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Serie A: la folle résurrection de Venise

Déclaré en faillite en 2015, Venise est reparti en quatrième division suppléé par des fonds américains. Six ans plus tard, le club retrouve la Serie A pour la première fois depuis 19 ans.

Même quand les pigeons sont absents pour cause de pluie, la traversée de la Place Saint-Marc est toujours impressionnante. Le lendemain matin, une surprise nous attend: la salle du petit-déjeuner de l’hôtel, située au rez-de-chaussée, est totalement inondée, tout comme le reste de la ville. Un marchand de bottes en caoutchouc nous vient en aide. Heureusement, car nous devons sortir et il y a un demi-mètre d’eau. Ça nous fera des souvenirs…

Tout comme sa ville, le club de football de Venise s’est souvent retrouvé sous eau. Mais à chaque fois, il a refait surface. Fondé en 1907, il a souvent fait le yo-yo. C’est la septième fois de son histoire qu’il rejoint la Serie A. La première fois, c’était en 1938. Mais en 114 ans, il n’aura joué que treize ans au plus haut niveau, avec une troisième place en 1941-42 en guise de meilleur résultat. Sa vitrine aux trophées ne contient qu’une Coupe d’Italie pleine de poussière: et pour cause, elle date de 1941.

Aujourd’hui, le Venezia FC, comme il s’appelle depuis 2015, entame sa saison par le traditionnel ritiro, un long stage au cours duquel les joueurs s’entraînent deux fois par jour et sont gavés de consignes tactiques. Après deux semaines dans les Dolomites, ils ont passé une semaine à Wageningen, dans l’ancien stade de l’ex-club d’Eredivisie qui a fait faillite en 1992. Les joueurs arborent de superbes maillots Kappa sur lesquels le logo et le nom du club sont bien mis en valeur.

Paolo Zanetti, l’entraîneur, s’exprime en italien, mais les joueurs communiquent dans la langue de Shakespeare. Dix-sept d’entre eux viennent de l’étranger. Ils suivent des cours d’italien, mais le club a également engagé un professeur d’anglais pour l’entraîneur et les joueurs italiens. C’est très rare en Italie.

L’entourage du club est international également. Sonya Kondratenko, responsable des réseaux sociaux, est Américaine d’origine ukrainienne. Elle a travaillé pour la MLS. Duncan Niederauer (62 ans) est un homme d’affaires américain. Il a été directeur général de la bourse à Wall Street, mais depuis 2020, il est président du club. Après la victoire en barrage qui a permis à son club de rejoindre l’élite italienne, il a plongé dans le canal qui jouxte le stade, vêtu du maillot du club.

Un triplé de faillites

Le directeur général, Paolo Poggi (cinquante ans), s’exprime parfaitement en anglais, même s’il est né et a grandi au coeur de la ville. « Je suis né à 200 mètres du stade, c’était mon jardin », sourit-il. Ex-attaquant, Poggi a disputé plus de 200 matches de Serie A, mais aucun avec le club de sa ville, bien qu’il en soit un pur produit. En sept saisons, réparties sur trois périodes, il a porté à 226 reprises le maillot du club avec lequel il a mis un terme à sa carrière en Serie C, en 2009.

En 1987, il évoluait encore avec le U17 lorsque le nouveau propriétaire, Maurizio Zamparini, s’est engagé dans une fusion dont il avait sous-estimé l’impact émotionnel. Il a associé les Vert et Noir de Venise avec les Orange et Noir de l’AC Mestre, l’ennemi juré, l’équipe du continent. Les deux clubs pataugeaient alors en quatrième division. Les couleurs orange, vert et noir n’allaient pas ensemble, mais Zamparini pensait qu’en associant deux clubs de D4, il pourrait construire un grand club.

Poggi se souvient de cette fusion, qui allait s’avérer décisive pour l’avenir. « Nous étions sous le choc. Soudain, nous devions jouer avec nos pires ennemis. Venise était sens dessus-dessous, mais finalement, on peut dire que c’était une bonne chose. Les deux clubs étaient très différents, mais nous étions de petits joueurs dans une compétition insignifiante. Il s’est alors produit quelque chose de très beau dans les tribunes. Les Ultras des deux clubs ont décidé de laisser l’aspect émotionnel de côté et de faire bloc derrière le but, avec les nouvelles couleurs du club et un nouveau nom: Ultra’s Unione. Soudain, nous étions un grand club, nous passions d’un potentiel de 100.000 supporters à un potentiel de 400.000 fans de la région de Mestre. »

Un seul joueur du noyau actuel a évolué en Serie A.

