© Aleyev Yegor/Tass/ABACA

Belgique – Panama : la noce et le tribunal

Guillaume Gautier
Guillaume Gautier Journaliste

Analyse de la victoire belge face aux Panaméens, pour leur entrée sur la scène russe (3-0).

Le réalisateur saisit une larme. Longtemps retenue au bord des yeux, elle finit par s’écouler de la joue de Román Torres, exubérant capitaine du Panama. Le musculeux défenseur central est monté sur la pelouse avec la fierté d’un homme qui allait marier son pays à la Coupe du monde. Évidemment, tout le Panama est invité à la noce. Pendant les qualifications, les Canaleros n’ont pas connu la moindre défaite à domicile. Alors, le pays s’est rassemblé à Sotchi pour transformer la station balnéaire russe en une enclave panaméenne. Même à 20 heures d’avion de chez lui, le Panama joue à domicile.

« Quand tu observes les Sud-Américains lors d’une Coupe du monde, c’est comme s’ils célébraient la vie », analysait récemment Roberto Martinez. « Pour certains pays européens, c’est différent. » Pendant la Brabançonne, pas de joie à l’horizon. Les visages belges sont fermés. Concentrés. La Belgique est venue pour gagner ce procès que lui fait le football mondial depuis sa défaite face aux Gallois. Et ses propres supporters se sont, en grande partie, portés partie civile, décidés à douter en espérant être agréablement surpris.

PREMIERS FRISSONS

Roberto Martinez attaque la Coupe du monde avec un onze sans surprise. La Belgique a une identité de jeu marquée, et désormais connue de tous. Kevin De Bruyne est à la manoeuvre, Eden Hazard à la folie, et Romelu Lukaku et Dries Mertens à la finition. Pour répondre au défi belge, le Panama plante un 4-1-4-1 à la prudence extrême, dans lequel Blas Pérez, l’attaquant de pointe, établit son campement à 35 mètres à peine des buts de Jaime Penedo.

Dans un match où l’heure du premier but est généralement déterminante, la Belgique décide de ne pas traîner. Porté par les jambes de celui qui dispute ses premières minutes en Coupe du monde, Yannick Carrasco est la figure de proue du premier assaut national. Lancé par De Bruyne, il tente un premier centre vers Lukaku, repoussé par la défense panaméenne. Cinq minutes plus tard, c’est encore lui qui est à la conclusion d’une action initiée par Thomas Meunier et Dries Mertens, mais sa frappe s’écrase sur la pelouse caucasienne. La troisième apparition du flanc gauche belge s’enchaîne déjà, dans un relais avec Eden Hazard qui offre une frappe à Mertens et un corner aux Diables.

Le premier temps fort belge se conclut sans but, après douze minutes menées à 71% de possession de balle. Le capitaine des Diables oublie de profiter d’un cadeau de la défense panaméenne pour ouvrir le score, et laisse le rythme de la suite de la première période au camp d’en face. Plus à l’aise avec leur coeur qu’avec leurs pieds, les hommes d’Hernán Gómez s’offrent pourtant 42% de possession dans la longue demi-heure qui sépare l’occasion d’Hazard du retour aux vestiaires.

LA SCOLARITÉ DU DIABLE

La Belgique joue alors dans un mauvais feuilleton. Un épisode au scénario panaméen, fait d’interruptions et de football sans idées. Puisqu’ils ont décidé de ne pas attaquer les trois défenseurs belges, les Canaleros jouent un 10 contre 7 dans leurs trente derniers mètres, et chargent vigoureusement les pieds d’Hazard ou de Mertens quand De Bruyne ou Alderweireld tentent de les trouver entre les lignes (Witsel ne jouant que 41% de ses passes vers l’avant). Le jeu diabolique manque de largeur, de rythme et de surprise. Les montées balle au pied d’Alderweireld ou de Vertonghen, indispensables pour faire douter l’organisation adverse, manquent de régularité et d’audace, pendant que Meunier et Carrasco rentrent trop dans le jeu, surchargeant un axe déjà plus irrespirable qu’une rame de métro bruxelloise en pleine heure de pointe. Personne n’est en mouvement, tous attendent le ballon dos au jeu, et subissent les agressives interventions panaméennes à chaque réception.

Une fois le ballon perdu, l’attitude est trop scolaire, toujours. Au bout de quelques secondes de pressing, souvent mal coordonné, la Belgique se replie dans sa moitié de terrain, et laisse le ballon à un adversaire qui n’attendait que ça pour souffler. Malgré leurs limites techniques, les équipiers de Gabriel Gómez, tranquille au milieu de terrain (46 passes jouées, toutes réussies), boucleront la rencontre avec 79% de passes réussies, chiffre plus qu’honorable permis par un pressing trop respectueux des Belges.

