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À la recherche du temps perdu

Adulé en Belgique pendant six mois, rapidement déjugé par la suite, Lukasz Teodorczyk est un homme de contraste, capable de se mettre un vestiaire en poche, mais une opinion à dos. De rester deux ans sans marquer, mais de vivre sur ses statistiques. Anonyme en Italie, l’ancien striker d’Anderlecht revient en Pro League par la grande porte en débarquant chez le leader du championnat.

La première fois que Lukasz Teodorczyk a croisé la route de Charleroi, Dorian Dessoleil avait encore des cheveux. Et Nicolae Stanciu une fameuse cote à Anderlecht. Pour sa première en mauve, le Roumain, transféré contre dix millions d’euros quelques jours plus tôt, avait ébloui l’assistance. Nous sommes le 11 septembre 2016. Et à l’époque, le prêt payant à un million d’euros et les quatre buts depuis le début de saison de Lukasz Teodorczyk ne pèsent rien face au récital du jour de celui qui doit ramener le football champagne à Bruxelles.

« Il n’était tout simplement pas fait pour le jeu de l’Udinese. »

Bram Nuytinck

Pourtant, Stanciu ne fera pas de vieux os dans le football pragmatique de René Weiler. À l’inverse, les dispositions naturelles pour le volley du grand échalas polonais y trouveront un terrain de jeu appréciable. Dans les six mois qui suivent son arrivée au Parc Astrid, Teodorczyk plante 24 buts, dont 80% de smashes envoyés en une seule touche de balle dans les filets adverses.

 » Il marquait même de l’oreille « , confiait à Sport/Foot Magazine Davy Roef, victime privilégiée du Polonais lors des différentes séances d’entraînement, en décembre 2016, au sortir de la période faste de son attaquant. De quoi, à l’époque, faire décoller le compteur de passes décisives de joueurs comme Uros Spajic, Ivan Obradovic, Alexandru Chipciu ou Massimo Bruno.  » Je ne sais pas si on avait vraiment beaucoup de mérite « , se marre presque aujourd’hui le dernier cité.  » Il n’y avait que lui qui marquait, donc forcément, c’est à lui qu’on faisait la passe. Parce qu’il était en feu, tout simplement.  »

Dans quelques semaines, une fois remis de sa grave blessure au genou, Massimo Bruno espère retrouver son ancien complice dans le onze de Karim Belhocine. Sans savoir qui de l’un ou de l’autre sera réellement le plus à court de rythme. Si la dernière apparition de Teo en match officiel ne remonte qu’au 15 juillet dernier, il faut par contre rembobiner vingt mois en arrière pour trouver trace de son dernier et seul but inscrit en Serie A avec l’Udinese.

 » Je me souviens de ce match contre le Chievo « , rejoue Bram Nuytinck, ancien d’Anderlecht arrivé un an avant le Polonais dans le Frioul.  » Il était absent des terrains depuis plusieurs mois et il était finalement monté au jeu à huit minutes du terme, alors que le score était encore de 0-0. Quelques instants plus tard, on le fauchait dans le rectangle. Penalty ! Là, il ne s’est pas posé beaucoup de questions. Il a pris le ballon et il a fait comprendre à tout le monde qui c’était à lui de le tirer. Je me suis dit :  » Ça, c’est le Teo que je connais. Celui qui veut toujours marquer, qui ne pense qu’à ça.  »

Ce que le défenseur néerlandais aux 157 matches en mauve ne raconte pas, c’est que Teo échouera sur le gardien adverse, avant de voir, tout heureux, le cuir lui revenir dans les pieds et finir dans le but vide. Comme une métaphore de ces deux années de galères passées en Italie, à alterner les moments d’insouciance et les durs rappels à la réalité du Calcio.

Un cadre à prix d’or

 » Teo a connu une période compliquée ces deux dernières années, entre autres à cause de blessures à répétition « , insiste encore Nuytinck.  » Mais il faut lui reconnaître une chose, c’est qu’il s’est battu. Il s’est rendu compte assez vite qu’il n’était pas le premier choix, mais il n’a jamais baissé les bras. Il a toujours travaillé dur pour revenir. Sauf qu’à chaque fois, il y avait quelque chose qui n’allait pas. Typiquement, il revenait dans le noyau, le coach lui offrait quelques minutes de jeu et il se blessait dans la foulée. Mais il n’y a jamais rien eu à redire sur son attitude.  »

Frank Boeckx à propos de Teodorczyk :
Frank Boeckx à propos de Teodorczyk : « Les médias ont toujours pensé qu’il n’était pas accessible, mais en vrai, c’est un gars très ouvert. »© BELGAIMAGE

Cela n’aura pas non plus été le sujet de conversation le plus en vogue du côté de Charleroi ces derniers jours. Convaincu que l’état d’esprit du joueur pourrait se greffer à merveille au groupe de Belhocine, les doutes entourant l’arrivée de la nouvelle doublure de Kaveh Rezaei chez les Zèbres étaient d’abord liés à l’état de forme du joueur. Rassuré par une visite médicale effectuée à distance, mais au rapport détaillé, le dernier mot reviendra finalement au T1 en personne.  » Il m’a dit texto : si tu sais le faire, fais-le « , raconte Mehdi Bayat.  » Et puisque Teo n’est pas le genre d’attaquant qu’on a besoin de profiler trop longtemps et que la facilité des relations entre Mogi et le club nous a d’entrée permis de voir si le deal était crédible, tout ça s’est fait en une petite semaine.  »

Un deal rondement mené, mais loin d’être gratuit. Parce que les doutes, s’il devait y en avoir, concerneraient plus l’intérêt d’un tel investissement financier pour un joueur de 29 ans, débarqué dans le Pays Noir sans option d’achat. Impayable pour Charleroi, le salaire du Polonais répond aux normes italiennes et aura demandé à l’actuel leader du championnat un véritable effort, le plaçant de facto parmi les cadres les mieux rémunérés du noyau, même si les émoluments du joueur ne seront évidemment pas à la seule charge des finances zébrées, loin de là.

Son arrivée a donc été une surprise totale. Mais Teo, ce n’est pas le genre de joueur que tu refuses.

Massimo Bruno, son équipier à Anderlecht et à Charleroi

Jugé par Karim Belhocine complémentaire avec les profils actuellement présents dans son groupe, il n’y avait dès lors plus de raison de voir le transfert capoter. Un temps convoité par des clubs turcs, c’est le joueur lui-même qui aura marqué son aval pour rejoindre le Sporting, son ancien entraîneur adjoint à Anderlecht, mais aussi ses deux anciens coéquipiers à Bruxelles : Ryota Morioka et Massimo Bruno.  » Nous, comme d’habitude, on a appris son transfert via la presse, on n’était au courant de rien « , raconte Bruno, sans se vexer.  » Son arrivée a donc été une surprise totale. En même temps, il n’avait pas besoin de me demander mon avis. Teo, ce n’est pas le genre de joueur que tu refuses. C’est un mec hyper chill dans un vestiaire. Le fou qui est en lui, c’est vraiment sur le terrain que tu le voies. Là, c’est un vrai chien, un battant, mais en dehors, c’est une crème.  »

Personnalités multiples

Le genre de profil à qui l’on pardonne beaucoup. En janvier 2018, en stage à La Manga avec les Mauves, et alors qu’il reste sur un début de saison moribond avec trois buts en 17 apparitions, le Polonais est élu deuxième au referendum de  » l’équipier le plus marrant « , derrière un certain Frank Boeckx. Preuve que malgré ses déboires et quelques tacles appuyés à l’entraînement sur les jeunes Francis Amuzu et Edo Kayembe, le groupe n’a jamais tourné le dos à ce personnage atypique, mais visiblement attachant dans l’intimité.

 » Les médias ont toujours pensé qu’il n’était pas accessible, mais en vrai, c’est un gars très ouvert « , veut corriger Boeckx, son grand allié dans le vestiaire de l’époque.  » C’est juste qu’il n’aime pas parler à la presse ( voir encadré). Mais en soi, il est cool, c’est un gars avec qui tu peux rigoler.  »

À entendre le dernier rempart de René Weiler, ce ne serait d’ailleurs pas un hasard s’il a réalisé cette année-là sa meilleure saison et quelques exploits.  » On se poussait l’un l’autre vers le haut en faisant des petits paris à chaque entraînement. En gros, s’il me mettait cinq goals ou plus, je devais laver ses chaussures. Et inversement, il lavait les miennes dans le cas contraire. Bon, j’ai souvent lavé ses chaussures, mais au final, on a été champions de Belgique ( rires).  »

Tactiquement épanoui dans le dispositif en 4-3-3 du Suisse, qui mise beaucoup sur la capacité de centre de ses ailiers, le meilleur buteur de l’exercice 2016-2017 du championnat n’aura jamais la même réussite sous Hein Vanhaezebrouck la saison suivante ou, pire encore, en Italie.  » Il faut savoir que la Serie A, c’est spécial. Rien à voir avec le championnat belge ou néerlandais « , précise Bram Nuytinck.  » Tout le monde le sait, c’est un championnat ou l’art de défendre est important. Pour un attaquant, c’est donc plus difficile de se démarquer de son adversaire. Mais je ne crois pas non plus qu’il n’était pas fait pour la Serie A. Juste que le jeu de l’Udinese en 5-3-2 ne lui convenait pas, et vice versa. Notre bloc était très bas et forçait les attaquants à descendre presque dans notre moitié de terrain pour toucher quelques ballons.  »

« Teo, ce n’est pas le genre de joueur qu’on refuse », estime Massimo Bruno.© BELGAIMAGE

Jamais assez au goût de cet hyperactif prononcé. Rarement épanoui en Italie, Lukasz Teodorczyk a désormais sept mois devant lui pour prouver qu’il peut encore performer en Belgique, dans le onze d’un coach qu’il connaît bien pour l’avoir côtoyé en tant qu’adjoint de Vanhaezebrouck. HVH, un entraîneur rapidement obligé d’admettre, dès janvier 2018, trois mois après sa prise de fonction, ne pas toujours comprendre comment son buteur fonctionnait.  » Ce n’est pas évident « , déclare-t-il au cours d’un point presse organisé lors du stage effectué à La Manga à l’époque.  » Il vit dans son monde, il peut être de bonne humeur le matin, frustré cinq minutes plus tard, puis se remettre tout aussi rapidement à rigoler.  »

Barré par Dimata, Santini et… Dauda !

Difficile à cerner, en panne face aux buts et hanté par ce match de novembre 2017 face au Bayern en Ligue des Champions, où il perd trois fois son face-à -face avec le gardien bavarois, Teo se retrouve vite sur une voie de garage. Les Mauves pensent une première fois à s’en débarrasser en janvier 2018, juste avant la passation de pouvoir entre Roger Vanden Stock et Marc Coucke. Au sein de l’ancienne direction, il n’y alors plus grand monde pour défendre le Polonais, mais une multitude d’intérêts pour vendre l’attaquant à bon prix avant l’arrivée officielle de Coucke. Proposé à Nantes, Bordeaux, Malaga, Hambourg ou l’Atalanta, son agent prétend même que la Roma se serait mise sur les rangs en cas de départ d’ Edin Dzeko. Fin février 2018, Herman Van Holsbeeck sonde encore le marché asiatique pour refourguer son ancien buteur à bon prix. Sans succès, encore une fois.

Le transfert de Teo à Udinese est réglé par l’entremise de Mogi Bayat, le seul capable de finaliser cet dossier épineux.

La patate chaude reviendra donc à Marc Coucke. Optimiste, celui-ci s’affiche dès son arrivée à la présidence au plus près de son buteur polonais. Son triplé pour la première de Coucke, contre Mouscron le 25 février 2018, ouvre, pense-t-on à l’époque, une nouvelle ère. Six mois plus tard, Lukasz Teodorczyk est pourtant déjà relégué à la quatrième place dans la nouvelle hiérarchie offensive bruxelloise, derrière Landry Dimata, Ivan Santini et même Mohammed Dauda. 743 jours après y avoir posé ses valises, Teo quittait finalement la capitale belge pour la  » galaxie Pozzo « , du nom de cette famille à la tête des clubs de Watford et Udinese. Une affaire réglée par l’entremise de Mogi Bayat, le seul capable de finaliser un dossier épineux sur lequel Luc Devroe s’était précédemment cassé les dents.

La somme évoquée pour son transfert tournerait autour des 3,5 millions d’euros. Approximativement quatre fois moins que ce qu’Anderlecht espérait encore en tirer 18 mois plus tôt, après les débuts sidérants de Teo. La preuve que vendre et acheter au bon moment, c’est un métier. Une matière dans laquelle excelle Charleroi depuis quelques années maintenant. Tellement longtemps que Dorian Dessoleil en aura perdu ses cheveux dans l’intervalle.

Pour vivre heureux, vivons cachés

Lukasz Teodorczyk partage déjà au moins un point commun avec son nouvel entraîneur Karim Belhocine. Celui de ne jamais accorder d’interview individuelle en dehors des obligatoires points presse. Une volonté de ne pas se mettre en avant pour le coach carolo, une vieille habitude pour l’attaquant polonais. Le malaise remonte à 2012 et à la parution d’un article relatant son enfance compliquée du côté de Zuromin, petite ville de 9.000 âmes, située dans le centre-est de la Pologne. À l’époque, le sujet évoque  » un père alcoolique, violent et démissionnaire « ,  » une mère qui tente de joindre les deux bouts pour ses trois fils « , dont l’aîné, Thomas, aurait eu  » un penchant pour le vol et la drogue.  » Un résumé caricatural et mal venu que ne digérera visiblement jamais le jeune Lukasz.

Ce que l’histoire ne raconte pas à l’époque, c’est que malgré une enfance parfois chahutée, celui que ses amis d’époque surnomment Shazza devient vite une sorte de mascotte pour son lycée et sa ville de Zuromin toute entière. Élève moyen, mais star de la cour de récré, le jeune Teo y empile les récompenses sportives en même temps qu’il devient un grand espoir du Wkra Zuromin, le club du coin. Il attendra pourtant ses 18 ans pour quitter le nid et ainsi aider le plus longtemps possible sa mère, Teresa. Dans le même temps, sur le même bitume de son école primaire qui l’a vu grandir, Teo ne laisse rien transparaître de ses problèmes personnels. Là, le week-end, il est l’ado branché à l’initiative de soirées à succès, organisées une fois par mois. Il y est DJ, chanteur et même breakeur, mais jamais silencieux. Une personnalité multiple qui s’engagera aussi, quelques temps avant son départ du village, dans le téléthon local. Dix ans après avoir quitté le foyer familial en 2010, huit ans après sa dernière interview individuelle avec la presse, Lukasz Teodorczyk est, dit-on, un homme heureux. Mais qui ne daigne le confier qu’à ses très proches.

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