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Belgique-Italie: coup de Botte sur dernier souffle (analyse)

Guillaume Gautier
Guillaume Gautier Journaliste

Retour tactique sur la défaite des Diables rouges contre l’Italie, en quarts de finale de l’EURO (1-2).

Le parcours ressemble à une étape de troisième semaine du Tour de France. À peine avalée l’ascension du Portugal de Cristiano Ronaldo, la Belgique entame la route vers un deuxième sommet hors-catégorie. En Russie, c’était l’enchaînement des difficultés qui était venu à bout de ces Diables taillés pour la course de côte. Le tête-à-tête munichois avec une Italie ressuscitée et forte de 31 matches sans défaite se présente donc comme une occasion de prouver que le Belge a changé.

Pendant les hymnes, de l’autre côté des arbitres, le visage de l’adversaire n’est en tout cas pas du tout le même. Loin de la concentration extrême affichée par CR7, Giorgio Chiellini chante le Fratelli d’Italia avec le sourire détendu de celui qui en a vu d’autres. Peut-être l’homme le plus âgé sur la pelouse rit-il déjà de savoir qu’en Belgique, tout le monde qualifie d’arrière-garde de vétérans un trio plus jeune que lui ?

Privé d’un Eden Hazard qui avait balisé le chemin vers le dernier carré contre le Brésil, Roberto Martinez dégaine Jérémy Doku dans son couloir gauche. Sans doute parce que le Rennais est le complément idéal d’un plan offensif qui se rapproche de cette ruse qui avait chamboulé les Auriverdes : défendre à sept pour briller à trois. Un ersatz du Barça de la MSN et de Luis Enrique, qui avait roulé au bulldozer sur la route de son triplé grâce aux inspirations d’un trio offensif hors-normes.

LES LIMITES DU PLAN MSN

Les premiers pas sont gourmands. La minute initiale n’est pas encore bouclée, et les Diables interceptent déjà une relance de Leonardo Bonucci, première marche de l’escalier offensif italien. Kevin De Bruyne alerte Romelu Lukaku, qui enroule Chiellini mais échoue dans les gants de Gianluigi Donnarumma. En trois minutes, la Belgique obtient un corner, plus que tout au long de son match contre le Portugal. À gauche, Jérémy Doku sprinte déjà deux fois, arrêté dans ses foulées par Giovanni Di Lorenzo, puis par l’imprécision de son centre.

C’est déjà tout, ou presque, pour l’audace belge. Verdict implacable d’un virage vers le pressing mal négocié dans la foulée du Mondial, le Diable préfère reculer, à l’exception d’un Kevin De Bruyne qui tente parfois la récupération en solitaire mais disparaît facilement dans des triangles azzurri aux airs de Bermudes. Consciente qu’elle est incapable d’imposer au milieu italien le même défi physique que les Autrichiens, parce qu’elle n’a ni les profils, ni les mécanismes nécessaires, la Belgique recule pour subir l’implacable possession transalpine.

Le problème, c’est que le Diable repousse la balle plus qu’il ne la récupère. Dans le fameux Barça de Luis Enrique, il y avait Andrés Iniesta pour absorber le pressing adverse et connecter la MSN avec le reste de son équipe. Ici, les sept défensifs belges manquent d’envergure avec le ballon pour sortir de l’obscurité imposée par le pressing du premier rideau italien, et Lukaku prend une leçon de hiérarchie dans les ballons balancés par sa défense qui tournent au duel contre Chiellini. Sur les terres de Robert Lewandowski, le colosse belge mesure la hauteur de la dernière marche qui le sépare de l’élite absolue des attaquants.

