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Belgique-Portugal: dans le jardin de l’ogre (analyse)

Guillaume Gautier
Guillaume Gautier Journaliste

Retour tactique sur la victoire des Diables rouges contre le Portugal en huitièmes de finale de l’EURO (1-0).

Il suffit de quelques regards. Celui d’Eden Hazard, orphelin de ses airs rieurs, à quelques mètres d’un Cristiano Ronaldo dont les yeux sombres semblent déjà chercher les filets belges. Deux indices pour une preuve, celle que le tournoi n’est plus le même. Les matches deviennent des duels sur un quai de gare, lors d’un voyage où chaque station peut se transformer en terminus.

La Belgique fait face à l’une des plus fines gâchettes de l’histoire. Cristiano Ronaldo, c’est le ténor de ces matches où les projecteurs brillent plus fort que de coutume. Le seul homme à avoir marqué dans trois finales de Ligue des Champions. Le Diable regarde devant lui, et il voit un ogre. C’est sans doute pour cela qu’il décide de jouer avec des rétroviseurs.

Comme si Roberto Martinez avait laissé ses idéaux au vestiaire, les Belges se présentent sur la pelouse avec un plan qui semble accorder plus d’importance au risque de perdre le ballon qu’aux vertus de le faire circuler. Là où la Belgique avait trouvé comment attaquer le Brésil, elle donne aujourd’hui l’impression de chercher à souffrir le moins possible. Est-ce parce que se dégarnir est le meilleur moyen d’éveiller l’ogre, ou parce qu’avec la balle, le jeu du Portugal a la consistance d’un somnifère?

PORTES ET COURANTS D’AIR

Le round d’observation se joue comme s’il ne devait jamais prendre fin. Une forme d’éternel sommeil que tente d’agiter Axel Witsel quand il sort presser jusqu’aux pieds de Pepe, sans susciter un élan collectif. On dirait une partie de cartes où tout le monde passe son tour. Le premier atout déboule dans les pieds de Renato Sanches, qui contourne Youri Tielemans et alerte un Diogo Jota dont la frappe s’envole loin des buts de Thibaut Courtois.

La suite est timide, comme un match où on tenterait de transpercer un coffre-fort avec une punaise. Puisque tout le monde pense plus à éviter la contre-attaque qu’à créer l’offensive, les tirs de loin et les audaces individuelles sont les rares péripéties d’une première demi-heure aux jambes qui hésitent. Pepe fait parler les muscles en envoyant Romelu Lukaku au tapis, Thomas Vermaelen désoriente Cristiano Ronaldo dans la circulation aérienne, et personne ne profite des portes qui s’ouvrent par crainte de subir les ravages du courant d’air.

Très axiaux, dans le dos de Sanches et João Moutinho, Eden Hazard et Kevin De Bruyne ouvrent des chemins pour Toby Alderweireld, mais le Portugal se regroupe pour créer un embouteillage axial et ouvrir le trafic dans les couloirs. Thomas Meunier est le plus enthousiaste, mais aussi le moins précis des Diables, bouclant le match avec seulement 66% de passes réussies.

DUEL DE COGNEURS

Le match s’anime sur une faute, la première d’un Vermaelen si impressionnant qu’il pourrait faire croire que la J-League est un grand championnat. Cristiano Ronaldo trouve les gants de Courtois au bout d’un coup franc puissant, João Pahlinha s’accroche au maillot de Lukaku et Renato Sanches dépose tout le milieu belge en deux coups de reins. La différence de rythme de chaque prise de balle du Lillois est telle qu’on croirait voir un enfant courir dans le jardin d’une maison de repos, mais la reconversion portugaise ne donne qu’un corner, le premier d’un match décidément sous scellés.

Un ballon hasardeux et un duel musclé plus loin, la Belgique obtient un coup franc à la lisière de sa surface, et l’amène en trois passes jusqu’aux pieds de Thibaut Courtois. Attiré par l’odeur des filets, Ronaldo sort au pressing et le gardien belge répond avec un dribble, seulement le quatrième réussi par les Diables. Bernardo Silva est éliminé par le triangle complété par Tielemans et Jan Vertonghen. Au bout du jeu long d’un Sterke Jan salutaire (douze passes réussies vers le tiers offensif, largement le meilleur Belge en la matière), Lukaku résiste à un Ruben Dias pourtant colossal. L’action se poursuit via De Bruyne, Meunier puis Thorgan Hazard, qui envoie un projectile insaisissable percuter les filets de Rui Patricio (1-0). Ce sera la seule frappe cadrée des Diables, qui ne sauront jamais tirer depuis l’intérieur de la surface portugaise.

La mi-temps se termine, et seul le score a changé. Devant la défense belge, un Axel Witsel omniscient lit toutes les trajectoires qui échappent à ses défenseurs, pendant qu’un Pahlinha encore dépassé abîme la cheville de Kevin De Bruyne pour éviter que le Diable alourdisse l’addition. KDB ne remontera sur le terrain que pour la forme, et sa sortie coïncide avec l’entrée dans un nouveau chapitre du match.

