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Bosnie-Belgique: nuit de boue

Guillaume Gautier
Guillaume Gautier Journaliste

Analyse de la victoire des Diables rouges en Bosnie.

Le décor est tellement travaillé qu’il mérite presque un Oscar. Tous les ingrédients d’une embuscade en territoire ennemi sont de la partie : la pluie est si dense qu’on s’attend à voir une arche débarquer d’un moment à l’autre pour sauver les derniers rescapés. Le terrain est un bourbier, jonché par endroits de quelques dunes irrégulières, bien plus adapté au physique exubérant des soldats bosniens qu’au football raffiné de la Belgique des petits formats et des passes redoublées. Et pour couronner le tout, le public fait monter la bande-son en couronnant une ambiance maison dans laquelle les Bosniens n’ont pas encore encaissé le moindre but depuis le début des qualifs.

Dans le rôle du grand méchant, la Belgique retrouve Edin Dzeko, qui a fait des Diables une de ses victimes préférées avec cinq buts en cinq matches. La Bosnie joue son avenir, face à des Belges qui sont presque face à un match amical. Tous les feux sont au rouge pour une sélection dont le manque de grinta et de souci pour la chose nationale font souvent la Une des journaux. La critique est prête à s’abattre, et à pointer du doigt le manque d’envie, l’absence de Radja Nainggolan, les failles de la défense à trois ou la titularisation de Thomas Vermaelen.

Hazard dans la boue

Sur une pelouse qui prête plus au combat de boue qu’au match de football, la Belgique décide malgré tout d’installer son jeu. La tâche est facilitée par des adversaires qui décident de ne pas presser jusqu’à Kevin De Bruyne, tranquillement installé face au jeu pour distribuer les rôles depuis le rond central. L’idée de nos hôtes est claire : attendre que le ballon arrive dans les pieds de nos éléments offensifs, servis dos au jeu dans les trente derniers mètres, et profiter des contrôles rendus capricieux par le terrain pour récupérer le ballon, avant de l’envoyer le plus vite possible vers Dzeko et Visca, caution « vitesse » du secteur offensif local.

L’échec est total. Parce que la Bosnie a établi un plan dans lequel Eden Hazard est un joueur comme les autres. Mais quand le capitaine des Diables prend le ballon, c’est comme si le bourbier se transformait en billard. Avec son pied droit en guise de baguette, Eden joue les magiciens, avec son assistant Yannick Carrasco pour compléter le numéro. D’un ballon anodin reçu dos au but après quatre minutes, le Colchonero invente un dribble, et lance une action conclue par Thomas Meunier au bout d’un double une-deux avec un Hazard aérien. Même quand il est boueux, le chemin des filets installé par la nouvelle Belgique passe toujours par les côtés.

Parce qu’il est la cause principale de ce 3-4-2-1 installé par Roberto Martinez, le 10 des Diables se promène avec un passe-partout, qui lui ouvre les portes de toutes les zones du terrain. Souvent, Eden se rapproche de Dries Mertens pour créer des surnombres, surcharger un flanc avec Meunier et Marouane Fellaini, et transformer la supériorité numérique en situation dangereuse. La première demi-heure n’est que belge, et il ne manque qu’un peu de présence d’un Michy Batshuayi dévoré par ses gardes du corps pour couper victorieusement un centre parfait de Carrasco.

La Bosnie sans jouer

La maîtrise est stérile, mais impressionnante. Fellaini, Hazard et Vermaelen dissuadent les initiatives adverses, chacun à leur manière. Marouane régule le trafic aérien pour faire atterrir les longs ballons bosniens, Eden dissuade toute tentative de pressing avec un coup de rein qui multiplie les fautes provoquées, et Thomas empêche le ballon de vivre dans les pieds de Dzeko. Une colonne vertébrale qui se froisse à la demi-heure, quand Felly tient son genou avec le regard fixé vers son banc.

