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Uruguay: la béquille, les vieilles dames et l’héritage du bâtisseur Tabarez

Il suffit d’entendre les mots pleins de respect de ses joueurs quand ils sont interrogés sur le « maestro » Oscar Tabarez: sélectionneur de l’Uruguay depuis 2006, il est l’architecte habité, unanimement reconnu et salué, du succès actuel voire futur de sa chère Céleste.

« C’est un honneur de l’avoir comme sélectionneur, tout le monde a un respect incroyable pour lui », a dit lundi le jeune milieu de terrain Rodrigo Bentancur… Et ça n’a même pas l’air d’être de la courtisanerie.

Car le « maestro », âgé de 71 ans, est quasi unanimement reconnu en Uruguay. « Pour moi, c’est un des meilleurs entraîneurs au monde », a aussi salué l’expérimenté « Pistolero » Luis Suarez, mercredi.

« Laisser un héritage »

« Avant son arrivée, il n’y avait pas d’ordre, pas de méthode de travail en sélection », expose enfin la star Diego Forlan sur ESPN. « On commençait à préparer un match deux jours avant et l’équipe changeait tout le temps. Il a imposé un plan de travail et un projet de jeu clair. »

Il fait encore bien mieux que reconstruire l’équipe première: quand il revient à la tête de la sélection, en 2006 après un court bail entre 1988 et 1990, le football uruguayen est à des années-lumière de son glorieux passé. La Céleste a manqué la qualification pour le Mondial-2006, après avoir quitté le précédent dès le 1er tour et manqué aussi les Coupes du Monde 1994 et 1998. Et la fédération est aux abois.

« Quand il arrive, il va ériger un modèle qui va des moins de 15 ans aux professionnels, il développe la détection sur tout le territoire uruguayen et va travailler avec un groupe réduit de joueurs », explique à l’AFP Romain Molina, Français bon connaisseur du petit pays sud-américain. « Quand il partira, il va laisser un héritage, un système, quelque chose qui le dépasse. Combien d’entraîneurs peuvent dire cela? »

Force de caractère

Partir? « Je fais beaucoup de physiothérapie, avec des médecins et des traitements, car je n’ai pas l’intention de partir », expliquait récemment, celui qui, atteint d’une neuropathie, se déplace difficilement à l’aide d’une béquille ou d’un fauteuil roulant… Ce qui inspire empathie et respect.

Cela témoigne aussi d’une vraie force de caractère: « on ne se rend pas forcément compte de la force qu’il lui faut pour être debout », observe Romain Molina. Et après plus de 180 matches aux commandes de la sélection, il reste « ultra respecté par les joueurs, et il n’a jamais été contesté parce qu’il a toujours été juste, clair et toujours capable d’expliquer ce qu’il fait. Un mec honnête, même s’il est dur, tu le respectes ».

Il a des résultats aussi: une Copa America remportée en 2011 et une demi-finale de Coupe du Monde en 2010, avec un Diego Forlan en état de grâce. Et une Céleste jamais ridicule, toujours pénible à battre.

Plus encore, l’homme semble habité par sa tâche. « Je sais que si on gagne encore un match, je vais commencer à recevoir des lettres de femmes de 80 ans qui me diront: +Je n’aime pas le football mais grâce à vous j’ai senti le besoin irrépressible de sortir et d’embrasser la première personne que j’ai croisée+ ».

« Connexion entre générations »

« Les joueurs savent tout ça, et ils en sont fiers », disait-il au début de la Coupe du Monde, interrogé sur une vidéo devenue virale d’écoliers uruguayens courant partout pour célébrer un but vainqueur lors du premier match, contre l’Egypte.

« Quand j’ai vu ces enfants, je me suis rappelé que le football était une religion dans mon pays. Elle est là, la connexion entre générations. Ces enfants ont couru partout, ils ont célébré et j’ai pensé qu’ils n’oublieraient jamais ce match. Ils en parleront à leurs enfants et petits-enfants », a-t-il expliqué dans un monologue aussi lunaire qu’émouvant, dans un contexte – la conférence de presse d’avant ou après-match – le plus souvent insipide et lénifiant.

Tabarez « ne veut pas former que des joueurs, mais aussi des hommes », expose encore Molina. « En 12 ans qu’il est là, il n’a jamais eu un mot de colère envers les arbitres… L’humain est très important pour lui, ce n’est pas du chiqué ». Et un coup d’oeil sur l’état du football du grand voisin argentin suffit à montrer, par contraste, tout ce que le foot uruguayen doit au « Maestro ».

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