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Angleterre-Belgique: l’âme et la manière (analyse)

Guillaume Gautier
Guillaume Gautier Journaliste

Analyse de la défaite des Diables rouges face aux Three Lions en Ligue des Nations (2-1).

Si, à l’heure du goûter, Marcel Proust avait préféré croquer dans des stades que dans des madeleines, il aurait probablement trempé Wembley dans son café. Plus que toutes les autres, sans doute, la mythique enceinte de Londres invite au voyage dans le temps, dès l’évocation de ses sept lettres. Pour la Golden Generation belge, les souvenirs surgissent au bout de huit ans de trajet. En 2012, à l’aube d’un EURO dont elle avait une nouvelle fois manqué le rendez-vous, la sélection diabolique se présente sur le gazon londonien dans le costume du challenger audacieux. Les Diables quitteront la pelouse avec une défaite encourageante, association de termes devenue incompatible avec leurs ambitions actuelles.

Tant pis si les Anglais semblent plus proches que jamais d’un retour au sommet. Les hommes de Gareth Southgate ont rendu douze clean-sheets en dix-neuf sorties depuis leur défaite de bronze face aux Diables en terres russes, et s’ils s’alignent sans plusieurs éléments offensifs majeurs, la Belgique compose de son côté avec les absences de Jan Vertonghen, Dries Mertens, Thibaut Courtois et, surtout, celle d’Eden Hazard, cauchemar récurrent des défenseurs des Iles.

Pour tenir le rythme du choc, Roberto Martinez place Jason Denayer sur la gauche de son trio défensif, et invite Youri Tielemans autour du rond central pour associer le génie de Kevin De Bruyne et les slaloms de Yannick Carrasco dans le sillage de Romelu Lukaku. Et comme souvent, quand KDB est plus proche des travaux de finition que des grandes manoeuvres, la Belgique ne fait pas du ballon une question de principe.

LE BALLON PIÉGÉ

Les Anglais, eux, ne négocient pas. Comme s’ils étaient poussés dans leur mission par le public invisible. Au bout des dix premières minutes, ils affichent 80% de possession de balle, mais sont toujours incapables de donner la couleur des gants de Simon Mignolet. Bien organisée, plus occupée à couper les lignes de passes vers les offensifs qu’à se ruer dans les pieds des défenseurs, la Belgique distille ses avertissements. Après trois minutes, quand Tielemans est au bout d’un premier ballon protégé par les muscles de Lukaku et sort son téléscope pour alerter De Bruyne, d’abord. Six minutes plus tard, ensuite, quand Carrasco prend l’Angleterre de vitesse sur la bande de gauche mais centre trop haut pour Lukaku. Au bout du round d’observation, enfin, quand la justesse technique des Diables soumet le pressing anglais et envoie Thomas Meunier dans le dos d’une défense plus audacieuse que mobile pour servir Carrasco, dont le but est annulé.

Le Diable cherche à conquérir l’espace, et y envoie sa fusée Lukaku au quart d’heure. Eric Dier ne peut que faire la faute pour stopper le géant belge, qui alimente quand même son inarrêtable compteur depuis le point de penalty. Poignardée dans le dos par le pied droit de Toby Alderweireld, l’équipe locale calme son pressing, mais garde le ballon. Les Belges restent patients, et attaquent les possessions anglaises dès que les défenseurs des Three Lions tentent de leur faire franchir le rond central. Les récupérations offrent des reconversions, et des frappes pour De Bruyne et Meunier. La possession des Anglais est bien plus dangereuse pour eux que pour les Belges. La plus belle occasion du dernier quart d’heure est encore diabolique, quand le talon de Lukaku sert du caviar à Carrasco, dont le tir est trop croisé.

La première mi-temps serait une référence absolue, si elle n’était pas entachée d’un but encaissé au milieu de nulle part. Alors que Denayer et Alderweireld dominent au sol et que Dedryck Boyata fait la loi dans les airs, la bande à Southgate s’en remet à ses gammes sur phase arrêtée. C’est uniquement parce que Meunier retient grossièrement Jordan Henderson dans la surface que l’Angleterre reçoit une occasion. Des onze mètres, Marcus Rashford n’a pas tremblé. Au bout de cette première période, tout est déséquilibre, sauf le résultat.

