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Braine, Lens, Londres, Waregem: itinéraire de l’homme qui s’est fait un prénom

« Ici, vous êtes vraiment dans le fief des Hazard. » C’est par ces mots que Claude Masure, président des jeunes du Stade Brainois, reçoit au Sans Fond. Assis dans la buvette où des fauteuils rouges, qui semblent tout droit sortis d’un cinéma, font office de business seats, vestiges du glorieux passé en Promotion d’un club qui se bat à présent pour sa survie en P1 hennuyère, l’homme évoque la plus célèbre famille de Braine-le-Comte.

Par Guillaume Gautier

« Là, derrière le point de corner, vous avez leur maison » dit-il. Il suffisait donc à Thorgan de franchir la barrière du fond du jardin pour fouler le rectangle vert du club local. Une pelouse qu’il n’a jamais arpentée en match officiel, les jeunes du Stade Brainois étant cantonnés au complexe situé plus loin dans le village. C’est donc là-bas que Thorgan, tout juste affilié au club, a véritablement commencé le football.

Son premier entraînement était aussi un baptême du feu pour Michaël Marcou, qui prenait alors en mains les diablotins brainois : « Thorgan ne pouvait pas encore jouer en diablotins. Il était un an en dessous et donc, il jouait avec des enfants un an plus vieux », se souvient celui qui, après avoir jonglé entre les rôles de coach et de baby-sitter, est devenu si proche de la famille Hazard que « Thierry dit souvent qu’il a cinq enfants et que je suis le plus grand. »

Thorgan et l’autre

À l’époque, déjà, Thorgan n’échappe pas à la comparaison. Eden a deux ans de plus, et impressionne depuis ses premiers dribbles : « Thorgan chaussait à peine les crampons que c’était déjà ‘tiens, c’est le petit frère de l’autre, on va voir s’il est aussi fort’. Et il faut dire que Thorgan ne faisait pas tache puisque pendant toute la saison, on n’a jamais pu voir qu’il avait un an de moins. Sauf par sa taille, parce qu’il était petit. »

Le petit Thorgan se fond dans le moule pendant que son frère « fait déjà la différence avec des enfants un ou deux ans au-dessus de lui », poursuit Michaël Marcou. Pourtant, la comparaison n’effraie pas le cadet, sans doute grâce à des parents « qui ont toujours voulu les guider sans que l’un fasse de l’ombre à l’autre », explique Claude Masure.
Au rayon des différences entre les frangins, Marcou pointe l’attitude à l’entraînement : « Eden, c’est presque scandaleux à dire, mais il n’a quasiment pas besoin de travailler, il est très très fort. Thorgan a dû travailler plus qu’Eden pour en arriver là. Il a toujours été très mature pour son âge, et c’est un bosseur. »
Thorgan termine ses années de diablotin au Stade Brainois, avant de rejoindre Tubize en même temps qu’Eden. Les deux frères débarquent chez les Sang et Or dans la foulée de leur père, Thierry, qui y devient coordinateur des jeunes.

Directement, Eden est surclassé, tandis que Thorgan poursuit son apprentissage avec des garçons de son âge. Il faut dire que la pépinière du stade Leburton a du talent à revendre, et que Thorgan ne sort pas spécialement du lot dans un groupe qui affronte souvent les Anderlecht, Standard ou Bruges en tournoi sans jamais être ridicule.

Eden décolle à la verticale et s’envole très vite pour Lille. Son frère devra attendre un peu plus longtemps pour franchir la frontière. Marc Westerloppe, ancien recruteur pour le RC Lens, raconte à Nord Éclair sa première rencontre avec Thorgan : « Un agent m’a appelé, en me disant qu’il s’occupait de deux frères dont l’un était au LOSC, Eden Hazard. Il me dit que son petit frère a du talent. Il avait treize ans. Et j’ai vu effectivement un très bon joueur, qui savait faire des gestes de grand talent. »

Frère de Lens

Lens est séduit par ce Sang et Or à la sauce belge, et le coup de foudre est réciproque, se rappelle Michaël Marcou : « Lens s’est présenté en disant qu’ils étaient intéressés. Thorgan entend ça et fatalement, il était motivé. Tout le monde connaît la qualité de leur centre de formation. Et puis bon, ça avait été oui pour Eden, donc il n’y avait aucune raison que ce soit non pour Thorgan. »

À quatorze ans et demi, Thorgan Hazard signe donc un contrat de sport/études avec le RC Lens. Certes, la maison familiale n’est qu’à une bonne heure de route, mais l’adolescent se retrouve livré à lui-même, quittant seulement le centre de formation lensois, pour se rendre à l’école en ville, dans l’un des lycées qui travaillent en partenariat avec le club. Heureusement, Lille et Eden ne sont qu’à quarante kilomètres de là, et les deux frères peuvent rester aussi proches géographiquement que dans la vie.

