Quand Kemar Roofe était le chouchou de Bielsa

Kemar Roofe était un illustre inconnu à son arrivée à Leeds United. Grâce à Marcelo Bielsa, il a quitté Elland Road avec le statut de demi-dieu. Retour sur sa saga, qui s’est essentiellement déroulée dans le West Yorkshire.

Certains habitants du quartier de Walton Chase se rappellent la vitesse à laquelle les radars ont fait leur apparition, comme des champignons à l’automne, sur la route reliant le village de Thorp Arch à la bourgade de Wheterby, à 4,5 kilomètres de là, au début des années 2000. On raconte que c’est à cause de quelques fous du volant de Leeds United.

Le triple champion d’Angleterre se produisait alors en Premier League et ses stars avaient l’habiatude de faire la course, à l’issue de leur journée de travail, entre le complexe d’entraînement et Wheterby, au volant de leurs coûteuses Porsche et autres Lamborghini.

En 2019, le parking du Leeds United Training Ground, coincé entre des champs, une prison pour hommes et un quartier, est essentiellement peuplé de Mercedes. Les habitants affirment que les relations avec le club sont chaleureuses. Le manager sportif Marcelo Bielsa vient spontanément bavarder avec l’entourage et il a même soutenu le souhait de la communauté locale de faire abattre des arbres qui gâchaient la vue.

 » Les promoteurs tentent d’obtenir des permis de bâtir partout mais tant que Leeds United est implanté ici, on ne peut y développer aucun projet immobilier d’envergure « , raconte un homme qui vit ici depuis six ans et préfère rester anonyme.

Pendant trois saisons, Kemar Roofe est un des premiers joueurs à se faufiler chaque matin entre les agents de sécurité et les caméras de CCTV pour parquer son auto au pied du bâtiment central. Un jour, il y fait même irruption dans un bolide qui ressemble à un véhicule militaire mais sinon, il ne se fait guère remarquer. Du moins pas en dehors du terrain.

Le produit de West Bromwich Albion a atteint un certain statut à Oxford United et doit confirmer sa réputation de buteur dans le West Yorkshire.  » Les supporters d’Oxford disaient qu’il leur avait procuré beaucoup de plaisir. Les attentes étaient donc très élevées « , se souvient Jordan Botaka, qui l’a brèvement côtoyé à Leeds.

 » La Championship, la League One et la League Two sont des terres de guerre. Des joueurs comme Roofe peuvent s’y distinguer par leur précision, leur prise de balle et leurs changements de rythme. A l’entraînement, Kemar a immédiatement prouvé qu’il marquait aisément. Pendant une des premières séances de la préparation, on a rassemblé tous les attaquants pour des exercices de finition. Il a expédié une passe en pleine lucarne, du droit.

Tout le monde a dit : – That’s nice. Fais pareil du gauche, maintenant. Il a reçu un deuxième ballon et il l’a envoyé dans la lucarne, du gauche. Il s’est retourné, a regardé tout le monde, sans rien dire. Mais on pouvait lire ses pensées : – I got it all. Il a été l’homme du moment. »

Pas de marquee signing

Andrea Iore, scout de Leeds United depuis 2014, est un de ceux qui ont découvert Roofe. En 2015-2016, le Français l’a vu à l’oeuvre en direct contre York City, Morecambe et dans un match de coupe contre Swansea City, durant lequel il a inscrit deux buts.  » Plus j’allais visionner Roofe, plus j’avais envie de le voir « , raconte Iore.

 » Nous l’avons suivi pendant plusieurs mois et nous étions d’accord : il avait le niveau de la Championship. Nous avions aussi le sentiment qu’il serait meilleur s’il était encadré par des joueurs plus talentueux. Sur le plan technique, Roofe dépassait nettement le niveau de la division quatre – c’est à peine si on joue au football en League Two – et, malgré sa constitution physique, il était bien campé sur ses jambes et fort dos au but. Il me faisait un peu penser à Andre Gray, qui est maintenant à Watford.  »

Une première tentative de transfert en janvier 2016 va échouer mais début juillet, le deal est conclu pour 3,5 millions d’euros, avec l’approbation du nouveau manager Garry Monk. Selon les normes de la Championship, ce n’est pas suffisant pour être considéré comme un marquee signing. Roofe avait bien marqué 26 buts à Oxford United mais ce joueur de lower league était-il capable de faire de même à un échelon supérieur ?

