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Belgique – Angleterre: la défense de mémoire (analyse)

Guillaume Gautier
Guillaume Gautier Journaliste

Retour tactique sur la victoire des Diables face aux Anglais en Ligue des Nations (2-0).

Avec ses nuages qui pleurent et son ciel qui grisonne, novembre est le mois des souvenirs. Alors, en montant en silence sur la pelouse louvaniste où un vent déjà hivernal balaie des tribunes désertes, la Belgique fait travailler sa mémoire. Impossible de se sortir de l’esprit l’amère défaite de Wembley, sans doute la moins méritée des quatre chutes sous les ordres de Roberto Martinez. Si les gants ne sont pas de sortie chez la majorité des acteurs, c’est peut-être parce que l’appétit de vengeance n’a pas encore pris la peine de tiédir.

Quant aux Anglais, ils ne sont visiblement pas venus à Louvain pour prendre froid. Les premiers pas du match se font au sprint, avec un Jordan Henderson qui donne de la voix pour envoyer ses troupes au pressing. Le round d’observation est un échange d’uppercuts mais, au bout de cinq minutes, ce sont finalement les Three Lions qui se retranchent dans les cordes. La possession belge s’installe méticuleusement, grâce aux décrochages de Kevin De Bruyne et à la personnalité de Youri Tielemans entre les lignes. Les Diables atteindront finalement le quart d’heure de jeu avec 59% de possession de balle.

Le plan est le même qu’à Londres: laisser la défense anglaise donner la première passe, et jaillir dès que le ballon quitte ses pieds. Jan Vertonghen l’applique à la lettre, et envoie son interception dans les pieds de Dries Mertens. Le Napolitain cherche De Bruyne dans la surface, mais trouve sur son chemin les pieds de Romelu Lukaku. Le colosse échappe une première fois à Eric Dier, et voit Tielemans hors de la clé anglaise qui se referme déjà sur lui. La dynamite de Leicester fait trembler le poteau et les filets de Jordan Pickford.

AIR LUKAKU HORS DE PRESSION

Le score est belge, et le jeu se joue aussi avec les cartes nationales. Si le pressing diabolique manque de hauteur, c’est avant tout parce que Thomas Meunier et Thorgan Hazard se replacent soigneusement dans la ligne défensive à cinq, pour priver les Anglais des espaces en largeur dont ils aiment se régaler. Enfermée avec le ballon, la sélection de Gareth Southgate s’en remet aux phases arrêtées, travaillées avec une précision presque récompensée quand Lukaku vient au secours de Thibaut Courtois, battu par une reprise de la tête d’Harry Kane.

Le numéro 9 des Diables est, sans marquer, la clé de la première demi-heure. Face à l’intensité anglaise, la meilleure arme belge est un ballon qui surmonte la ligne de pression pour atterrir sur sa poitrine. Romelu gagne des mètres, du temps et du répit. L’exécution parfaite de cette chorégraphie diabolique rappelle les mots de José Mourinho, quand il avait interdit aux centraux de Manchester United de jouer avec leurs milieux face au pressing de l’Ajax en finale d’Europa League: « Si le ballon n’est pas là, où est-ce qu’ils vont presser? »

Enfermé au coin du terrain par la pression anglaise, Toby Alderweireld passe donc par la voie des airs, et la connexion entre la poitrine de Big Rom’ et le pied droit de KDB envoie courir Thorgan Hazard vers la surface anglaise. Le numéro 10 de fortune trouve King Kev, qui obtient une faute généreuse. Chez lui, Mertens le Louvaniste frappe un coup franc de cour de récré, époque où les murs sont minuscules et les rêves immenses. La Belgique mène 2-0, et poursuit sa folle série de réalisme: huit de ses dix derniers tirs cadrés ont fini en but.

LA FAILLE DE KDB

Après avoir doublé la mise avec 56,7% de possession, les Diables abandonnent le ballon, mais pas la maitrise des événements dans le troisième quart d’heure, essentiellement passé à bien défendre face aux flancs anglais. La tâche se complique au retour des vestiaires, quand une longue mésentente crée une brèche dans le 5-4-1 défensif belge.