EDEN LE SABLIER

Le marquoir conditionne les plans de jeu, mais chaque équipe manque d’un ingrédient pour assaisonner la rencontre. En percussion sur une défense regroupée, le Portugal manque du profil le plus Portugais qui soit, celui d’un ailier capable de faire des dégâts balle au pied. Organisée et cynique, la Belgique souffre de l’absence de ce De Bruyne qui fait d’elle la championne du monde de la contre-attaque. La suite n’est donc qu’une histoire de frustrations.

Parce que Dries Mertens est monté au jeu pour confirmer que le plan belge regarde plus ses talons que l’horizon, et que Fernando Santos ne tarde pas à sortir l’artillerie lourde en envoyant Bruno Fernandes et João Félix sur la pelouse, le Diable ne peut désormais plus que se battre pour espacer ses périodes de souffrance. La Belgique a besoin d’Eden Hazard, et le capitaine comprend le message. Muet en première période, le numéro 10 sort la boîte à miracles. Fautes provoquées, passe en chandelle transformée en grand pont, passage entre deux hommes ou crochets à toute allure: Hazard n’a plus les buts, mais conserve le jeu d’un homme qui secoue un sablier pour faire passer le temps plus vite. Huit dribbles tentés, cinq réussis, et de précieux instants à se remplir les poumons avant un retour en apnée.

Le danger portugais revient toujours, parce que le corps de Ruben Dias est un boomerang éduqué pour défendre à hauteur du rond central sans jamais concéder d’occasions. Parti faire des différences côté gauche, Renato Sanches chamboule l’organisation défensive belge, mais ses centres n’arrivent jamais chez un Cristiano Ronaldo qui les préfère venus de droite. C’est donc Félix qui réchauffe les gants de Courtois d’une tête décroisée à l’heure de jeu.

NETTOYEURS DE SURFACE

La Belgique prend l’eau, mais ne se noie toujours pas. Santos insiste, et jette les 30 buts cette saison d’André Silva dans le grand bain. Avec lui, Ronaldo, Fernandes et Félix, le secteur offensif portugais facture 105 roses plantées dans les pelouses des quatre grands championnats cette saison. La première vraie situation chaude du money-time part pourtant du front de Ruben Dias, qui smashe un corner de Bruno Fernandes à portée des gants d’un Courtois imperturbable.

Passés à trois derrière dans un match où les coups bas sont plus nombreux que les hautes envolées, avec la bénédiction d’un arbitre qui aime laisser l’avantage en oubliant très vite la faute initiale, les équipiers de Ronaldo cherchent leur phare dans la surface belge. Une zone merveilleusement gérée par une défense nationale qui sort treize ballons de sa zone de vérité lors du dernier quart d’heure. Guerreiro trouve le poteau au rebond d’un centre repoussé par Vertonghen, et la chance vient encore au secours d’un Courtois bien sorti à la rencontre d’André Silva sur un ballon dévié par le front de Ronaldo.

À l’autre bout du terrain, les contres belges ne punissent pas l’audace adverse, malgré des reconversions souvent menées en nombre. Quand Hazard doit quitter la pelouse blessé, Lukaku endosse le costume du sablier et Yannick Carrasco celui du slalomeur. La dernière sortie belge, menée par le Colchonero, est pourtant presque plus dangereuse pour Courtois que pour Patricio, mais la frappe de Félix sur la reconversion finit dans le petit filet. Un duel gagné par Meunier plus tard, la Belgique se congratule pendant que Cristiano Ronaldo envoie son brassard au sol. Absent du jeu, le Diable a maîtrisé sa surface contre le meilleur homme de surface au monde, qui n’aura décoché qu’un tir depuis la zone rouge. Les hommes de Martinez trouvent au fond de leurs filets inviolés les clés d’un quatrième quart de finale de rang.

La Belgique n’a pas obtenu le moindre corner, Rui Patricio n’a pas dû faire un seul arrêt, et Romelu Lukaku a touché les deux seuls ballons belges dans la surface portugaise. Le cynisme à son paroxysme. Pays des talents offensifs, la terre noire-jaune-rouge est devenue le temps d’un soir celle d’un Thomas Vermaelen étincelant. L’occasion de rappeler que la dernière défaite des Diables avec Verminator sur la pelouse remonte déjà à 29 matches. C’était en 2016, à l’EURO et contre l’Italie, adversaire du prochain tour qui reste sur une série de 31 matches sans revers. Le dernier, c’était fin 2018. Contre le Portugal.

Un duel qui promet, puisque les clins d’oeil de l’histoire sont encore plus nombreux que ceux d’un Eden Hazard des grands soirs.

Par Guillaume Gautier

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