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Tessa Wullaert, la flamme « rouche » qui a explosé à City

Pierre Danvoye
Pierre Danvoye Pierre Danvoye est journaliste pour Sport/Foot Magazine.

À 26 ans, Tessa Wullaert est l’une des têtes de gondole d’une sélection belge en pleine croissance. Mais avant de briller sous le maillot national et à Manchester City, l’attaquante avait passé un cap lors d’un mandat de deux ans au Standard. Retour sur une expérience charnière en bord de Meuse.

À force de diffusions télé, l’image devient de plus en plus familière. Du haut de son mètre 68, les cheveux solidement attachés et brassard au bras, Tessa Wullaert s’apprête à disputer le toss pour le compte des Red Flames. Transférée au coeur de l’été 2018 à Manchester City et capitaine de l’équipe nationale depuis la retraite d’ Aline Zeler, la Flandrienne est aujourd’hui l’un des grands noms du foot belge.

Mais avant de rejoindre le nord de l’Angleterre, la citoyenne de Tielt, en Flandre- occidentale était passée par Wolfsburg. Un ténor européen dans l’oeil duquel elle avait tapé après un séjour de deux saisons au Standard, marqué par des titres individuels et collectifs.

Championne de Belgique à deux reprises, joueuse de l’année et victorieuse de la Coupe en 2013/2014, meilleure buteuse de la prolifique année 2014/2015, qui verra le Standard Femina remporter la BeNeLeague ( une compétition disparue lors de la même saison, qui sacrait la meilleure équipe de Belgique et des Pays-Bas, ndlr), la jeune femme est parvenue à faire le tour de la question au pays en un temps record.

 » Quand tu as les qualités techniques, physiques et morales, le reste, c’est juste de l’adaptation. Et elle les possédait.  » Patrick Wachel, son coach à l’époque ( et qui entraîne aujourd’hui Anderlecht, ndlr), jette un coup d’oeil dans le rétro avec plaisir.

 » Elle a signé en 2013 « , rembobine celui qui en était à sa troisième saison à Liège au moment de l’arrivée de Tessa.  » Je la connaissais car elle jouait à Waregem. On avait déjà essayé de la recruter, mais cela ne s’était pas fait et elle est partie à Anderlecht, où elle ne se plaisait pas. Ensuite, on l’a recontactée et elle était très contente de venir chez nous. Tant mieux, car lors de sa saison au Sporting, elle nous avait mis un but qui nous avait éliminés en Coupe de Belgique !  »

Un caractère fort

À cette époque, Wullaert n’a que vingt ans et poursuit ses études de tourisme à Courtrai… soit à l’autre bout du pays.  » Je sortais des cours vers 15h30, puis je rentrais chez moi, près de Waregem, où ma maman me faisait à manger, avant de quitter mon domicile à 16 h pour ensuite rouler environ 90 minutes afin de retrouver des équipières et enfin rejoindre le club « , se souvient quant à elle la principale intéressée.

 » Je revenais finalement chez moi à 23 h et je reprenais les cours le lendemain matin. L’année suivante, j’ai déménagé à Louvain, où j’effectuais mon stage pour mon baccalauréat. Ce n’était pas toujours facile, mais c’était vraiment ce que je voulais.  »

 » C’est une vraie bosseuse depuis toujours. Elle a du talent, mais elle a énormément travaillé pour arriver là où elle est « , salue son amie et ancienne équipière Aline Zeler. Aujourd’hui consultante pour RTL Sports, Eleven et coach des jeunes du PSV, la Bercheutoise flirte avec la trentaine lors du transfert de Tessa dans la Cité ardente.

Débarquée quelques années auparavant à Liège, elle fera office de grande soeur pour la nouvelle venue.  » J’avais évolué aux postes de numéro 9 et 10, ce qui fait que je pouvais lui apprendre des choses « , explique-t-elle.  » Et même quand j’ai reculé dans le jeu, on se trouvait bien. On s’est pris pas mal de délires ensemble.  »

Mais c’est aussi au niveau mental que le passage au sein d’un Standard discipliné va s’avérer essentiel dans le développement de la joueuse.  » Elle avait un caractère plutôt impulsif, tandis que j’étais plus calme « , poursuit la recordwoman de sélections en équipe nationale.

 » C’est quelqu’un de discret, mais qui sait l’ouvrir quand il le faut. De mon côté, j’ai essayé de lui apprendre à gérer sa frustration, à ne pas perdre trop de temps sur un geste raté. J’essayais que ça reste fun. On se lançait des petits challenges. Par exemple, chaque fois qu’elle râlait, je lui mettais un -1. Elle commençait le match à cinq points et on évaluait le tout à la fin de la rencontre. Elle a énormément avancé sur tout cela.  »

Prise de caisse

Ce travail sur elle-même ne l’empêche pas de conserver une véritable haine de la défaite. C’est nécessaire, car à cette époque, le Standard ne peut se permettre de perdre.  » Quand elle est venue chez nous, on était la meilleure équipe de Belgique « , rappelle Wachel.

