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Belgique-France: la leçon de grandeurs (analyse)

Guillaume Gautier
Guillaume Gautier Journaliste

Retour tactique sur la défaite des Diables rouges contre les Bleus, en demi-finale de la Ligue des Nations (2-3).

C’est comme si la pelouse était un clin d’oeil de plus. Pour ses retrouvailles avec la France, trois ans et trente-huit matches plus tard, la Belgique de Roberto Martinez foule le gazon bianconero. Celui d’un club dont Giampiero Boniperti, le légendaire attaquant de l’après-guerre, disait: « À la Juventus, gagner n’est pas important. C’est l’unique chose qui compte. » Annonciateur du coup d’envoi d’un de ces matches qui se lira à l’envers, en partant de la photo-finish pour analyser la course.

Le stade a changé mais sur le banc d’à côté, Didier Deschamps est toujours comme chez lui. En noir et blanc, le sélectionneur français facture 180 matches et neuf trophées. Le stratège bleu s’installe sur son champ de bataille avec un 3-5-2 toujours expérimental, mais l’odeur d’un trophée comme parfum familier. En face, le Diable s’habille dans son 3-4-2-1 de toujours, avec Jason Denayer pour gouverner la ligne arrière et le retour du trident infernal aux avant-postes. La dernière titularisation conjointe de Romelu Lukaku, Eden Hazard et Kevin De Bruyne était venue à bout du Portugal de Cristiano Ronaldo, autre prédateur survitaminé à la victoire. Le succès vaut un ticket en finale et serait un saut dans l’inconnu, mais le Belge se jette la tête la première au milieu du grand bleu. Il ne faut que trois minutes à Big Rom pour jouer l’une de ses scènes favorites: collé à la ligne côté droit comme une F1 qui tient la corde, le Blue propose à Lucas Hernandez et Raphaël Varane une vue imprenable sur ses roues arrières et son centre atterrit indirectement dans les pieds de KDB. King Kev frappe une première fois à la porte de l’histoire, mais la clé reste cachée dans les gants d’un Hugo Lloris élastique.

Comme si le match se jouait sous la menace d’un compte à rebours, Kylian Mbappé répond au sprint. Mis sur orbite par Antoine Griezmann, le Parisien transforme un contrôle raté en grand pont conclu d’une talonnade. On se croirait dans un cartoon, tant la course semble trop rapide pour être vraie. Pas vraiment d’occasion, mais un véritable avertissement: l’espace sera l’ennemi des défenseurs belges. Et quand on joue avec les yeux dans les rétroviseurs, on circule souvent en marche arrière.

UN NOUVEL EDEN

Le tempo s’abaisse quand, après le premier vrombissement des moteurs, chaque équipe semble réciter ses gammes. Par peur des espaces abandonnés dans les couloirs, les deux équipes défendent à cinq en ligne et laissent les flancs entrouverts. Hazard et Griezmann s’y promènent pour échapper au double pivot adverse, et offrir à la relance basse de leurs couleurs une porte de sortie supplémentaire. La balance penche progressivement du côté d’Eden, dans un registre bien différent de celui qui en avait fait l’homme du début de rencontre trois ans plus tôt. Le Madrilène laisse Yannick Carrasco s’occuper des hanches de Benjamin Pavard, et s’invite au coeur du jeu pour jouer les meneurs à l’ancienne. Hazard reçoit sous pression, pivote comme une ballerine et distribue comme un croupier. Un football tous azimuts qui finit par fatiguer le pressing imparfait des offensifs français, et transforme le troisième quart d’heure en siège du camp bleu. 74% de possession belge, 130 passes réussies contre 31, et un seul ballon touché pour Griezmann pendant que la Belgique fait trembler les filets deux fois.

Visiblement assidu aux cours de danse de son capitaine, Carrasco étoudit Pavard et trompe Lloris au premier poteau (1-0). Trois minutes plus tard, Eden Hazard emmène tout le terrain vers la droite, puis fait demi-tour d’une passe vers l’axe et emporte tout le bloc français dans son sillage. Youri Tielemans, joueur le plus actif du dernier quart d’heure (22 passes), renvoie le ballon dans la zone désertée, vers un De Bruyne isolé dans sa zone préférée.

Le reste est une histoire de fausses pistes. De là où il adore centrer, De Bruyne joue un ballon vers Lukaku. Pivot colossal depuis le coup d’envoi, Romelu transforme la passe appuyée en ballon en profondeur et laisse Lucas Hernandez dans son rétroviseur. Mauvais pied, dans une position de passe en retrait, Big Rom’ allume le plafonnier d’une frappe abrupte comme un appui sur l’interrupteur, et double l’addition avant de quitter la table turinoise pour quinze minutes de digestion (2-0).

NOYADE SOUS GRANDS BLEUS

Le retour aux fourchettes est contrasté comme un sucré-salé. Les intentions françaises sont claires dès le positionnement: celui de Theo Hernandez et de Benjamin Pavard, immédiatement collés à la ligne défensive belge. Tant pis pour l’équilibre. Deschamps mise sur le fait que Varane, Hernandez et Jules Koundé pourront réguler la circulation face à trois bolides lancés sur des boulevards. Le plan consiste alors à leur empêcher d’appuyer sur l’accélérateur.

Il faut dire qu’en même temps que les jambes d’Hazard ont commencé à décliner, la Belgique a cessé d’être la meilleure contre-attaquante du monde. Comme le Danemark et l’Italie l’été dernier, la France décide donc d’étouffer la relance diabolique, avec un Paul Pogba omnivore et un Antoine Griezmann cérébral à la manoeuvre. Les Bleus inversent l’histoire du quart d’heure précédent, avec 63% de possession, un Kevin De Bruyne disparu (seulement sept passes en quinze minutes) et un duo Axel Witsel – Tielemans qui affiche ses limites. Le premier, dont on aime rappeler qu’il ne perd jamais la balle, peine pourtant à prolonger la possession sous pression. Le second rappelle sans cesse les mots de Paul Van Himst, répétant à son sujet qu’il n’est pas capable de « pivoter sur une pièce d’un franc ». Alors, la Belgique paie l’addition. Le milieu belge est mis en cage, et la défense française se charge d’éviter qu’Hazard ou Lukaku ne s’échappent avec la clé.

Le reste du plan est entre les pieds de Kylian Mbappé. Neuf dribbles réussis, soit autant que tous les autres acteurs du match réunis. Les départs arrêtés sont si violents qu’on s’attendrait presque à entendre ses crampons crisser. Déposé peu avant l’heure de jeu, Carrasco ne peut que regarder l’enfant de Bondy centrer vers Griezmann qui se trompe de pied face à Thibaut Courtois. Trois minutes plus tard, quand Karim Benzema profite d’un KDB qui défend de moins en moins dans l’axe droit et d’une zone trop large à couvrir pour Witsel et Tielemans, c’est le Fox qui fait les frais du coup de foudre du numéro 10 bleu. La Benz est retrouvée entre cinq Diables, comme une clairière au milieu d’une forêt rouge, et relance le match (2-1).

LA LOI DES CENTIMÈTRES

Toujours plus étouffé, toujours peu épaulé, toujours moins lucide, Tielemans fait l’erreur de trop: un troisième ballon perdu en trois minutes dans ses échanges avec Witsel et De Bruyne, et une faute futile sur Griezmann qui offre l’égalisation à Mbappé depuis le point de penalty (2-2). Sorti du terrain assez tôt dans la rencontre, mais peut-être trop tard dans le scénario, le Babyface Playmaker confirme qu’il peine à sortir la tête de l’eau sous pression, surtout quand ni De Bruyne ni Witsel ne sont capables de lui servir de bouées. Quand Hazard s’essouffle, la Belgique étouffe. Depuis le banc, Martinez envoie Hans Vanaken dans le trio offensif et recule KDB devant la défense pour souffler avec le ballon. Les échanges s’équilibrent, entre une frappe puissante du Citizen détournée par Lloris et un tir d’Aurélien Tchouameni qui brûle les gants de Courtois.

Avec l’énergie de Leandro Trossard à la place d’un Eden fatigué, la Belgique soulage son milieu en traquant plus souvent les passes des défenseurs français. La menace se déplace alors jusqu’au duo Benzema-Mbappé, dont le positionnement liquide noie une défense belge qui temporise plus qu’elle n’agresse. Le 10 français est alerté par le 9 du Real, mais sa frappe s’échappe près du poteau droit de Courtois. Benzema provoque ensuite une faute, que Pogba change en météorite atterrie sur l’équerre du but belge.

Entre-temps, l’histoire se mesure en centimètres. Celle de la Belgique se referme d’un coup de microscope, pour constater le hors-jeu d’un Lukaku létal au bout d’un centre de Carrasco. Le roman français part de la plume de Griezmann, une dernière fois entre les lignes pour former un triangle avec Mbappé et Pavard. Le centre repoussé par un Toby Alderweireld époumoné finit au bout du pied de Theo Hernandez, et Courtois ne parvient pas à faire un arrêt à la hauteur de celui sorti par Lloris pour donner le ton de la rencontre.

L’histoire belge ajoute alors une page de plus au chapitre des défaites douloureuses. De celles qui remettent en question le plafond d’un joueur, les limites d’un sélectionneur, l’héritage d’une génération. Ces Diables ont beau avoir de l’expérience, le passé des adversaires semble toujours donner un peu le vertige. Il raconte que sur les huit derniers grands tournois disputés depuis 2006, les trois autres membres de ce Final Four italien en ont gagné six. La Belgique, elle, attend toujours son heure de gloire, celle qui semble systématiquement s’échapper par un but d’écart, avec une récurrence qui ne permet plus de croire aux parties de pile ou face, mais commence à regarder d’un oeil accusateur ceux qui lanceraient mal la pièce en l’air.

Le plus dur dans ces défaites contre des géants, c’est peut-être ce sentiment de plus en plus fréquent, et malgré tout toujours récent: se sentir assez grand pour les trouver évitables, tout en restant toujours un peu trop court. N’en déplaise à ceux qui nient que la taille compte, la grandeur d’une histoire footballistique est souvent une question de centimètres.

Par Guillaume Gautier

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