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Verratti, Insigne, Immobile, les joyeux Dauphins de Zeman ont atteint le toit de l’Europe

Fabien Chaliaud Journaliste

Voici dix ans, le trio évoluait dans l’antichambre de l’élite italienne sous la houlette d’un entraineur un peu bohème. Les voici désormais sur le toit de l’Europe. Retour sur la saison qui a tout changé pour trois des titulaires de la Squadra Azzura pendant ce tournoi.

Pescara, cité balnéaire de 100 000 habitants, est bordée par la mer Adriatique et entourée par les Abruzzes. Très prisée par les touristes en raison de son climat, la commune doit son nom à la pêche et à la richesse de l’embouchure de son fleuve, l’Aterno-Pescara, réputé pour héberger de nombreux poissons. Pas étonnant dès lors que l’équipe locale ait choisi le nom de Delfino, le dauphin étant un animal aquatique même si celui-ci n’a pas établi ses quartiers dans la mer Adriatique.

UN DAUPHIN AU MILIEU DES PÂTES

Et pourtant, contre toute logique, ce nom fait plutôt référence aux pâtes et au fondateur de l’une des plus grandes et des plus modernes usines de pâtes de la Botte dans les années 20 : Angelo Delfino.

Passionné de calcio, l’industriel, issu d’une noble lignée du Piémont dont l’emblème des armoiries était un dauphin gris, pratique déjà le naming avant l’heure puisque le club qu’il lance porte le nom de sa marque : Puritas. En 1936, l’équipe est rebaptisée Associazione Sportiva Pescara. Elle ne fera référence à Delfino qu’en 2009 lorsque le club renaîtra de ses cendres après avoir été mis en faillite en 2007.

Zdenek Zeman, clope au bec
Zdenek Zeman, clope au bec© iStock

ZEMAN, LA CLOPE ET L’OFFENSIVE

Habitué à la Serie B, Pescara n’a évolué qu’à cinq reprises au sein de l’élite transalpine lorsqu’un entraineur tchèque, la cigarette collée à la bouche tel Raymond Goethals, vient s’asseoir sur le banc du stade Giovanni Cornacchia. Zdenek Zeman est un personnage atypique dans le calcio et il ne laisse personne indifférent dans cette Italie où il vit depuis 1968. Parti en vacances chez son oncle résident à Palerme, Zeman va prolonger son séjour en Sicile suite aux réformes de libéralisation politique post Printemps de Prague qui seront menées par le premier secrétaire du Parti communiste.

Cestmir Vycpalek, le tonton de Zeman, n’est pas un inconnu dans le foot transalpin. Il a quitté la Tchécoslovaquie d’après-guerre pour s’engager à la Juventus comme joueur. Après des passages à Palerme et Parme, il embrasse ensuite la carrière d’entraineur qui connait son point d’orgue au début des années 70 lorsqu’il permet à la Juventus de gagner deux Scudetti. Un club qui n’est pourtant pas connu pour être l’un des préférés du romantique et impétueux Zdenek Zeman. Défenseur d’une certaine éthique, le Bohémien n’a pas hésité à se montrer virulent envers les Bianconeri au début des années 2000 alors que le scandale du Calciopoli n’a pas encore éclaté officiellement. Il a aussi dénoncé certaines pratiques dopantes trop présentes à son goût enSerie A.

Zeman a cultivé son goût pour le foot offensif lors de sa formation de coach où il fréquenta un certain Arrigo Sacchi. Opposés au catenaccio et au pragmatisme du football italien des années 80, ils apporteront une révolution dans les mentalités, même si les titres et les trophées récompenseront plus le travail du mage de Fusignano que celui du Praguois. Le « Prophète » comme on le surnomme n’a que trois titres à son palmarès: deux en Serie B et un en Serie C alors que ses formations ont terminé à 8 reprises comme meilleure division offensive de leur série.