Le club fusionné ne mettra pas longtemps à rejoindre le Serie A. En 1998, après 31 ans d’absence, il effectue son retour en première division. Sans Poggi, acheté par Torino lorsque Venise évoluait toujours en Serie B.

Mais l’excentrique Zamparini ne s’entend pas avec les édiles de la ville. Le 21 juillet 2002, comme les travaux au stade tardent à voir le jour, l’homme d’affaires achète Palerme, tandis que Venise descend pour la dernière fois en Serie B. Le lendemain, en plein stage, il transfère douze joueurs et l’entraîneur de Venise. Quelques jours plus tard, c’est au tour du directeur sportif et de l’attaquant de pointe de suivre le même chemin. Venise n’a plus de dirigeants ni de joueurs. Paolo Poggi, alors à Parme, revient et appelle quelques amis pour aider son club à se maintenir en Serie B. En vain: en dix ans, Venise tombe trois fois en faillite.

Les Américains débarquent

En 2015, un fonds d’investissement américain lance une bouée de sauvetage en reprenant le club, qu’il baptise Venezia FC et à qui il offre un nouveau départ, en quatrième division.

Un an plus tard, Paolo Poggi entre au sein de la direction. Il sent tout de suite que cette fois, le club n’échouera pas. « Souvent, un propriétaire achète un club pour se faire plaisir. Les Américains font passer le club avant leur intérêt personnel. Ils construisent quelque chose. Ils ne se contentent pas d’acheter des joueurs qui partiront dans un an ou deux, ils mettent toute une organisation en place. Et ils construisent. Nous avons eu droit un nouveau centre d’entraînement, un nouveau secrétariat et bientôt, notre stade sera enfin rénové. Tout a changé en quelques années, à une chose près: notre stade sur l’île. Ça reste la plus belle promenade de tout l’univers du football. »

Paolo Poggi:
Paolo Poggi: « Nous n’achetons pas des produits finis, nous créons de la valeur ajoutée. »© BELGAIMAGE

C’est ainsi qu’en 2016, Poggi devient directeur des relations internationales avec pour objectif de promouvoir le club, alors en troisième division. « Les Chinois connaissaient la ville, mais n’avaient jamais entendu parler du club de football. Depuis, nous élargissons notre public. Et le nom de la ville de Venise fonctionne comme un aimant. »

Depuis l’an dernier, Poggi est directeur technique. Le président a confié la direction sportive à un groupe de travail plutôt qu’à un seul homme. Outre Poggi, on y retrouve le spécialiste des données Mattia Collauta, lui aussi directeur sportif. De 2004 à 2012, il a disputé 220 matches pour le club vert, orange et noir. Et a connu deux faillites.

Venise, un des six clubs italiens appartenant à des Américains, recrute désormais de jeunes étrangers inconnus. La semaine dernière, on y dénombrait pas moins de dix-sept gars venus d’ailleurs, ce qui est énorme en Italie. Pourquoi? « C’est simple », rigole Poggi. « Il y a plus d’étrangers que d’Italiens et ils sont moins chers. Nous n’avons pas les moyens financiers des clubs traditionnels. Pour survivre, nous devons faire preuve de créativité, procéder autrement et acheter moins cher. D’ailleurs, il y a toujours eu beaucoup d’étrangers à Venise, que ce soit en ville ou dans les tribunes. Lorsque je jouais, j’ai souvent vu des Chinois ou des Américains avec un appareil photo dans le stade. Nous tentons d’inclure la visite du stade de foot dans un city trip, au même titre que la place Saint-Marc ou une visite à la biennale, à cinq minutes d’ici seulement. »

C’est ainsi que le club a repéré Daan Heymans (22 ans), à qui il a proposé un contrat sans même l’avoir vu jouer en présentiel. « Nous collectons les données et les statistiques. Nous sommes tombés sur un jeune Belge qui a marqué beaucoup de buts dans un championnat difficile et qui était en fin de contrat. Il a appris l’italien tout seul avant de venir ici, ce qui en dit long sur son état d’esprit. C’est ce que nous voulons: des jeunes qui veulent s’intégrer sur le terrain, mais aussi en dehors. »

Le plus jeune entraîneur

Poggi avoue qu’il ne s’attendait pas à monter cette année. « Beaucoup de gens pensaient même que nous allions lutter pour le maintien, mais le président est toujours optimiste et avait dit que nous devions tenter de décrocher un billet pour les barrages. »

