Jacques Sys

Qatar 2022, drôle de Mondial…

Jacques Sys Jacques Sys, rédacteur en chef de Sport/Foot Magazine.

Découvrez l’édito de notre rédacteur en chef Jacques Sys.

C’est parti pour le Mondial au Qatar, les Diables entament ce mercredi leur parcours éliminatoire en recevant les Gallois. Ça fait déjà onze ans que ce tournoi a été attribué à l’État du Golfe persique. Et onze ans que ça scandalise. On avait parlé à l’époque de votants corrompus, on s’était posé des questions sur un pays qui n’en a rien à faire des droits humains, et on s’était surtout demandé si c’était raisonnable de bousculer le calendrier habituel de tous les championnats nationaux pour pouvoir aller disputer une Coupe du monde en hiver dans cette partie du monde où il serait déraisonnable de jouer en été, vu les températures extrêmes. Plein de questions essentielles. Qui ont fini par ne plus être posées.

Contester l’attribution d’une Coupe du monde, ça n’a rien de nouveau.

Aujourd’hui, les discussions reprennent après la divulgation de l’info selon laquelle 6.500 ouvriers ont perdu la vie sur les chantiers des stades qataris. Les appels au boycott sont de plus en plus pressants. Les travailleurs étrangers doivent débourser beaucoup d’argent dans leur pays pour pouvoir aller bosser au Qatar, là-bas leur passeport est confisqué, ils y travaillent six jours par semaine à raison de quatorze heures par jour, ils reçoivent 250 par mois et ils sont hébergés dans des conditions déplorables. C’est de l’esclavage moderne. Et c’est dégoûtant.

Évidemment, la Coupe du monde ne sera pas boycottée. Trop tard pour en arriver là. Pendant toutes ces années, personne n’a élevé la voix pour qu’il y ait boycott malgré les rapports alarmistes d’organisations comme Amnesty International et Human Rights Watch. Des clubs comme le Bayern et l’Ajax passent leur stage hivernal au Qatar et le pays a entre-temps organisé un championnat du monde cycliste. Et donc, l’année prochaine, le Qatar aura l’occasion de montrer son plus beau visage aux téléspectateurs du monde entier.

Remettre en cause l’organisation d’un Mondial n’a rien de nouveau. Quand le tournoi a été confié à l’Afrique du Sud, pour l’édition 2010, on s’est demandé s’il était cohérent de jouer le tournoi dans un pays aussi pauvre. Le gouvernement sud-africain a fait ce qu’il fallait, il a déplacé les sans-abris des villes où se jouaient des matches, il les a parqués des centaines de kilomètres plus loin. Comme des parias. Il y avait aussi la question de l’insécurité. Si importante que l’ambassade des Pays-Bas avait pris le temps d’éditer un fascicule reprenant quelques conseils de survie.

On a aussi contesté la Coupe du monde au Brésil, un pays où le fossé entre riches et pauvres est colossal, où les bidonvilles sont des scènes de crimes permanentes. Même chose pour la Russie, un autre pays habitué des polémiques. Et on se souvient de l’Argentine en 1978, quand un régime meurtrier avait profité du Mondial pour faire sa propagande. Bref, rien de nouveau avec la question qatarie.

Un territoire aussi minuscule que le Qatar ne devrait jamais accueillir un Mondial de foot. On a su par après que deux personnalités françaises avaient joué un rôle important dans ce choix: Michel Platini, président de l’UEFA au moment du vote, et Nicolas Sarkozy, ex-président de la République. On pensait que le tournoi allait être confié à un pays du continent américain. Après le vote, le Qatar a investi de centaines de millions d’euros en France. Vous avez dit « hasard »?

À ce niveau, le sport et la politique sont indissociables. Ce serait illusoire de croire qu’un jour, l’attribution d’une Coupe du monde de foot obéira à des critères stricts et objectifs, et qu’on tiendra compte, par exemple, de la question des droits humains. Les considérations éthiques ne sont rien par rapport aux gros sous, comme si le foot international fermait systématiquement les yeux sur les pires abus. Tout au plus entend-on qu’un Mondial aide à attirer l’attention sur des situations problématiques, comme c’est le cas aujourd’hui au Qatar. Mais ça ne va pas plus loin. Après le tournoi, la vie là-bas reprendra son cours. On l’a bien vu en Afrique du Sud. Dès le lendemain de la finale, les sans-abris avaient réintégré les grandes villes.

Les chantiers des stades qataris ont coûté la vie à des milliers d'ouvriers immigrés.
Les chantiers des stades qataris ont coûté la vie à des milliers d’ouvriers immigrés.© GETTY IMAGES

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