Au sein du club, nul ne doute de Roofe mais tout le monde est conscient qu’il lui faudra du temps pour assimiler la différence de niveau entre la division quatre et la deux. Dans le premier match de la saison, Leeds est battu 3-0 par QPR et Roofe est remplacé à un quart d’heure du terme. C’est le début d’une période durant laquelle il fait souvent banquette. Le manager le poste à peu près partout sauf à sa position de prédilection, l’avant-centre.

Les supporters l’aiment bien mais les observateurs commencent à se demander si Roofe vaut son investissement. Il faut patienter jusqu’à la 14e journée pour le voir marquer son premier but pour les Peacocks, contre Aston Villa. The Roofe, comme l’appelle le vestiaire, achève la saison avec seulement quatre buts en 49 matches.

Elland Road.
Elland Road.© belga

The Roofe is on fire

Il ne montre des échantillons de son potentiel réel que durant sa deuxième saison. Comme à domicile, contre Newport County, en EFL Cup, la nouvelle mouture de la Coupe de la Ligue. Il réussit alors un hat-trick. Ça fait du bien à sa renommée : aux matches à domicile, de plus en plus de jeunes supporters arborent un maillot à son nom et les tribunes entonnent régulièrement le classique  » The Roofe, the Roofe the Roofe is on fire « .

 » Sa popularité a crû à chaque but « , déclare Lee Sobot, qui suit Leeds United pour le Yorkshire Post.  » Il était aussi très apprécié du vestiaire, à en juger par les réactions publiées sur Instagram. Il poste régulièrement des clichés de sa famille – il a vraiment l’esprit de famille – et de nombreux coéquipiers les regardaient et y réagissaient.  »

Les supporters de Leeds United voient en Roofe un joueur qui se livre à fond dans chaque duel. Roofe est un poison pour les défenseurs, qu’il rend fous. Il est constamment en mouvement en possession du ballon et part à sa chasse agressivement dans le cas contraire.

Sa devise ? Chasser et harceler. On n’attend pas d’un attaquant qu’il couvre douze kilomètres par match mais en théorie, il est capable d’abattre cette distance en nonante minutes.

 » A Leeds, Kemar a montré qu’il possédait toutes les qualités qu’on requiert d’un attaquant moderne « , explique le préparateur physique Benoît Delaval, qui a travaillé 14 ans à Lille et a suivi Bielsa en Angleterre l’été 2018.  » Ce qu’il montre sur le terrain est une combinaison de talent intrinsèque et de dur labeur. Il travaille plus qu’un joueur moyen.

Il est facile de séduire un entraîneur durant les premières séances mais c’était bien plus qu’une pose chez Kemar. Il s’entraînait à 100% et y allait aussi à fond à la gym. Il a la capacité de répéter ses efforts jour après jour. En semaine ou pendant la saison, il ne s’endormait jamais. Il suivait son programme individuel jusque dans les moindres détails et travaillait son corps de trois quarts d’heure à une heure chaque jour. Je devais parfois le freiner… »

L’ambition de devenir plus complet

Roofe arrive plus tôt au club afin de travailler sa technique, de tirer au but et d’échauffer sa musculature. Botaka ne se souvient pas de l’avoir devancé une seule fois.  » Il avait l’ambition de devenir plus complet. Il ne se satisfaisait pas de son niveau mais voulait toujours aller plus haut. C’est notamment pour cela que j’éprouvais autant de respect pour lui.

Les gens le sous-estimaient souvent en le voyant pour la première fois. Sa taille les trompait. Je sais ce qu’ils pensaient : – Est-ce un avant ? Il est trop petit et pas assez large pour jouer devant. Mais c’est un guerrier. Il maîtrise parfaitement son corps et il a prouvé qu’il n’était pas nécessaire d’être grand pour être un bon attaquant en Angleterre. »

Fin juillet 2018, Patrick Bamford est transféré de Middlesbrough, un club de la même série, pour 11,7 millions d’euros, primes comprises. Il semble que Roofe va dégringoler dans la hiérarchie. Mais Bielsa lui accorde sa préférence en pointe de l’attaque.

Roofe n’est pas un Romelu Lukaku mais il a le profil idéal pour le football de pression de Bielsa – explosif sur les premiers mètres, doté d’une endurance supérieure à la moyenne et opiniâtre dans les duels -. Toutefois, un jour, Roofe se blesse en match, après un énième sprint à une intensité élevée. Il a peur d’être écarté s’il n’exerce pas de pression sur la défense.

 » Kemar fait partie de ces joueurs qui ne cessent de se développer « , affirme Sobot.  » Mois après mois, année après année. La saison passée, Bielsa a quasiment retiré le maximum de Roofe. Il l’a complètement éveillé. Depuis son départ de Leeds, Roofe n’a cessé de répéter qu’il avait beaucoup appris avec Bielsa.

Mais que se serait-il passé si Bamford, enrôlé pour devenir le leader de l’attaque, ne s’était pas blessé au genou ? Cet accident l’a privé de plus de vingt matches et Roofe en a profité pour devenir le nouveau numéro un. Je ne dirai pas que Roofe ne serait pas devenu un pion majeur de l’équipe de Bielsa mais il aurait marqué moins de buts, selon moi. Je sais qu’ils auraient aimé jouer davantage de concert mais la blessure les en a souvent empêchés. »

Le complexe d'entraînement de Leeds United. Roofe y arrivait souvent le premier et repartait le dernier.
Le complexe d’entraînement de Leeds United. Roofe y arrivait souvent le premier et repartait le dernier.© BELGAIMAGE – CHRISTOPHE KETELS

Une séance de murderball

A Noël, Roofe conquiert à tout jamais les coeurs des supporters de Leeds, en faisant basculer deux matches en l’espace de trois jours. Le 23 décembre, il inscrit le but de la victoire à Aston Villa, à la 93e, alors que son équipe avait été menée 2-0. Lors du Boxing Day, il marque deux buts dans les arrêts de jeu contre Blackburn Rovers. On dirait qu’il ne s’éveille que quand le chrono menace de s’arrêter.

 » Le lendemain de ces matches contre Aston Villa et Blackburn, il s’est entraîné comme si de rien n’était « , raconte Delaval.  » Il était content d’avoir fait son travail. Il n’était pas euphorique et il n’a pas sombré dans l’excès, rien de tout ça. C’est une machine. Il reste professionnel jusqu’au bout des ongles, en toutes circonstances.  »

Durant la saison, Roofe voit Bielsa faire honneur à son surnom, El Loco. Combien d’entraîneurs se rendraient à pied, tous les matins, à leur travail, à 45 minutes de leur domicile ? Malgré un contrat à six zéros, combien d’entraîneurs loueraient un appartement à une chambre au-dessus d’un commerce ?

D’août à février, les joueurs ont obtenu cinq jours de congé. Tous les mercredis, l’Argentin les soumet à une séance de murderball à onze contre onze, sans siffler de coup franc, ce qui revient à ne pas interrompre le jeu.

Bielsa fait effectuer des travaux de rénovation au complexe d’entraînement pour un montant de 705.000 euros mais il place aussi les joueurs face aux réalités. Il emmène ainsi Roofe et ses coéquipiers aux alentours des terrains d’entraînement pour ramasser les détritus, pendant trois heures. Il leur fait ensuite un bref discours: « Les supporters doivent travailler aussi dur pour pouvoir assister à un match. Vous devez donc les respecter. »

Dingue de bagnoles et de mode

Roofe n’a pas besoin de leçon de modestie. Il n’opte pas pour le mondain Harrogate, une version campagnarde de Knokke, ni pour Bridgewater Place, un gratte-ciel de 145 mètres au coeur de Leeds, où sont domiciliés plusieurs joueurs. Roofe préfère passer son temps entre un hôtel en ville et la maison familiale située en périphérie.