 » On était le seul club belge qui faisait bonne figure face aux Néerlandaises. Je pense que c’est aussi un élément qui a fait d’elle non pas seulement une bonne joueuse, mais une grande joueuse.  »

Autant dire que si le club a fait le forcing plusieurs saisons d’affilée pour la recruter, ce n’est pas pour rien. Explosive et rapide, la jeune femme impressionne rapidement, malgré un physique encore un peu léger.

 » Elle était toute jeune, toute fine, mais on voyait déjà qu’elle avait du potentiel « , indique Zeler. Coup de bol, à cette époque, le club liégeois peut s’enorgueillir de posséder la structure la plus pro de Belgique. Les entraînements s’enchaînent et la préparation physique s’intensifie. Mais cette prise de caisse ne nuit pas à sa principale qualité, sa vitesse.

 » Ce n’est pas uniquement sa vitesse de course, mais aussi d’enchaînement qui était intéressante « , précise le coach bruxellois.  » Elle voit et agit vite. Elle détermine directement la passe à effectuer et la réalise parfaitement.  » Souvent la marque des meilleures, en effet…  » En fait, elle avait tout, un peu plus que les autres : plus de vitesse, de technique, de personnalité. Tu le vois directement. »

Entre ses études et son développement sportif, Tessa trouve le temps de s’imposer dans le système de Patrick Wachel. Lequel a une idée derrière la tête.  » D’habitude, nos adversaires néerlandaises évoluaient en 4-3-3. Logique, vu leur culture « , raconte-t-il.  » Mais quand on a modifié notre schéma et joué avec deux pointes et un losange derrière, elles ont éprouvé beaucoup de difficultés à s’adapter, car elles n’avaient jamais vu ça. De plus, notre entrejeu était vraiment costaud.  »

Une bande de potes

 » On avait toutes le système bien ancré dans la tête, on le connaissait par coeur tellement on le travaillait « , se rappelle Sara Yüceil, qui évolue aujourd’hui au PSV après avoir brillé dans le losange médian, aux côtés de la Red Flame Julie Biesmans, Cécile de Gernier et Sanne Schoenmakers.

 » Nous, on devait occuper l’axe pour faire remonter le ballon le plus vite possible vers notre duo d’attaquantes. Au fil du temps, on savait qu’on pouvait jouer la balle dans les pieds ou la profondeur en fonction de leur langage corporel. C’était super facile de les trouver, car elles parvenaient à se démarquer de façon vraiment naturelle et à gérer à la fois devant le goal et techniquement à la réception.  »

Ce tandem offensif est composé de Tessa Wullaert et Vanity Lewerissa.  » On formait un sacré binôme, notamment grâce à sa force dans les uns-contre-uns « , se réjouit l’attaquante de 28 ans, aujourd’hui retournée dans ses Pays-Bas d’origine.

 » Notre meilleure arme, c’est qu’on ne se tirait pas dans les pattes. Peu importait qui marquait. Si Tessa était en meilleure position, je lui donnais le ballon. Et vice versa.  »

Une efficacité qui est le fruit de la bonne entente au sein d’un noyau composé de potes, et plus particulièrement entre deux femmes au caractère bien trempé.  » Il y a rapidement eu un « clic » entre nous. À la fois sur et en dehors du terrain. Patrick a aussi beaucoup bossé les situations face au but avec nous. Il voulait qu’on apprenne à être plus calmes et qu’on ne se contente pas de tirer aussi fort que possible. On a vraiment passé deux belles saisons ensemble.  »

Montée en puissance

Les chiffres en attestent. À elles deux, les avants font trembler les défenses de Belgique et des Pays-Bas, claquant près de septante pions en cinquante journées.  » Ce qui est intéressant chez Tessa, c’est sa capacité à distribuer les assists, malgré sa réputation de buteuse « , complète Yüceil.

 » Elle a une vraie intelligence, une vraie générosité devant le but, ce qui n’apparaît pas forcément au premier abord.  »  » Je pense même avoir plus fait marquer les autres qu’avoir marqué moi-même « , confirme Wullaert.

Des stats imparables, qui permettent au Standard de décrocher le titre suprême sur la pelouse de Sclessin en mai 2015.  » On a joué le dernier match de la saison dans le grand stade à la demande du président Roland Dûchatelet « , se souvient Patrick Wachel.  » C’était contre le PSV, on devait gagner pour conserver notre avance sur Twente, le double champion en titre. C’était 0-0 à la mi-temps… et c’était tendu dans le vestiaire.  »

Mais au final, les Rouches s’imposent 2-0 grâce à des buts de Yüceil et… Wullaert, dont la famille a fait le déplacement jusque Liège pour assister à ce qui s’apparente à une apothéose pour tout le groupe rouche.