Avant même que Leander Dendoncker puisse réaliser qu’il est sur le terrain, le marquoir s’est renversé. Une partie de billard animée par Dzeko et conclue par Medunjanin, puis un ballon anodin mal estimé par Jan Vertonghen offrent aux locaux un avantage qu’ils n’osaient même plus imaginer. La Bosnie n’a toujours pas joué au football, mais elle mène 2-1 en rentrant aux vestiaires, grâce à une double apparition d’Asmir Begovic devant un Batshuayi opportuniste et un Vermaelen maladroit. En l’absence de Miralem Pjanic, l’équipe locale est plus que jamais celle de Dzeko : celle d’un football qui n’a pas besoin de participer aux actions pour marquer des buts.

Réputé pour sa confiance démesurée en ses titulaires, Roberto Martinez sort alors un deuxième changement de son costume embourbé. Il reste encore 45 minutes à jouer, et l’homme qui ne change jamais son onze de base envoie sur le banc un Dries Mertens incapable de rivaliser avec Hazard dans la maîtrise technique, pour installer Youri Tielemans dans la salle des machines et pousser De Bruyne plus près du but adverse.

Carrasco dans l’espace

Youri met directement un pied sur le ballon, et rentre dans le match à pieds joints. Son premier dribble au milieu de la boue débouche sur un centre de Meunier, repris hors-cadre par Batshuayi. Trop souvent hors-jeu, trop rarement bien placé, Michy est tout de même là juste avant l’heure de jeu pour anticiper un ballon repoussé de Begovic, presque un pléonasme.

Tout était parti de Yannick Carrasco, auteur d’un solo supersonique comme il les aime. Plus les jambes s’embourbent, plus les lignes s’étirent, et plus le match devient celui du soldat de Diego Simeone. Ses chevauchées balle au pied profitent d’un espace qui grandit sans cesse pour multiplier les situations dangereuses, et la confiance grandit tellement qu’une reprise de volée ratée sur un corner de Kevin De Bruyne finit en passe décisive pour un Vertonghen opportuniste.

Rendu bougon et maladroit par un terrain qui l’empêche même de conduire le ballon sereinement, KDB n’est pas dans un grand jour. C’est sans doute pour cela que Martinez l’a fait passer du rôle de créateur de jeu à celui d’inventeur d’occasions, où il brille même dans les jours sans. Car d’une balle parfaitement déposée dans la course de Meunier, De Bruyne aurait pu être à la base du quatrième but belge si Batshuayi n’avait pas perdu son duel yeux dans les yeux avec Begovic. Même un mauvais KDB crée au moins trois occasions par match.

L’habitude de la victoire

La Bosnie dépose tous ses jetons sur la table, quand Vedad Ibisevic rejoint Dzeko en pointe, mais c’est encore la Belgique qui gaspille quand Meunier, lancé par un Hazard toujours roi du terrain, sert De Bruyne en retrait. Le centre du rouquin est croqué par la gourmandise de Batshuayi, hors-jeu, alors que Carrasco attendait le ballon pour planter le but du K.-O.

Un contre, un tacle litigieux sur Yannick et un corner plus loin, la Bosnie nourrit encore un marquoir en pleine crise de boulimie. Plombée par ses erreurs individuelles, la défense belge prend autant de buts en 90 minutes bosniennes que lors des 720 minutes précédentes. Le revers de la médaille étincelante d’un secteur offensif gargantuesque, attaque la plus prolifique d’Europe. Aucun système de jeu n’est parfait, et celui de Roberto Martinez a pour philosophie de marquer un but de plus que l’adversaire.

Ce but-là, c’est évidemment Yannick Carrasco qui finit par le marquer. Servi par Meunier, signe d’un système de jeu où les défenseurs du couloir sont souvent les meilleurs attaquants, le soliste de l’Atlético offre aux Diables une victoire de talent et de caractère. Même quand elle n’a plus grand-chose à gagner, la Belgique gagne quand même. Simplement parce qu’elle en a pris l’habitude.

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