Pour se sortir du piège italien, la Belgique ne peut donc compter que sur la chance ou le talent. Les deux apparaissent à l’aube de la demi-heure. D’abord quand une passe ratée de Thomas Meunier vers Lukaku se transforme en offrande pour De Bruyne, qui perfore ballon au pied un milieu incapable de faire athlétiquement le poids. KDB efface Bonucci, puis dégaine du gauche, mais Donnarumma joue les gilets pare-balles. Quatre minutes plus tard, le Citizen est à la source, ouvre le rideau transalpin en un coup de reins et allume Lukaku, parti dans le dos de Leonardo Spinazzola comme il menaçait celui de Marcelo trois ans plus tôt. Le tir est plus précis que puissant, et les gants interminables de Donnarumma sont encore là.

LE TEMPS DES ITALIENS

Puisque les longs ballons ne marchent jamais, la Belgique comprend que sa chance réside dans une ouverture méticuleuse du rideau plutôt qu’en l’arrachant de toutes ses forces. Après avoir intercepté une menace aérienne vers un Ciro Immobile neutralisé, Jan Vertonghen voit débouler Nicolo Barella puis Lorenzo Insigne au bout de son pied gauche. Le capitaine slalome de son mieux, repousse le ballon plus qu’il ne le passe, et ne trouve qu’un Marco Verratti débordant d’énergie, qui joue avec l’abnégation et la classe d’un éboueur en costard. La passe pour Barella devient décisive quand le Nerazzurro se faufile entre trois Belges pour martyriser le petit filet de Thibaut Courtois (0-1).

Si les deux buts précoces avaient validé le plan contre le Brésil, l’ouverture du score italienne contrarie celui du soir. Jusqu’à la pause, il n’y en a d’ailleurs plus que pour les hommes de Roberto Mancini : un tir hors-cadre de Federico Chiesa, une séquence côté gauche qui envoie Spinazzola centrer vers un Immobile maladroit, et des fautes pleines de métier pour endiguer toute perspective de percée belge (onze fautes dans le camp diabolique au total). Lassé de regarder le ballon sans rien faire, De Bruyne sort au pressing avec Axel Witsel dans son sillage, puis s’agace de voir que le mouvement ne se transforme pas en initiative collective. En une passe vers Insigne, Barella met cinq Belges hors du jeu. La défense nationale recule et laisse un Youri Tielemans déjà averti seul contre le Napolitain, qui sort sa spéciale hors de portée de Courtois (0-2). Les Italiens ne réussiront que cinq dribbles sur l’ensemble du match, mais trois d’entre eux (les deux de Barella et celui d’Insigne) se transforment en buts, sans doute parce qu’ils sont le bout de la chaîne plutôt que ses maillons.

En matière de dribbles, la Belgique ne croit qu’en Jérémy Doku. Reparti à la charge à gauche comme si les 44 minutes précédentes n’avaient pas existé, le starting-block sur crampons des Diables force Di Lorenzo à commettre un penalty transformé par Lukaku (1-2).

LES GÉOMÈTRES CONTRE L’EXPÉRIENCE

L’Italie ressort des vestiaires comme si le score n’existait pas. Le bloc belge, disposé en 5-2-3 avec des couloirs défensifs très bas, permet à la Squadra de s’inviter tranquillement jusqu’aux trente mètres belges en passant par des côtés où Doku défend peu, Lukaku pas. Sous l’impulsion du professeur Verratti (103 ballons joués en 70 minutes, 30 de plus que n’importe quel autre joueur sur la pelouse), les Azzurri donnent cours de géométrie. Les triangles sont partout, la Belgique n’est nulle part.

Puisque Kevin De Bruyne joue sur une jambe et que Romelu Lukaku n’apparaît pas, le Diable confie son âme aux cuisses de Jérémy Doku. L’histoire presque absurde d’un projet de cinq ans mené par la sélection la plus expérimentée du tournoi, dont la réussite repose entre les dribbles d’un gamin qui vient de souffler sa 19e bougie. Pour éviter qu’on parle de faillite collective, les Belges cherchent l’exploit individuel. Ils le touchent du doigt quand au bout d’une passe ratée de Di Lorenzo, Doku trouve De Bruyne dont le centre claqué vers Lukaku est sauvé sur la ligne par Spinazzola.

