » Les Limbourgeois ne voulaient pas donner plus de six millions. Mais Sassuolo offrait déjà dix millions, à ce moment-là. Lorsque Bruges est venu aux nouvelles, nous savions à quelle hauteur nous devions placer la barre. En fin de compte, Sassuolo et Bruges ont formulé la même proposition : dix millions.  » Pourquoi le choix d’Okereke s’est-il porté sur la Belgique ?  » C’est simple : David voulait à tout prix partir à l’étranger. Il pensait qu’à partir de Bruges, il rejoindrait plus facilement l’Angleterre.  »

David Okereke à son époque italienne.
David Okereke à son époque italienne.© stefano stradini

 » David s’entend bien avec tout le monde  »

A La Spezia, David Okereke formait l’an passé un duo offensif avec Emmanuel Gyasi à droite et Soufiane Bidaoui à gauche. Tous les trois ont beaucoup appris de l’entraîneur des attaquants, Antonio Di Natale, affirme Bidaoui, le Bruxellois de 29 ans qui a atterri en Italie en 2013 après avoir joué dans les équipes de jeunes d’Anderlecht, à Diegem, à Westerlo et au Lierse.

Avant son arrivée, l’an passé, il ne connaissait pas Okereke, mais ils sont rapidement devenus amis.  » Je le conduisais à l’entraînement et je le ramenais chez lui, car il n’avait pas encore de permis de conduire. Nous formions une petite bande de copains, avec aussi Gudjohnsen et Gyasi, mais David s’entend bien avec tout le monde. C’est un gagneur. Lorsqu’il jouait un mauvais match, il était de mauvaise humeur.  »

Bidaoui n’a pas tardé à comprendre qu’Okereke ne ferait pas de vieux os à La Spezia.  » Parfois, on sentait qu’il avait beaucoup de pression sur ses épaules, lorsqu’il savait que des scouts avaient pris place dans la tribune. Il m’a demandé quel genre de club était le Standard. Les Rouches l’intéressaient. Mais Bruges s’est montré le plus prompt. Les défenseurs tremblent à la simple idée de devoir l’affronter. Il est tellement rapide. Si on le perd de vue ou qu’on perd le ballon, il est parti et on ne le revoit pas.  »

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