C’est ainsi que Venise a terminé cinquième en Serie B et est monté pour la troisième fois en six ans. Cela fera de Paolo Zanetti (38 ans) le plus jeune entraîneur de Serie A (il était déjà le plus jeune en Serie B). La première décision de Poggi lorsqu’il est devenu directeur sportif à été de choisir le coach. Lors de sa première journée de travail, en août 2020, il avait eu un entretien de quatre heures avec l’entraîneur précédent, Alessio Dionisi. « Mais le soir-même, Dionisi avait signé à Empoli et nous avons dû nous mettre à la recherche d’un nouvel entraîneur. Nous voulions quelqu’un qui voyait les choses de la même façon que nous: travailler avec des jeunes et les faire progresser. Nous n’achetons pas des produits finis, nous créons de la valeur ajoutée. »

Les Américains font passer le club avant leur intérêt personnel. Ils construisent quelque chose. »

Paolo Poggi, directeur général du club

Les joueurs ont fêté la montée sur des bateaux traditionnels. Vêtus aux couleurs du club, ils ont traversé la ville en voguant sur le Canal Grande. Une belle fête. « Ils étaient impressionnés et ils ont ému les habitants de la ville. On ne peut pas faire ça partout, mais ici bien. »

Sur le plan sportif, le néo-promu visera le maintien, mais pour cela, il doit encore transférer quelques joueurs expérimentés. Un seul joueur du noyau actuel a déjà joué en Serie A: Christian Molinari (32 ans) affiche plus de 200 matches au premier échelon du foot italien. C’est un des piliers de l’équipe, tout comme le capitaine Marco Modolo, qui évolue au club depuis que les Italiens l’ont repris et qui a vécu l’aventure depuis la quatrième division. Venise compte aussi quelque internationaux comme le gardien finlandais Niki Mäenpää et l’Israélien Dor Peretz, qui vient d’arriver.

Daan Heymans, nouvelle recrue vénitienne:
Daan Heymans, nouvelle recrue vénitienne: « J’ai appris énormément de choses en un mois. Quoi qu’il arrive, je serai plus fort lorsque je quitterai le club. »© PG

Pour son premier match, Venise se rendra à Naples, le club de Dries Mertens. Sa première rencontre à domicile aura lieu au mythique Stadio Pier Luigi Penzo, le deuxième plus vieux stade d’Italie, qui porte ce nom en hommage à un aviateur italien, héros de la Première Guerre mondiale. L’enceinte fait actuellement l’objet de travaux afin de répondre aux normes de la Serie A. Sa capacité va passer de 7.500 à 12.000 places. Le 19 septembre, les joueurs prendront pour la première fois le bateau pour l’île de Santa Elena, où ils affronteront La Spezia, l’ex-club de David Okereke.

En espérant que le public n’oubliera pas d’emmener ses bottes en caoutchouc…

Au stade en bateau

La Jupiler Pro League a découvert Daan Heymans il y a un an, lorsque celui-ci a inscrit deux buts pour le compte de Waasland-Beveren face à Courtrai, lors de la première journée de championnat. Au total, il marquera huit fois et délivrera quatre assists. Il assure que jamais il n’aurait pensé affronter Cristiano Ronaldo et Giorgio Chiellini. « La saison dernière, j’avais chargé mon agent de me trouver un autre club si je ne jouais pas immédiatement, mais soudain, Nicky Hayen a cru en moi. » Cet été, il était en fin de contrat lorsque son agent l’a présenté à Venise. « À l’époque, le club ne parlait pas encore de Serie A, mais j’ai directement été intéressé. J’avais visité Venise avec mes parents quand j’étais petit et je me disais que ce serait bien d’y jouer. Alors, je me suis mis à regarder leurs matches en streaming. » Heymans a fait son choix avant que la montée ne soit acquise. Il a assisté aux matches de barrage face à Cittadella et s’est bien préparé. Lors de sa présentation, les journalistes ont été très surpris de l’entendre répondre aux questions en italien. « Dès que j’ai signé, j’ai engagé un professeur d’italien à mes frais et j’ai appris la langue en un mois de cours intensifs », dit-il. À Venise, il a retrouvé un ancien attaquant de Waasland-Beveren, l’Italien Francesco Forte. « Il m’a très bien accueilli. »

En préparation, Heymans a ouvert de grands yeux. C’était bien plus dur et bien plus poussé tactiquement que ce à quoi il était habitué. « Dès que nous avons appris que nous affronterions Naples lors du premier match, tous les entraînements ont été axés sur le jeu napolitain. J’ai appris énormément de choses en un mois. Quoi qu’il arrive, je serai plus fort lorsque je quitterai le club. »

Que demande un joueur qui signe à Venise? Une voiture ou un bateau? Heymans rigole. « Une voiture. Mais j’habite à Mestre, sur le continent et je me réjouis de prendre le bateau pour aller au stade. »

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