Thorgan partage sa vie d’interne entre des terrains où, décalé sur le côté gauche après des années dans l’axe, il brille au milieu de Raphaël Varane et Geoffrey Kondogbia, les autres fleurons de la génération 93, et les bancs de l’école où il est « bien appliqué » selon Marcou, qui ajoute qu’il fallait « beaucoup moins stresser pour lui que pour Eden à ce niveau-là ».
Si le plus jeune des deux ch’tis belges du nord voit la comparaison scolaire tourner à son avantage, les premières performances de son frère avec l’équipe fanion du LOSC lui renvoient l’étiquette de « frère de » en plein visage, et les désagréments qui vont avec. À la Gaillette, le centre de formation lensois, certains bruits de couloir évoquent une mentalité de gamin et un statut injustifié uniquement dû à son nom. Interrogé par la DH en février dernier sur son ancien équipier, Varane parle, lui, d’un joueur qui faisait « pas mal de petites conneries. Il essayait toujours de faire le fayot mais à chaque fois, il se faisait griller par les coaches. C’est un filou. »

Visiblement, c’est plutôt le côté bon camarade de Thorgan qui l’emporte. Avec Varane, Kondogbia et les autres, il gravit les échelons des équipes d’âge lensoises. Une progression qui le mène entre les mains de Bob Browaeys, coach de Thorgan en équipe nationale des U15 aux U17, et qui évite le piège dans lequel une bonne partie de la France est en train de sauter la tête la première.

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A Lens, le parcours d’Hazard se peint en demi-teinte. En fin de saison, le bilan n’est pas très reluisant : Hazard a joué quatorze matches, ou plutôt bouts de matches, et n’a signé qu’un malheureux assist pour le compte des Sang et Or. Les supporters commencent à gronder, se disent qu’ils ont hérité du « mauvais frère », même si les qualités de Thorgan sautent aux yeux. Malgré l’insistance de Lens et du directeur technique Antoine Sibierski pour garder Hazard à Bollaert, les choses sont claires pour la famille : il faut sortir Thorgan de là.

Plusieurs pistes sont envisagées, un rachat du contrat de Thorgan par Eden est même évoqué, raconte Michaël Marcou. Et puis, Eden signe à Chelsea, et embarque son frère avec lui. D’emblée, le monde du foot crie au transfert diplomatique. « S’il ne s’appelait pas Hazard, il ne serait pas un joueur de Chelsea » analyse le Bleacher Report. Thorgan ne serait donc là que pour faciliter l’acclimatation d’Eden dans un club désireux de ne plus revivre le fiasco Hernan Crespo. Débarqué à l’été 2003 contre 26 millions d’euros, l’Argentin a déprimé dans le brouillard londonien, et ses buts ont rapporté à peine plus d’argent que son départ pour 0 livre cinq ans plus tard.

Chelsea, le Essevee et les Diables

Hors de question qu’une telle mésaventure se reproduise avec Eden. Le club met toutes les chances de son côté, et tant pis si Roman Abramovitch doit cracher un million supplémentaire pour faire venir le frangin à Londres. Transfert diplomatique, donc. Michaël Marcou confirme : « Il est clair que si Eden ne va pas à Chelsea, ils ne vont pas chercher Thorgan. »

Sorti de l’engrenage lensois, Thorgan Hazard dispute quelques matches avec la réserve des Blues avant de songer à un prêt. On évoque un retour en France, deux ou trois touches concrètes avec des clubs de D2 anglaise mais, à la surprise générale, c’est le stade Arc-en-Ciel de Zulte Waregem qui voit débarquer Hazard.

La Belgique est sceptique : de François Kompany à Jordan Lukaku, on lui a déjà vendu beaucoup d’histoires de petit frère plus fort, et il n’y a qu’avec les Mpenza que ça a marché. Mais pendant que tout le monde joue à la comparaison, un homme voit plus loin : c’est Francky Dury. Et le Sir Alex Ferguson du Essevee tape dans le mille.
« Zulte Waregem, c’était le bon choix. Dury l’a vu comme un joueur à part entière, et pas seulement comme le frère de l’autre », souligne Jean-François Rémy. Bob Browaeys pousse l’analyse plus loin : « Francky Dury est l’entraîneur idéal pour un jeune qui doit encore apprendre. Cette période de deux ou trois ans, c’est l’étape la plus difficile : le joueur doit prester, pour le club et ses supporters, mais il doit aussi se développer en faisant des erreurs. Dury lui laisse cette liberté de faire des erreurs, tout en lui expliquant encore des détails sur le plan tactique. »

Thorgan trouve très vite sa place dans un groupe qui mêle la fougue des Bruno Godeau, Junior Malanda et Bryan Verboom avec l’expérience des Davy De fauw, Mbaye Leye ou Franck Berrier. Des ingrédients qui se mélangent parfaitement pour la meilleure recette de l’histoire de Zulte Waregem.

Au fil des matches et des performances de plus en plus spectaculaires, Hazard n’est plus seulement un frère, comme l’explique Davy De fauw à BeDiables.be à l’aube des Playoffs : « Maintenant, les journalistes ne viennent plus pour parler de son frère, ils viennent d’abord pour parler de lui. »

La comparaison ressurgira toutefois en fin de saison, à l’occasion d’un stage de l’équipe nationale aux États-Unis auquel Marc Wilmots convie Thorgan Hazard. Pour la première fois de leur carrière, les deux frangins évoluent dans le même groupe. Ils n’auront pas la chance de fouler la pelouse américaine de concert, la faute à une blessure qui a également privé Eden de finale d’Europa League, mais tous deux s’accordent à dire que ce n’est que partie remise.

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