© BELGAIMAGE

Vie et mort de Louis la Brocante

Louis Nicollin, le président historique du Montpellier Hérault, est mort la semaine dernière dans un restaurant, le jour de son anniversaire. Par-delà la stupéfaction liée à son décès, c’est tout un pan du football français qui disparaît.

La nouvelle est tombée comme une mauvaise plaisanterie de fin de banquet, la dernière farce de l’histrion du football français. Louis Nicollin (74 ans), le président historique du Montpellier Hérault, est décédé le 29 juin dernier, suite à un malaise cardiaque à Garons, dans le Gard. Le gaillard aura soigné sa sortie : mourir le jour de son anniversaire dans un restaurant gastronomique, lui le bon vivant en surpoids perpétuel. « Il va laisser un vide gigantesque », pointe Pierre Mosca, l’ancien entraîneur de Montpellier (1987-89). Des présidents comme lui, il n’y en aura plus jamais. C’est une certaine idée du foot qui s’en va avec lui. »

A l’heure des actionnaires « exotiques » (Etats-Unis, Chine, Russie, Qatar…) qui affluent vers la Ligue 1 et de présidents-délégués qui ne mettent pas un euro dans leur club, Louis Nicollin constituait un cas d’école. Une façon de faire médiévale. Né dans la Drôme pendant la Seconde Guerre mondiale, Nicollin grandit à Saint-Fons (Rhône) de l’autre côté du périph’ lyonnais, à quelques encablures du stade de Gerland. Son père Marcel le destine à reprendre le business familial, une entreprise de ramassage de poubelles, fondée en 1949.

« Tous les étés, il le collait au cul des camions pour charger les poubelles à 4 heures du matin », assure Gilbert Varlot, ancien directeur du troisième groupe du secteur (300M€ de chiffre d’affaires et 5000 salariés aujourd’hui) et présent à ses côtés depuis 1964. « L’ironie, c’est que ce samedi 1er juillet, ça aurait fait cinquante ans jour pour jour que nous sommes arrivés à Montpellier. On y a fait nos vies, on s’est mariés, nos enfants y sont nés », poursuit celui qui allait devenir le trésorier du club, la voix cassée.

A deux, ils montent une équipe corporative en 1969, la Formation Sportive de Nettoiement ( !), qui devient bien vite championne de France. En novembre 1974, ce club corporatif fusionne avec le Montpellier-la Paillade Sport Club Littoral, un club de division d’honneur (4e niveau) à l’agonie qui joue à la Mosson, un quartier difficile de la cité languedocienne.

S’ensuivent une multitude d’exploits en Coupe de France (dont une demi-finale en 1980 après l’élimination des Verts de Michel Platini) et des montées : en D3 en 76, en D2 en 78, puis la D1 en 81 avec Kader Firoud, l’ancien entraîneur mythique des Crocodiles nîmois.

L’accès au paradis ne dure qu’un an, le temps de goûter à un fruit longtemps convoité avant de redescendre au purgatoire. La Paillade reste encore cinq ans en D2 mais Nicollin se fait déjà sa place au sein du foot français. A la fin de la décennie, il devient même un temps l’intendant de l’équipe de France de son ami -et sélectionneur- Michel Platini.

« Il ne laissait personne derrière », avance René Girard, un autre ancien Nîmois, qui mènera le club au titre de champion en 2012. Comme Claude Bez (le président de Bordeaux des années 80), c’était un gars entier, brut qui disait ce qu’il avait à dire sans s’occuper des conséquences. Un type un peu vieux jeu avec qui il suffisait de se taper dans la main et qui n’avait qu’une parole. »

La Coupe avec Blanc et Cantona

En 1987, Montpellier (re)trouve sa place dans l’élite et y restera treize ans. Le temps de gagner une Coupe de France en 1990 avec Laurent Blanc et Eric Cantona, sous les ordres de Michel Mézy, un ex-Crocodile de…Nîmes. Dans l’intervalle, la huitième agglomération du pays est devenue une métropole attractive, où les étudiants se pressent, où les entreprises high-tech rivalisent et où de nombreux clubs de sports collectifs évoluent dans l’élite (rugby, handball, basket, volley).

« Montpellier n’est pas une ville de football comme peuvent l’être Marseille ou Nice », assure Varlot. « En 2012, quand on a été champion, on a dû remplir le stade trois fois dans la saison. ‘Loulou’, ça le minait. » Pour quelqu’un qui a investi beaucoup de ses deniers personnels depuis quarante-trois ans, c’est presque incompréhensible. Dans son entreprise de collecte des ordures comme dans son club, Nicollin a toujours fait primer un management humain où les anciens pouvaient toujours trouver une place.

Mais cela ne l’empêchait pas de piquer des colères légendaires et de s’embrouiller à intervalle régulier avec ses cadres. « Il voulait souvent avoir raison et alors le moteur s’emballait » se souvient Mosca. Quand il était allé trop loin et qu’il se retrouvait seul, il se sentait tout mal. »

Tour rentrait dans l’ordre quand le président soupe-au-lait recouvrait ses esprits. « Il est d’une fidélité absolue et n’oublie jamais personne, anciens joueurs comme employés du groupe », argumente Henry Kasperczak, ex-coach héraultais (1990-92), depuis la Pologne.

Dans les années 2000, le club de la Paillade retrouve parfois la Ligue 2 (six ans en deux fois) et Nicollin diversifie ses investissements. Il devient le sponsor de l’AS Béziers (Hérault), un club historique du rugby français, il achète un club de basket et de hand à Paris puis il entre au capital du Montpellier Hérault Rugby Club.

« Il a toujours adoré tous les sports et il était comme un gamin devant n’importe quel champion. C’est pour ça qu’il a créé un musée des sports chez lui avec des pièces uniques », renseigne Pascal Baills, un ancien joueur du cru, devenu T2. Depuis quarante-trois ans, le Montpellier Hérault a toujours été géré comme une petite épicerie au milieu des grosses enseignes de Ligue 1, presque une incongruité.

Le mois dernier, au moment où le championnat de France se pâme devant les entraîneurs étrangers de renom (Ranieri, Bielsa, Emery, Jardim, Favre…), Nicollin rappelle Michel Der Zakarian, un ancien soldat obscur du club. Sa façon à lui d’être fidèle à une certaine tradition. Avec sa mort, le football français enterre un de ses derniers dinosaures et une certaine idée du foot à l’ancienne. Ses deux fils, Laurent (pour le club de foot) et Olivier (pour le groupe Nicollin) auront à coeur de perpétuer l’aventure. Pas sûr qu’ils réussissent à faire oublier un homme bigger than life.

Par Rico Rizzitelli

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire