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Zlatan Ibrahimovic, la disgrâce du lion

Son ego, ses coups de sang, sa fortune: à Malmö, sa ville natale, les supporteurs de Zlatan Ibrahimovic ont toujours défendu les excès du surdoué du foot issu de l’immigration, contre les critiques parfois teintées de racisme. Mais son entrée au capital d’un club stockholmois ne passe pas.

Depuis qu’il a annoncé il y a un mois investir dans Hammarby IF, la statue de bronze à son effigie est régulièrement dégradée. Inaugurée en octobre en présence de milliers de fans aux abords du stade où il a fait ses débuts professionnels, on lui a scié les pieds et passé la corde au cou.

« Il est perdu pour Malmö, c’est la rupture », affirme Kaveh Hosseinpour, le vice-président des supporters du Malmö FF, où l’attaquant a commencé en 1999.

Interrogé par le site américain TMZ, « Ibra » a assuré n’avoir « rien vu » des dégradations visant la statue, dont certaines ont été filmées et diffusées dans la presse.

Fils d’un Bosnien et d’une Croate, l’attaquant de 38 ans a grandi à Rosengård, un quartier populaire de Malmö. C’est ici qu’il a tapé ses premiers ballons, entre deux blocs d’immeubles décatis. C’est ici, aussi, que s’est forgée sa légende.

« Pas un jour ne se passe sans qu’un jeune me dise qu’il est le nouveau Zlatan », raconte à l’AFP Ivan Milosevic, qui enfant jouait avec la star au FBK Balkan.

Ajax Amsterdam, Milan AC, Inter Milan, FC Barcelone, Paris SG, Manchester United: le « lion », comme il aime à s’appeler, a fait le tour de l’élite européenne avant de signer en 2018 au Los Angeles Galaxy, bâtissant une légende que les gamins du quartier perpétuent.

Zlatan, Ikea, ABBA…

L’un des meilleurs de sa génération, le footballeur est depuis considéré comme « un bien public national », avance Johanna Frändén, journaliste au quotidien Aftonbladet qui titre souvent « Zverige » dans ses pages sports.

La puissance d’identification est encore plus vive chez les jeunes issus de l’immigration qui admirent sa morgue, son individualisme et son ambition dans un pays libéral mais luthérien, où discrétion et humilité restent des vertus cardinales, où la réussite sociale ne s’étale pas forcément sur Instagram.

Avec 116 sélections nationales et 62 réalisations, le géant d’1m95 qui se compare volontiers à… Dieu, est le meilleur buteur des « jaune et bleu ».

« Avec lui la Suède ce n’est plus seulement Ikea, ABBA et les boulettes de viande, c’est Zlatan, Ikea, ABBA et les boulettes de viande », reconnaît Kaveh Hosseinpour.

Les fans étaient prêts à tout pardonner à leur prodige à l’accent de banlieue, mais en annonçant sa « trahison » au profit d’un club de la capitale, Ibrahimovic a « définitivement coupé les ponts » avec ses plus fervents supporters, selon le journal populaire Expressen.

« On a été très surpris » quand il a annoncé prendre 25% des parts du club d’Hammarby IF, admet Frida Trollmyr, ajointe à la maire de Malmö chargée du sport, interrogée par l’AFP.

La star a eu l’audace d’ajouter qu’il comptait faire du Hammarby IF — une seule fois champion de Suède tandis que Malmö FF affiche 20 sacres — le meilleur club de Scandinavie.

Symbole de l’immigration

Pourquoi cet investissement est-il perçu comme une provocation?

« Tout ce que fait Zlatan a à voir avec l’argent », assure Kaveh Hosseinpour, lassé de le voir sans cesse sur des publicités, ici des téléphones, là des voitures, alors que le taux de chômage chez les jeunes hommes de son quartier est l’un des plus élevés du pays. Dans certains districts, il atteint 85%.

Pour Katarzyna Herd, ethnologue et spécialiste du football suédois, Zlatan, que ses contempteurs accusent d’être un mercenaire, est d’abord un homme libre.

Il « a reçu beaucoup d’amour et de respect de Malmö (…) mais il n’a jamais promis sa loyauté en retour », analyse-t-elle.

Au pied de la statue profanée, un inconnu a écrit « Cigani dö »: « tzigane » en langue slave, « meurs » en suédois. Suédois quand il gagne, étranger quand il s’affranchit.

Johanna Frändén rappelle que « les injures racistes ne sont jamais loin quand Zlatan se fait critiquer car il est vraiment un symbole de l’immigration en Suède ».

Mais pas seulement. Même dans son fief, stigmatisé pour son trafic de drogue, sa détresse sociale et ses règlements de comptes, le désamour se lit sur le bitume.

Près du mini-terrain de foot qu’il a fait construire en face de son ancien immeuble à Malmö, cet aphorisme zlatanesque « Un mec peut quitter Rosengård mais Rosengård ne pourra jamais le quitter » a été récemment enrichie de ces quelques mots: « Si, avec de l’argent ».

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