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Qui était Billy Meredith, le premier Cristiano Ronaldo?

Steve Van Herpe
Steve Van Herpe Steve Van Herpe est rédacteur de Sport/Voetbalmagazine.

Ce week-end, Manchester United-Manchester City figure au programme. Les deux clubs sont aujourd’hui mondialement connus, mais il y a plus de cent ans, un seul et même joueur les a placés sur la carte du football: Billy Meredith.

George Best, Bryan Robson, Eric Cantona, David Beckham, Cristiano Ronaldo… À Manchester United, le numéro 7 possède un statut iconique, mais en toute logique, c’est le nom de BillyMeredith qui devrait entamer cette liste prestigieuse, lui qu’on a parfois appelé « le plus grand joueur de son époque ». Dans le même ordre d’idée, RyanGiggs et GarethBale ont tous deux été surnommés The Welsh Wizards, Les Magiciens gallois, en VF, mais le premier footballeur à avoir été affublé de ce surnom est… William « Billy » Meredith.

Dans son contrat, une clause stipule qu’il doit se procurer deux nouveaux cure-dents à chaque match: un par mi-temps.

Flash-back. Ce dernier brille dans la Football League entre 1892 et 1924. C’est un ailier droit doté d’un dribble incroyable et d’un centre précis. Parfois, il lui arrive même de couper à l’intérieur pour envoyer lui-même le ballon dans le but. On le qualifie un jour d’ailier-buteur démoniaque. Sa carrière ne décolle réellement que lorsqu’il signe à Manchester City en 1894, à l’âge de vingt ans. Avec cette équipe, il remporte la FA Cup en 1904. En 1906, il est transféré à Manchester United, club avec lequel il remporte également la FA Cup en 1909 et devient deux fois champion.

Le sport du diable

Quiconque a vu la série Netflix TheEnglishGame peut s’imaginer à quoi ressemblait le football anglais à la fin du XIXe siècle. Le penalty reste à inventer et il n’y a pas de filet dans les buts. Le jeu est, disons, rudimentaire. Le conseil que l’on donne alors aux gardiens de but? Quand vous frappez le ballon, essayez de toucher le nez de l’adversaire avec! Les footballeurs gagnent en moyenne dix livres – presque douze euros – par mois, mais beaucoup d’argent noir circule déjà dans le milieu. Dans les cercles catholiques, le football est parfois décrit comme « le sport du diable ».

On dit que Billy Meredith, ici à gauche avec Manchester United, mangeait presque tous les soirs du poulet bouilli avec des légumes.
On dit que Billy Meredith, ici à gauche avec Manchester United, mangeait presque tous les soirs du poulet bouilli avec des légumes.© GETTY

Ainsi en va-t-il chez les Meredith. Billy est originaire de Chirk, ville frontalière du pays de Galles, et travaille dans les mines dès l’âge de douze ans, tout comme son père et ses frères, plus précisément comme cavalier d’un cheval de mine. Tous les Meredith fréquentent l’église méthodiste le dimanche et dans la famille, on ne jure pas, on ne fume pas et on ne boit pas. Le frère aîné de Billy, Elias, est conducteur de train et l’emmène parfois assister à des matches de football, notamment ceux d’Everton. À l’époque, de nombreux mineurs jouent eux-mêmes au foot, et ce n’est pas différent à Chirk. Entre 1887 et 1894, le Chirk FC remporte la Coupe du pays de Galles à cinq reprises. C’est lors de la victoire de 1894 que Billy Meredith débute en tant que jeune joueur.

Lorsqu’il est découvert par un recruteur de Manchester City et qu’il dit à ses parents qu’il souhaite devenir footballeur professionnel, sa mère est dans tous ses états. Elle va voir le président pour lui dire d’arrêter de « voler des garçons heureux et en bonne santé » à des communautés pieuses. Les gens comme lui « plantent des graines dans la tête des jeunes », s’enflamme-t-elle.

Tabac à chiquer

Mais la passion ravage tout, et Billy fait ses débuts à Manchester City en novembre 1894. Au cours de ses premiers mois au club, il continue à travailler dans les mines de Chirk. Cela signifie que le jour du match, il prend le train pour Manchester très tôt le matin, le visage encore noirci par le travail du soir dans la mine. Hyde Road, le stade de City, est situé le long de la rue du même nom, dans un quartier mal famé. Comme il n’y a pas encore de vestiaires, Meredith doit enfiler son équipement au bar de l’hôtel voisin de Hyde Road. C’est là qu’il nettoie la suie de son corps et qu’il s’offre une sieste dans une chambre de l’hôtel. Il dispute son premier match à domicile contre Manchester United, qui s’appelle encore Newton Heath. Il s’agit là du tout premier derby de Manchester. Newton Heath s’impose 2-5, avec deux buts de City signés Billy Meredith. Une heure après le coup de sifflet final, le buteur reprend le train pour Chirk, où il s’empresse de se rendre à l’église. Et plus tard dans la soirée, il rejoint l’équipe du soir pour travailler dans la mine.