Botaka :  » Sa famille occupe la première place. Mais il est dingue de bagnoles. Des classiques, des vieilles et des old school custom cars. Façon de parler, il arrivait chaque semaine avec une nouvelle voiture. Il ne l’achetait pas mais il connaissait quelqu’un qui possédait un garage et qui lui permettait d’emprunter un véhicule.

Il aime aussi la mode. Il a sa propre marque et nous abordions souvent ce thème pendant nos conversations. J’étais en train de créer ma propre ligne vestimentaire et comme il avait déjà la sienne, je lui ai demandé des conseils. Je voulais savoir comment il avait débuté, comment il avait lancé sa marque.

J’étais aussi curieux d’apprendre d’où lui venait cette passion pour la mode. Car il y investit énormément d’énergie. J’aime savoir comment vit un footballeur en dehors du terrain. A-t-il des hobbies ?  »

Kompany sur la balle

La non-promotion de Leeds United en Premier League a des conséquences pour Roofe. Les négociations pour un nouveau contrat traînent et au début de l’été, c’est clair : il n’obtiendra pas un gros contrat comme Bamford. Cela alimente les rumeurs d’un départ du meilleur buteur de Leeds. Crystal Palace et Newcastle seraient intéressés.

Mais un coup de fil de Vincent Kompany suffit. Le 6 août, il signe un contrat de trois ans au Lotto Park. Elland Road est consterné. Les supporters qui ont déjà acheté le maillot floqué du numéro sept peuvent l’échanger gratuitement au fanshop.  » Si nous avions été promus, Kemar aurait certainement eu sa place dans le noyau de Leeds United « , affirme Iore.

Interrogé sur son prochain objectif, Roofe a répondu : progresser chaque jour. A Leeds, il a eu besoin d’un temps d’adaptation pour se faire à son nouvel habitat en Championship. Il n’en ira pas autrement cette saison à Anderlecht.

Meilleur buteur sur le terrain, héros du petit écran

L’été dernier, Leeds United a également eu son feuilleton documentaire, Take us home, commenté par Russell Crowe, la star d’Hollywood, après All or Nothing : Manchester City et Sunderland ‘Til I Die.

La série de six épisodes sur la première saison de Marcelo Bielsa à la tête des Whites voit Kemar Roofe briller aux côtés du propriétaire Andrea Radrizzani, du très émotif directeur sportif Victor Orta, du local boy Kalvin Phillips, du capitaine Liam Cooper et des autres leaders de l’équipe, Luke Ayling, Pablo Hernandez et Pontus Jansson.

Le tournage de la campagne 2018-2019 s’achève mal : Leeds United a été éliminé par Derby County en demi-finale des play-offs.  » Un moment donné, Leeds avait neuf points d’avance sur le troisième mais il s’est effondré en fin de parcours « , raconte Lee Sobot.  » Kemar a poursuivi le cours de sa vie mais avoir loupé la montée en Premier League reste sans doute la pire déception de sa carrière.  »

Amazon Prime est en train de tourner une suite. En quête d’un digne remplaçant de Roofe, l’acteur principal, Leeds United s’est tourné vers Eddie Nketiah, loué pour une saison par Arsenal. L’avant de vingt ans n’a pas encore été convaincant. Il a été titularisé pour la première fois récemment contre Birmingham et selon les dernières rumeurs, Arsenal voudrait le rappeler à Londres avant la fin de la saison.

Jusqu'à présent, Kemar Roofe a inscrit six buts et donné deux assists en JPL pour le compte d'Anderlecht.
Jusqu’à présent, Kemar Roofe a inscrit six buts et donné deux assists en JPL pour le compte d’Anderlecht.© BELGAIMAGE – CHRISTOPHE KETELS

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