SANS LE SAVOIR, Z.Z ÉCRIT LE FUTUR DE LA SQUADRA

En Série A, Zeman fait surtout parler de lui à Rome. Non seulement parce qu’il coaché les deux formations de la Ville Eternelle, mais aussi pour en avoir fait des attaques redoutables mais devant se contenter de places d’honneur. En 2021, Zeman est revenu sur le banc de Foggia, le club dont il aura marqué l’histoire au fer rouge avec une montée en première division. C’est le deuxième retour du natif de Prague sur le banc des Satanelli. Le premier avait eu lieu lors de la saison 2010-2011 et ne fut pas aussi fructueux qu’espéré. Après une décevante sixième place, le technicien naturalisé italien décide de s’engager avec le Delfino Pescara et y écrira sans le savoir le futur de la Squadra Azzurra un peu moins de dix ans plus tard.

Dans les Abruzzes, le double Z ne débarque pas en terrain inconnu puisqu’il retrouve un certain Lorenzo Insigne qu’il a dirigé lors de la saison écoulée à Foggia. Le format de poche qui rêve d’un destin à la Alessandro Del Piero, son idole absolue, enchaîne son troisième prêt depuis qu’il est passé pro à Napoli. Il reste cependant sur une saison prolifique à 19 buts à Foggia et espère confirmer celle-ci sous la houlette d’un entraineur qu’il a appris à connaître.

Verratti, Immobile, Insigne ne savaient pas encore qu'ils se retrouveraient en finale d'un Euro.
Verratti, Immobile, Insigne ne savaient pas encore qu’ils se retrouveraient en finale d’un Euro.© iStock

Au Delfino, tous les regards sont rivés vers un petit format né dans la ville. Marco Verratti a 18 ans et du talent plein les pieds. Particulièrement précoce, il a disputé une petite dizaine de rencontres de Serie C à seulement 16 ans et s’est imposé comme titulaire lors de la saison écoulée, disputée un étage plus haut. Rien ne dit cependant que son association avec Insigne va porter ses fruits, surtout que l’équipe manque d’un attaquant capable de faire trembler régulièrement les filets. Napolitain comme Insigne, Ciro Immobile enchaîne aussi les locations depuis qu’il est passé pro à 18 ans à la Juve. A Sienne, la réserve officieuse de la Vecchia Signora, il peine à s’imposer et ne marque pas plus les esprits et que de buts à la pelle lors de son passage chez le modeste Grossetto.

Mais dans le football ultra offensif de Zeman où la ligne défensive joue à hauteur de la ligne médiane et où les attaquants ne doivent cesser de bouger, la magie va rapidement opérer entre les trois hommes qui vont devenir les artisans de la montée parmi l’élite italienne.

Lors de la journée inaugurale, Pescara frappe un grand coup en s’imposant 1-2 chez l’un des favoris à la montée, l’Hellas Vérone. Ciro Immobile ouvre son compteur avant de claquer un doublé quatre jours plus tard contre Empoli. Le Bomber est désormais lancé et ne s’arrêtera plus. Porté par l’efficacité d’un Immobile, auteur de 28 réalisations et capocannoniere (meilleur buteur) de la série, et d’un Insigne (18 pions et 13 passes décisives), le Delfino termine à égalité de points avec le Torino (83 points). Un scénario rendu possible grâce à la victoire 2-0 des Biancazzurri contre leur rival, grâce à des buts d’… Immobile et d’Insigne.

En Italie, c’est la différence de buts qui départage les ex-aequos. Et à ce petit jeu, les +35 de Pescara feront la différence face aux 28 du Toro. Avec 90 buts en 42 parties, soit 2,14 buts par rencontre, la bande duMister ZZ termine largement meilleure division offensive de l’antichambre de l’élite italienne avec 27 pions en plus que son plus proche poursuivant…

Insigne buteur contre le Torino permet à Pescara de revenir à égalité au classement avec son adversaire du jour. La différence de buts fera le reste pour le gain du titre de champion.
Insigne buteur contre le Torino permet à Pescara de revenir à égalité au classement avec son adversaire du jour. La différence de buts fera le reste pour le gain du titre de champion.© iStock

Pendant ce temps, Marco Verratti rayonne dans l’organisation du jeu et délivre 9 passes décisives tout au long de la saison, ce qui vaut à celui qui est déjà surnommé « Petit Hibou » d’être considéré comme le successeur naturel d’un Andrea Pirlo approchant tout doucement du crépuscule de sa carrière.