Roberto Martinez réalise que même Tom Cruise n’aiderait pas ses hommes à sortir le ballon si rien ne change. Il tente un ajustement en lançant Dries Mertens et Nacer Chadli à la place de Tielemans et Meunier. De Bruyne recule pour faire respirer sa défense en gardant le ballon, et Chadli fait l’élastique entre le couloir en possession et l’axe sans la balle, pour que la guerre du milieu de terrain devienne un trois contre trois. L’idée dure quatre minutes, le temps pour Mertens d’offrir à Chadli un centre qui échappe à Lukaku et à un Thorgan Hazard trop impatient, puis pour le héros du Japon de se blesser et de laisser sa place à Dennis Praet, installé en compagnie de Witsel devant une défense nationale désormais à quatre sans ballon pendant que KDB refait un pas vers l’avant. Le Diable cherche le contrôle par l’expérience, mais se heurte surtout aux limites de ses poumons vides.

LE JEU A CHANGÉ, PAS LES DIABLES

La Belgique ne parvient même pas à vraiment inquiéter une Italie qui boucle la première demi-heure de la seconde période avec 67% de possession depuis le retour des vestiaires. Ni la blessure de Spinazzola, ni un Lukaku enfin trouvé dans les airs ne parviennent à faire basculer l’histoire de la rencontre. Pourtant, il n’y a que contre la Finlande que les Diables ont conclu le match avec plus de tirs vers le but adverse (10, dont 5 dans la surface italienne).

Le dernier espoir s’appelle Jérémy Doku. Ses équipiers l’ont compris, et lui donnent tous les ballons. Le teenager bouclera le match avec huit dribbles réussis, plus que toute l’Italie. Et puisque les circuits offensifs belges ont progressivement disparu depuis le Mondial, dans un jeu national qui a fini par trop attendre du talent plutôt que de le mettre dans les meilleures dispositions, les solos du Rennais sont d’autant plus précieux. « En football, on cherche des avantages tactiques pour se créer une occasion mais avec Jérémy, il suffit de lui donner le ballon dans une bonne position. That’s it. Il créera l’avantage tactique tout seul parce qu’il élimine des gens », confiait le sélectionneur à son sujet au moment de sa première sélection. L’ailier confirme la prophétie, relance chaque assaut avec l’insolence des premières fois, mais sa percée qui passe en revue trois Italiens finit au-dessus du cadre de Donnarumma.

Doku sera encore au départ du dernier centre belge, repoussé par un Chiellini impérial (cinq ballons dégagés dans sa surface). Christian Benteke regarde tout ça de la touche, et Michy Batshuayi du banc, puisque Roberto Martinez préfère visiblement voir la Belgique mourir avec ses schémas qu’avec deux attaquants dans le chaos. Une approche compréhensible à l’époque où le plan était autre chose qu’une confiance aveugle et anarchique aux talents offensifs, plus difficile à concevoir en constatant que le déclin physique d’Eden Hazard, pierre angulaire du système Martinez, coïncide avec la disparition progressive de tout projet collectif ambitieux.

Finalement, la Belgique s’est égarée en pensant plus à son but qu’à celui de l’adversaire, comme si installer des rétroviseurs était sa meilleure chance d’apercevoir un trophée. Le problème, c’est que Roberto Martinez n’a jamais été réputé pour la qualité de son organisation défensive. Et le revers de la médaille, c’est que cette approche tombe à l’eau quand le résultat est différent d’une victoire. Parce qu’à part le tableau d’affichage, il n’y a rien à retenir des sorties continentales de Diables au jeu décevant, handicapés par des défaillances individuelles mais jamais capables de compenser par des solutions collectives. Le pressing et l’intensité ont pris le pouvoir, et ont fait vaciller de leur trône des Belges qui n’ont plus les jambes, et ni les profils techniques ni les principes collectifs pour exister au sommet de ces nouvelles réalités.

Personne ne se souviendra de la Belgique de 2021. Il ne faudra pourtant pas oublier ses limites pour recommencer à les repousser.

Par Guillaume Gautier

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