LA RÉACTION ANGLAISE

Quinze minutes de réflexion peuvent parfois changer le cours d’une histoire. Au retour des vestiaires, l’Angleterre a oublié ses obsessions pour le pressing et le ballon. Elle abandonne la possession aux Belges (41% pour les locaux dans le quatrième quart d’heure, contre 67 dans le troisième) et laisse le ballon arriver jusqu’aux pieds de Youri Tielemans. Quand le Fox joue long, le rapide Kyle Walker s’occupe de couvrir la profondeur. S’il cherche une solution entre les lignes, le bloc anglais dynamisé par les consignes de son coach s’active à la récupération. Pour la première fois depuis longtemps, la Belgique souffre de l’absence d’Eden Hazard, son atout numéro un pour réceptionner ces services en plein coeur du bloc adverse. Un don réservé à quelques privilégiés, quand la défense adverse est de qualité.

Entre deux infiltrations mal inspirées de Kevin De Bruyne, l’Angleterre s’invite dans la surface belge. Un long ballon de Trent Alexander-Arnold appuie sur le talon d’Achille de Meunier, toujours en difficulté quand il doit défendre les yeux au ciel. Une remise de Kieran Trippier plus tard, le tir de Mason Mount lobe Mignolet avec la complicité involontaire d’Alderweireld. Le plan offensif anglais n’est toujours pas plus efficace, mais ce n’est plus nécessaire maintenant que le match est renversé.

LES PROFILS ET LA FOLIE

Le ballon est plus belge que jamais, mais le contrôle est désormais anglais. À bout de souffle, mais pas encore d’idées, De Bruyne donne un cours de géométrie digne des échanges au sommet sur le court Philippe Chatrier, mais ni le centre de Timothy Castagne, ni le pied ouvert de Yannick Carrasco ne connaissent une fin heureuse. Roberto Martinez cherche la clé que les locaux ont confisquée à ses hommes, et préfère les profils de Yari Verschaeren et Jérémy Doku à la forme d’un Leandro Trossard ou au sens du but de Michy Batshuayi. Le premier doit apporter son sens de l’espace au sein d’un bloc qui n’en laisse plus, le second ses dribbles fous, capables de déstructurer une défense. Aucune des deux théories n’atteint le stade de la pratique, et la fin de rencontre est plus proche du 3-1 que du 2-2.

Roberto Martinez a perdu avec ses idées. Les mêmes qui, contre la France, l’avaient poussé à faire des changements rationnels jusqu’au bout, sans laisser la folie prendre le contrôle de la fin de rencontre. À ses yeux, sa Belgique ne perd jamais parce qu’elle se trompe de plan, mais seulement parce qu’elle n’exécute pas assez bien celui qui la fait si souvent gagner. « On n’a pas su jouer notre jeu en fin de match, et c’est le plus décevant. L’exécution de nos attaques n’était pas aussi précise que d’habitude », raconte d’ailleurs le Catalan en écho au coup de sifflet final.

La manière et la structure, avant le supplément d’âme qui mène parfois vers l’anarchie d’une fin de match incontrôlable. Un choix assumé de Roberto Martinez, mais contestable. Quelques semaines avant de quitter Saint-Trond pour Bruges, Ivan Leko raconte sa vision des choses, depuis son bureau du Limbourg parsemé de schémas tactiques: « Personnellement, j’ai seulement confiance en des choses que j’ai travaillées. Je ne suis pas à l’aise si on entre dans des choses qui n’ont pas été préparées, donc j’essaie de ne pas le faire. Mais en football, il ne faut pas oublier qu’il y a des aspects tactiques très importants, mais aussi un aspect mental, un esprit de groupe. Et si je dois choisir entre une équipe meilleure tactiquement et une équipe avec une bonne mentalité, je suis sûr que je gagnerai plus de choses avec la mentalité. La tactique, c’est seulement un outil. »

Elles ont beau être idéales pour gérer un pays avec le plus de rationalisme possible, rares sont les révolutions qui se gagnent avec des calculatrices.

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