En tant que mineur, Meredith mâche du tabac à chiquer et le crache partout. En tant que footballeur, il fait pareil. Mais le jardinier de la ville n’apprécie pas et lui interdit cette habitude dégoûtante. À partir de ce moment, le Magicien gallois opte pour un cure-dent qu’il se visse au coin de la bouche. Ça deviendra sa marque de fabrique. Il surnomme le cure-dent « mon vieux pote » et dit que sans ce petit morceau de bois, il n’est qu’un demi-footballeur. On raconte que dans son contrat, une clause stipule qu’il doit se procurer deux nouveaux cure-dents à chaque match: un par mi-temps.

Billy Meredith était très populaire auprès des dessinateurs de son époque. Ici, on le voit représenté d'une bien étrange manière.
Billy Meredith était très populaire auprès des dessinateurs de son époque. Ici, on le voit représenté d’une bien étrange manière.© GETTY

En janvier 1895, Meredith passe professionnel. La saison suivante, il termine meilleur buteur et à l’âge de 21 ans, il hérite du brassard de capitaine. Un rôle qu’il prend également à coeur en dehors du terrain. Ainsi, il va régulièrement pêcher avec l’attaquant écossais BillieGillespie pour l’empêcher de boire. En 1898, City est promu en Football League, la première division, principalement grâce à Meredith. Au cours de sa première saison, il claque quatre hattricks. TheAthleticNews rapporte: « Je ne pense pas qu’il y ait un homme dans les Trois Royaumes qui joue mieux au football que lui. »

L’opposé de Turnbull

À l’époque, le Magicien gallois gagne officiellement trois livres par semaine, officieusement six. Il achète un piano pour sa femme EllenNegus, inscrit ses deux filles à des cours de danse et se fait fabriquer un sac en cuir sur lequel figure WM en lettres d’or, pour William Meredith. Il est l’un des rares footballeurs à ne pas fumer et préfère le thé à l’alcool, là où la plupart de ses coéquipiers se saoulent au bar du train lorsqu’ils se rendent aux matches en déplacement. Ellen lui prépare du poulet bouilli presque tous les soirs et il grignote quelques carottes, un morceau de rutabaga ou une branche de céleri.

Une habitude dont Alexander  » Sandy »Turnbull va un jour se moquer. L’attaquant écossais arrive à Manchester City en 1902 et va former l’une des meilleures paires offensives du monde avec Meredith. Bizarre, car Turnbull est l’opposé du Magicien gallois dans presque tous les domaines. On le voit généralement arborer une casquette à la PeakyBlinders (du nom de la célèbre bande criminelle de Birmingham), il fume et il prononce le mot fucking dans presque toutes ses phrases. Contrairement à Meredith, il aime la bière – qu’elle soit ale, stout ou lager – et se rend régulièrement au pub avec ses coéquipiers pour boire, chanter, raconter des histoires et se battre. Bref, Sandy a l’art d’attirer les problèmes en un minimum de temps. Il est décrit comme le prototype de la classe ouvrière écossaise, peu instruite. Et pourtant, il forme un duo en or avec Meredith sur le terrain: Billy démarre l’action et la construit, avant que Sandy ne la termine.

Sur cette image datant de 2017, les supporters de Manchester City rendent hommage à leur
Sur cette image datant de 2017, les supporters de Manchester City rendent hommage à leur « capitaine » Billy Meredith.© GETTY

En avril 1904, les deux hommes se rendent en train à Londres pour disputer la finale de la FA Cup. Manchester City, à ce moment deuxième de la première division, affronte les Bolton Wanderers, une équipe du milieu de classement qui évolue en D2. 62.000 spectateurs affluent vers le National Sports Centre, au sud de Londres. Parmi eux, des centaines de supporters de City débarquent avec un cure-dent marqué de l’inscription WM au coin de la bouche: un hommage à William Meredith. Lorsqu’il plante le seul but du match à la 23e minute, les supporters se mettent à chanter:

« Oh I wish I was you Billy Meredith,

I wish I was you,

I envy you,

Indeed I do! »

(Oh, j’aimerais être toi, Billy Meredith, J’aimerais être toi, Je t’envie, en effet je t’envie! )

Une bombe

La popularité de Meredith grimpe en flèche. Les photos ont beau être rares à l’époque, tout le monde connaît le visage de Billy. Il devient le premier joueur à être familier d’un public pas forcément fan de foot. Lorsqu’un dessinateur commence à croquer un homme moustachu avec un cure-dent, on sait immédiatement de qui il s’agit. Certains journalistes sont agacés par la célébrité de Meredith et l’importance accordée par les médias aux détails de sa vie privée. Ironique, un chroniqueur s’attend à ce que dans un avenir proche, on puisse lire que « Meredith a accidentellement percé un petit bouton de son visage en se rasant, faisant ainsi perdre cinq litres de son précieux sang au grand international… » Le moindre geste de Billy Meredith devient une nouvelle. Un article de presse de caniveau ou une photo compromettante du Magicien gallois donne immédiatement lieu à une vente record.