LE DÉPART VERS D’AUTRES HORIZONS

Les trois compères n’accompagneront pas les Dauphins en Serie A. Leurs chemins se séparent en même temps que celui avec Zdenek Zeman qui décide de retenter sa chance sur le banc de l’AS Roma. Orphelin de son trio infernal et de son magicien sur le banc, Pescara termine lanterne rouge lors de sa saison parmi l’élite avec 28 défaites en 38 matches.

Verratti s’envole pour un PSG pas encore aussi puissant qu’aujourd’hui pour attirer une kyrielle de noms ronflants. Pourtant, quasiment dix ans plus tard, l’international italien est toujours présent dans la capitale française où il est devenu l’une des pièces maîtresses. A coup sûr le transfert le plus rentable et le plus malin de l’ère qatarie.

Ciro Immobile s’engage au Genoa sans connaître la même réussite et c’est finalement chez l’ancien rival de Serie B de Torino qu’il éclate définitivement à l’étage supérieur en terminant à nouveau capocannoniere en juin 2014. Malheureusement pour le Napolitain, ses expériences loin de l’Italie seront moins fructueuses. Jurgen Klopp veut en faire le successeur de Lewandowski au Borussia Dortmund mais l’Italien ne s’y imposera jamais. Il perdra ensuite, selon ses dires, une année à Séville (en prêt) avant de retourner en location au Torino sans retrouver le rendement qu’il avait pu y avoir. Malgré cela, la Lazio l’engage à l’été 2016 et réussit un coup dans le mille. Immobile empile de nouveau les buts dans la Botte sous le maillot bleu-ciel et termine deux fois meilleur réalisateur.

Leonardo Insigne est rentré du côté du San Paolo où il est devenu l’un des chouchous du public et le capitaine. Une centaine de buts et 400 matches plus tard, il ne lui manque désormais qu’un trophée majeur pour s’inscrire en lettres d’or dans le panthéon desPartenopei.

Lors de l'hymne nationale, Leonardo Bonucci se tape l'incruste entre les trois potes du Delfino
Lors de l’hymne nationale, Leonardo Bonucci se tape l’incruste entre les trois potes du Delfino© iStock

DES FORTUNES DIVERSES

Neuf ans après ce titre en D2 italienne, les trois compères viennent donc de mener la Squadra Azzurra sur le toit de l’Europe. Toujours titulaires, sauf Verratti blessé qui attendra le troisième match, les trois copains ont connu des fortunes diverses. Petit Hiboua été étincellant, apportant sa rigueur et son vice à un entrejeu italien rayonnant tout au long du tournoi. Malgré les deux belles prestations de Manuel Locatelli lors de son absence, Roberto Mancini lui a maintenu sa confiance et il le lui a bien rendu.

Insigne, Il Magnifico, a trouvé le complément idéal sur le côté gauche avec Leonardo Spinazzola. Les montées incessantes du piston romain ont permis au format de poche italien de rentrer dans le jeu et de chercher le 1 contre 1 avec notamment un bijou de frappe enroulée contre les Diables rouges.

Avec deux buts, l’ailier du Napoli aura été une pièce importante de l’animation offensive de Mancini même s’il n’aura pas autant marqué les esprits que Federico Chiesa. Il n’empêche que son repositionnement en faux numéro 9 en finale couplé à la montée de Bryan Cristante aura permis, en partie, de renverser le cours d’un match bien mal embarqué pour la Squadra.

Dans cette apothéose de l’Euro, les 58 kilos d’Insigne auront plus pesé sur l’axe central défensif anglais que les 78 d’un Ciro Immobile qui n’aura pas réussi à dissiper les doutes quant à sa capacité à performer au plus haut niveau. Buteur contre la Turquie et la Suisse, la suite du tournoi du bomber laziale aura été un chemin de croix. Invisible et pataud, il ne se sera fait remarquer que par une simulation un peu grotesque sur le but d’ouverture de Nicolo Barella contre la Belgique.

Mais peu importe qu’il n’ait pas pesé autant sur le résultat final qu’à Pescara. Le voici désormais champion d’Europe comme ses deux autres compagnons d’armes qui n’imaginaient certainement pas vivre ensemble un tel moment voici neuf ans.

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