La patience ne fait pas partie des vertus de Kevin De Bruyne. Amoureux du ballon, le maestro de City veut le récupérer, et part au pressing tout seul face aux défenseurs anglais, se portant à la hauteur de Lukaku pour transformer le bloc belge en 5-3-2. Le Citizen court après des fantômes, et ouvre la porte aux Anglais à la droite d’Axel Witsel, hors de portée d’un Meunier trop occupé avec le positionnement très offensif de Bukayo Saka dans le couloir. En meneur de jeu à l’ancienne, conditionné à détecter l’espace, Jack Grealish s’installe dans le trou de la muraille belge, et commence à danser dans la cour du château diabolique, obligeant Witsel à ouvrir de l’espace pour Kane s’il veut fermer celui offert au magicien de Villa Park.

Le playmaker d’Aston Villa se régale, et le trio qu’il forme avec Kane et Saka fait des ravages dans la défense belge. Les trois hommes boucleront le match avec quinze des vingt dribbles réussis par l’Angleterre au compteur. Brésil du Vieux Continent quand Hazard donne le rythme de la samba, la Belgique quittera la pelouse avec trois dribbles réussis, seulement. Malmenée comme rarement, poussée à la faute sept fois dans sa moitié de terrain en une mi-temps, la défense nationale tient bon.

Ce sont désormais les souvenirs des prestations défensives héroïques de la première grande génération belge qui sont ravivés. Alderweireld, Vertonghen et Jason Denayer résistent en stoppeurs à l’ancienne, et mâchent le travail d’un Courtois qui ne subira finalement que trois frappes cadrées sur l’ensemble du match, toutes parties des pieds de Kane, couteau suisse des offensives anglaises. La rencontre s’éternise entre la surface, fermée à double tour (aucun tir cadré anglais dans la surface en deuxème mi-temps), et le rond central que les Diables ne franchissent plus.

YOURI ET GARETH POUR TOUT CHANGER

Trop haut pour aider la possession belge, De Bruyne complique la tâche nationale en se positionnant pour recevoir les passes plutôt que pour les donner. Le résultat, c’est un quart d’heure de reprise bouclé avec 69% de passes réussies pour les Diables, systématiquement remis au tapis par les vagues anglaises, mais toujours prompts à se relever. Les deux bouées de sauvetage sont finalement lancées, à l’aube des vingt dernières minutes, par Youri Tielemans et Gareth Southgate.

Le premier retrouve sur la pelouse de Den Dreef son costume de patron, déjà enfilé quatre jours plus tôt face à la Suisse, et distribue les passes comme des bouteilles d’oxygène pour faire enfin respirer la possession belge. Reléguant au second plan un Witsel trop gêné par la pression anglaise, le kid de Leicester et ses cinquante passes reçues (deuxième Belge du match) permet enfin aux Diables d’agrandir le terrain en dédoublant les passes.

Southgate, lui, facilite la tâche belge en lançant Dominic Calvert-Lewin et Jadon Sancho sur la pelouse. Empiler les offensifs pour mieux marquer. Une tactique plus appréciée des supporters que véritablement efficace, car ce passage en 4-4-2 va surtout priver les Anglais de l’avantage tactique flairé par Grealish à droite de Witsel, et disparu suite au changement de système. Les hommes de Roberto Martinez n’ont plus qu’à dire merci. Ils s’offrent même les plus beaux coups de la fin de rencontre: entre deux frappes de Lukaku – une sur Pickford et une hors du cadre – les extérieurs du pied de Kevin De Bruyne et Dennis Praet transforment la pelouse en musée. De quoi faire oublier une mi-temps loin d’être à la hauteur des chefs-d’oeuvre de maîtrise tactique, qui aura pourtant eu le mérite de mettre en lumière les talents défensifs de l’arrière-garde belge. Au pays de Raymond Goethals, on n’a pas oublié comment défendre. Novembre ou pas, il est toujours bon de s’en souvenir.

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