Billy Meredith devient le premier joueur à être familier d’un public pas forcément fan de foot.

À la fin de la saison 1904-05, il y a toute la matière possible et imaginable pour écrire. Pour le dernier match de la saison, Manchester City se déplace à Aston Villa. S’il gagne, le club établit un fait unique dans l’histoire du football anglais: le détenteur de la FA Cup deviendra également champion. Le match se révèle compliqué, mais Sandy Turnbull fait tout pour gagner, en distribuant quelques coups au passage. Mais la nouvelle la plus choquante survient après le match, que City perd 3-2. La Fédération anglaise de football reçoit un témoignage anonyme d’un homme qui prétend avoir a entendu « une conversation très intéressante ». Selon lui, Meredith aurait offert dix livres à AlexLeake, joueur de Villa, pour perdre le match. Le Magicien gallois est reconnu coupable de corruption et est suspendu une saison complète.

Les fans de City trouvent cela suspect, cela ressemble à un complot ourdi contre leur club qui menace de devenir trop prestigieux, d’autant plus que la FA ne veut pas révéler l’identité de l’informateur anonyme. Le club décide également de cesser temporairement de payer le salaire de Meredith. Celui-ci ne se laisse pas faire. Régulièrement, il pousse la porte du bureau de la direction pour réclamer son argent. Pire encore, il téléphone à un journaliste pour révéler comment City a acquis sa position dominante dans le football anglais: par des paiements illégaux et des bonus. À l’époque, par exemple, le règlement stipule qu’aucun joueur ne peut gagner plus de quatre livres par semaine, mais Meredith en reçoit six, plus 53 livres de primes pour les victoires et les matches nuls. Il ajoute: « Et je ne pense pas qu’il y ait un seul membre de notre équipe qui gagne moins que moi. »

Située dans sa ville natale de Chirk, au pays de Galles, cette plaque rappelle que la ville a donné naissance à la première star du foot anglais.
Située dans sa ville natale de Chirk, au pays de Galles, cette plaque rappelle que la ville a donné naissance à la première star du foot anglais.© GETTY

Des enquêtes ultérieures de la FA révèlent que City a en effet systématiquement surpayé ses joueurs en noir pendant des années. Cela fait l’effet d’une bombe dans le monde du football de l’époque. On se rend compte que pour que les comptes concordent, le conseil d’administration a également inventé des footballeurs qui n’ont jamais existé. Et il s’avère que l’argent provenant de la vente des billets est détourné vers les comptes bancaires de certains membres du conseil d’administration. L’entraîneur et le président de Manchester City sont condamnés à une suspension à vie. Dix-sept joueurs, dont Meredith et Turnbull, sont interdits de prendre part aux matches jusqu’au 1er janvier 1907. Il ne fait aucun doute que d’autres équipes se sont également rendues coupables des mêmes pratiques, mais – comme Meredith le dira plus tard très justement – les clubs ne sont pas punis pour avoir enfreint la loi, mais pour avoir été pris…

Danser avec le ballon

La suite, c’est un exode massif à Manchester City. Manchester United, qui a payé 500 livres pour Meredith et 350 livres pour Turnbull, devient subitement la meilleure équipe d’Angleterre. Selon Meredith, son nouveau club est encore plus performant que Preston North End, le club phare des prémices du foot briton. Pour lui, c’est une façon de se venger du conseil d’administration de City et des huiles de la Fédération. Depuis, il entretient des relations troubles avec les plus hautes sphères du foot anglais, et devient l’un des fondateurs du syndicat des joueurs ( voir encadré).

Le duo de choc Meredith-Turnbull effectue son retour le jour où la suspension prend fin: le 1er janvier 1907. Meredith a alors déjà 32 ans, Turnbull, lui, n’en a encore que 22. Jamais encore, les attentes pour un match de football n’ont été aussi grandes. 40.000 spectateurs garnissent le stade de United sur Bank Street à Clayton, un record. Des vendeurs proposent des cure-dents labellisés « Meredith », les fans de United chantent qu’ils veulent être Billy Meredith. Le match se décide – comment pouvait-il en être autrement? – sur un centre de ce dernier pour Turnbull, qui inscrit le seul but de la rencontre. Après cela, Manchester United continue d’enchaîner les victoires. La saison suivante, l’équipe est devenue si dominante qu’elle remporte le titre avec neuf points d’avance. Un historien du football écrit: « Manchester City a été décapité, Manchester United a pris sa place: deux fois plus fort et plus prospère, deux fois plus populaire. »

La pierre tombale de Billy Meredith à Manchester a été payée par City et United, entre autres.
La pierre tombale de Billy Meredith à Manchester a été payée par City et United, entre autres.© GETTY

Mais le Magicien gallois n’est pas rassasié. Il veut remporter la FA Cup avec Manchester United, afin d’assouvir une bonne fois pour toute sa revanche sur les gros bonnets du football anglais. En 1909, il mène United en finale, où l’adversaire s’appelle Bristol City. 71.000 spectateurs voient Sandy Turnbull inscrire le seul but du choc. Billy Meredith est élu Homme du Match. J.A.H.Catton, le plus célèbre journaliste sportif anglais de l’époque, écrit à propos de Meredith dans TheAthleticNews: « Il a dansé avec le ballon avec une grande habileté, à la grande consternation de ses adversaires. » Le héros de la finale, cependant, est la mascotte Billy the Goat, une chèvre qui parade à chaque match des Mancuniens. Après la finale, l’animal reçoit tellement de champagne qu’il meurt d’un abus d’alcool. Sa tête a été conservée et peut toujours être vue dans le musée de Manchester United à Old Trafford.

Industrie cinématographique

Billy Meredith continue à jouer au football jusqu’à l’âge de cinquante ans (! ). Il prend part à un total de 27 saisons en première division anglaise, un record. Et il aurait pu y en avoir encore plus, car sa carrière est interrompue par la Première Guerre mondiale. Après sa carrière, il achète un hôtel et investit dans l’industrie cinématographique. Il tient lui-même le rôle d’un entraîneur de football dans TheBalloffortune en 1926, un film malheureusement perdu à jamais. À Manchester City et à Manchester United, il hérite d’une place VIP dans les tribunes. Il y apparait alors comme autrefois, avec une casquette sur la tête, les mains dans les poches. Et un cure-dent dans la bouche, bien sûr.

Meredith décède en 1958, à l’âge de 84 ans, deux mois après l’accident d’avion de Munich dans lequel huit joueurs de Manchester United perdent la vie. Après avoir reposé pendant des années dans une tombe anonyme, l’Association des footballeurs professionnels, la Fédération galloise de football, Manchester City et Manchester United décide de lui acheter une nouvelle pierre tombale. Sur sa tombe à Manchester, on peut lire: « MEREDITH. Nos yeux ne le voient plus, mais notre esprit s’en souvient. » Mais le texte figurant sur le mémorial de sa ville natale de Chirk est plus beau encore:

« This plague honours

Chirk-born Billy Meredith.

FOOTBALL’S FIRST SUPERSTAR. »

(Cette plaque commémore Billy Meredith, né à Chirk, la première superstar du football). ?

Sources:

– Football Wizard – The story of Billy Meredith, John Harding, Empire Publications Ltd, 2009

– First Elevens – The birth of international football and the men who made it happen, Andy Mitchell, Createspace Independant Publishing Platform, 2012

– Voetbal in Europa – Een grand tour langs de Europese velden op zoek naar de ziel van volkssport #1, Erik Brouwer, Editions Overamstel, 2021

Un marxiste et un agitateur

BillyMeredith estimait que la Fédération anglaise de football traitait les joueurs de son époque comme des « enfants » ou des « animaux dressés ». Il s’insurgeait également contre le fait que les joueurs ne soient autorisés qu’à gagner quatre livres par semaine maximum, alors que les portefeuilles des responsables de club regorgeaient d’argent. De l’exploitation, affirmait-il. Son manque de respect à l’égard des gros bonnets anglais prend encore de l’ampleur en 1905, lorsqu’il est accusé de corruption par la FootballAssociation et suspendu pendant plus d’un an. Il s’est senti visé parce qu’il était Gallois. En tant que libéral convaincu, il estimait que dans un marché libre, un footballeur devait pouvoir décider lui-même de ce qu’il voulait gagner. Il pensait également qu’un joueur devait pouvoir changer de club sans trop d’obstacles.

Le 2 décembre 1907, les délégués de douze clubs se sont réunis à l’Imperial Hotel de Manchester. Lors de cette réunion, présidée par Billy Meredith, la Players’Union, le premier syndicat de footballeurs, voyait le jour. La plupart des footballeurs professionnels de première division anglaise sont devenus membres. C’était le précurseur de l’actuelle ProfessionalFootballersAssociation. La Fédération anglaise de football n’a pas apprécié la manoeuvre et a traité Meredith de « marxiste » et « d’agitateur ».

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