La boucle est bouclée. Après cette ultime rencontre, la joueuse a désormais tout gagné au pays. Des succès qui lui permettent de disputer la Ligue des Champions, histoire de s’aguerrir encore un peu plus, elle qui avait déjà pris de la bouteille en se frottant à la concurrence des Néerlandaises. Des joueuses parfois plus âgées, qui n’hésitaient pas à pratiquer un foot plus rugueux, et donc idéal pour l’aider à se renforcer.

 » À l’époque, les infrastructures féminines n’évoluaient pas des masses et on savait que les meilleures seraient forcées de s’expatrier « , regrette Zeler.  » Mais elle voulait terminer ses études « , poursuit la jeune retraitée, qui rappelle que contrairement aux hommes, les femmes sont obligées de posséder un diplôme pour leur après-carrière.

 » Quand la BeNeLeague a pris fin, je n’avais pas d’autre option que de quitter la Belgique, car la compétition belge n’était pas vraiment au même niveau « , ajoute Wullaert.

Le banc en Allemagne

Vu ses états de services, Tessa, alors âgée de 22 ans, ne tarde pas à susciter les convoitises. Forte de cette expérience acquise à Liège et en Europe, elle est contactée par Wolfsburg, qui l’attire dans le nord de l’Allemagne dans la foulée du titre de 2015. Si elle enrichit encore son palmarès (trois victoires en Coupe, deux titres en championnat, deux finales en Ligue des Champions et un premier Soulier d’Or), la sauce ne prend pas totalement malgré une confiance au zénith lors de son arrivée chez le voisin.

 » J’ai expérimenté quelque chose que je n’avais jamais connu en Belgique : me retrouver sur le banc, recevoir des remarques négatives de la part du public, du coach. Je me suis posé beaucoup de questions « , se remémore la joueuse.  » Jusqu’alors, le foot n’avait représenté que du fun pour moi et là, ce n’était plus uniquement le cas. Au final, je ne m’y plaisais plus.  »

Le salut vient d’un nouveau transfert dans un top club, à Manchester City. Si le maillot et le pays sont différents, certaines habitudes ne changent pas. Pour sa première saison en Angleterre, elle remporte deux trophées : la Coupe de la Ligue et la Coupe d’Angleterre et a maintenant un sacre en Women Super League en point de mire. Wullaert poursuit donc sa moisson de titres, en gardant le souvenir de cette expérience charnière au Standard dans un coin de la tête.  » C’est là-bas que j’ai joué mon meilleur football. C’est aussi grâce ce que j’ai réussi à Liège que j’ai dû faire un choix : passer pro à 100% après avoir obtenu mon diplôme, ou travailler et rester en Belgique « , dit-elle.  » J’adorais tellement le football que j’ai opté pour la première solution.  » Comme quoi, il n’y a pas que sur le pré que Tessa Wullaert prend les bonnes décisions.

Tessa Wullaert : la grâce faite joueuse de foot.
Tessa Wullaert : la grâce faite joueuse de foot.© getty

City et les Flames, les prochains défis

Arrivée à Manchester City en 2018, Tessa Wullaert et son club ont connu une période de moins bien, entre une élimination en Ligue des Champions et une défaite en championnat contre Arsenal, notamment. Mais City s’est bien repris et l’ambition est claire pour l’équipe : conquérir le titre en Women Super League, une compétition où les Skyblues ont terminé deuxièmes la saison passée, derrière les Gunners.

 » Mon jeu a un peu changé, car j’évolue plus en tant que médiane. Je marque donc moins, mais je suis plus chargée de faire le jeu, le lien entre la défense et l’attaque. C’est pareil en équipe nationale « , explique la Red Flame, une joueuse qui  » apprécie avoir de la liberté et les clés du jeu « , selon son ex-coach Patrick Wachel. Cela ne l’a pas empêchée de retrouver le chemin des filets récemment.

Côté sélection, la phase qualificative pour l’EURO 2021 a bien démarré, avec quatre victoires en autant de rencontres.  » On est en confiance, même si on sait qu’on n’a pas joué notre meilleur football en Roumanie ( victoire 0-1 à Cluj, ndlr) « , dit à ce propos la capitaine, auteure d’un but et quatre assists lors des deux matches suivants.  » Mais on avait également bien débuté les éliminatoires pour le Mondial avant de connaître un passage à vide. On doit vraiment prendre un match à la fois.  »

Car en effet, les Flames n’ont finalement pas vu la France cet été. La faute à ce barrage qualificatif perdu contre la Suisse en octobre 2018. Cela tombe bien, c’est précisément avec les Suissesses que le squad d’ Ives Serneels a été versé dans le groupe H.  » On les connaît et elles nous connaissent « , indique Wullaert.  » On a un peu le même niveau, mais elles ont peut-être plus de joueuses qui possèdent de l’expérience à l’étranger. Mais on monte en puissance, on grandit grâce à un groupe jeune. On est meilleures que l’année passée. Cela sera un match intéressant, qui se jouera sur des détails.  »

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