Au sein de ce scénario où l’excès de scolarité va jusqu’à l’absence de folie, avec seulement cinq dribbles tentés par les Diables en 45 minutes (pour trois réussis), la Belgique cherche ses atouts, et ne trouve forcément plus le chemin du but adverse. Sur les cinq frappes réparties tout au long de la dernière demi-heure, trois viennent d’une phase arrêtée, presque systématiquement jouées en combinaison pour éviter l’imposante puissance aérienne du Panama dans son rectangle. Les frappes de Mertens ou De Bruyne font, au mieux, trembler le mauvais côté du filet latéral.

DRIES JACKSON ET JAN DESCHACHT

« On a trop voulu être parfait », diagnostique Roberto Martinez après la rencontre. Comme si elle préparait un premier rendez-vous avec une femme à la beauté inaccessible, la Belgique a écrit son scénario à la virgule près, et le respecte à la lettre. Elle réfléchit même sur la piste de danse, oubliant les préceptes dictés par Michael Jackson : « Penser est la plus grande erreur qu’un danseur peut commettre. Il ne faut pas penser, il faut sentir. »

Alors, Dries Mertens arrête de réfléchir. Enfin lancé vers le but, après une mi-temps passée avec les yeux rivés vers Courtois, il centre vers Lukaku, puis retrouve le ballon au bout de deux duels aériens remportés par le Panama. Habitué à faire le mauvais choix quand deux solutions se présentent à lui, le Napolitain n’en voit soudain qu’une seule. Question de feeling. Un swing délicieusement dégainé de son pied droit atterrit au fond des filets adverses. Souvent présenté comme le premier à sortir du onze si les choses tournent mal, Driesje récompense la confiance de Martinez qui, contrairement à son prédécesseur, ne cherche pas à faire le changement gagnant dès que les choses tournent mal. Comme Lukaku, Mertens est devenu un buteur, capable de sortir un geste génial dans le rectangle même quand rien ne fonctionne ailleurs sur le pré.

Comme l’Argentine ou le Brésil avant elle, la Belgique laisse alors apparaître son adversaire dans un match où le plus dur semble fait. Le Panama appuie sur le talon d’Achille des Diables, avec un ballon dans le dos du côté gauche de la défense tricolore. Yannick Carrasco pense que Vertonghen va le couvrir et se désintéresse de l’appel de Michael Murillo. Jan, lui, pourtant superflu dans l’axe où les Panaméens sont rares, ne réfléchit même pas une seconde à l’intérêt de regarder ce qu’il se passe à sa gauche. Son corps est complètement fermé à toute responsabilité dans la couverture de son couloir, et ses hurlements en mondovision achèvent de rejeter l’intégralité d’une erreur pourtant partagée sur les épaules de Carrasco. Un bel hommage à la carrière d’Olivier Deschacht. Entre-temps, Courtois a dénoué les gorges belges.

HAZARD À GAUCHE, LUKAKU AU FOND

Avec le ballon, la Belgique a changé. Depuis le retour des vestiaires, Carrasco rentre souvent dans l’axe, et permet à Eden Hazard d’écarter le jeu pour recevoir le ballon sur le flanc gauche, hors du bloc adverse. Le capitaine n’avait touché que huit ballons dans le couloir avant la pause, il en joue le double dans les 45 dernières minutes. C’est sur l’une de ces situations que le match bascule définitivement.

Surveillé à distance par quatre Panaméens confinés dans l’axe, Hazard prend enfin de la vitesse et rentre dans le jeu. Personne n’ose commettre la faute, dans un match où les cartons pleuvent (8, un record depuis la finale du Mondial 2010), et Eden parvient à libérer Kevin De Bruyne à l’entrée du rectangle. Une feinte plus tard, l’architecte des Diables dépose un extérieur du pied droit exceptionnel sur le front de Romelu Lukaku, qui transforme en but son premier ballon touché dans le rectangle.

Fatigué par un surrégime qui dure depuis son hymne national, le Panama ouvre les espaces en tentant de se rapprocher de Thibaut Courtois. Eden Hazard ne tarde pas à en profiter pour se lancer dans une de ses chevauchées favorites, conclue par une passe exceptionnelle dans la course de Lukaku. Hazardinho éveille les mots de Johan Cruyff : « La technique, ce n’est pas savoir faire mille jongles. C’est passer la balle […] à la bonne vitesse, et sur le bon pied de ton coéquipier. » Moins télégénique, mais tout aussi parfaite que celle de KDB, la passe d’Hazard devient décisive quand Lukaku la pique au-dessus de Penedo pour transformer en second but son deuxième ballon joué dans la surface.

La Belgique confirme son époustouflante facilité à faire passer un marquoir de 1-0 à 3-0. L’estomac est enfin dénoué, et le verdict tombe au bout des trois coups de sifflet de l’arbitre : pas encore conquise, mais positivement intriguée par son rencart du soir, la belle accepte un nouveau rendez-vous avec le Diable.

Par Guillaume Gautier

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