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Pourquoi WhatsApp a la cote chez les footeux

On a cherché en vain un joueur de foot qui ne soit pas sur WhatsApp. En football, les groupes de chat permettent surtout de cimenter l’unité du noyau et d’échanger des infos pratiques.

Question à cinq balles : quel jouet les footballeurs pros touchent-ils plus souvent que le ballon ? Réponse : leur téléphone portable. Igor de Camargo, Davy De fauw et Olivier Deschacht sont les derniers joueurs qui ne font pas partie de la génération digitale. Les plus jeunes joueurs de D1A ont été élevés avec un smartphone dans la main. Chez les moins de 35 ans, on utilise plus WhatsApp que la ligne téléphonique classique. Même les SMS sont amenés à disparaître. Cette évolution de la société a des répercussions dans les vestiaires des clubs. Un mini-sondage nous apprend que les joueurs communiquent beaucoup entre eux par le biais des groupes de chat de WhatsApp.

Quand on parle de choses importantes, c’est entre quatre yeux. Sur WhatsApp, on n’a pas de notion du non verbal. Stefaan Lammertyn, expert en réseaux sociaux

 » À Saint-Trond, on a deux groupes de chat « , dit Kenny Steppe, le deuxième gardien des Canaris.  » Un rien que pour les joueurs et un autre pour tout le monde, y compris les entraîneurs. C’est dans ce dernier que le team manager, Peter Delorge, poste les infos pratiques sur le stage, les changements d’heures d’entraînement, etc. Dans l’autre, on rigole.  » Avant, les joueurs mettaient du baume du tigre dans le slip d’un partenaire. Aujourd’hui, ils s’envoient des memes, des vidéos et des photos.  » On rigole de ce qui se passe à l’entraînement. Ou alors, un équipier qui s’y connaît en Photoshop place la tête d’un joueur sur le corps d’un autre. On ne peut pas dire qu’on dialogue vraiment.  »

 » Partager le programme et les infos pratiques  »

Même son de cloche au Cercle où le capitaine, Jérémy Taravel, est responsable du groupe de chat des joueurs.  » J’en crée un nouveau chaque saison, avec tous les joueurs du Cercle. C’est une idée que j’ai ramenée du Dinamo Zagreb. On fait des blagues, on discute des matches de Champions League et on s’avertit quand il y a du trafic pour aller au stade. Dans le groupe de chat officiel, on retrouve aussi le team manager, les kinés et les médecins.  » À La Gantoise, selon Thomas Kaminski, il n’y a qu’un groupe officiel, géré par Brecht Dejaegere.  » Ce groupe nous sert à partager le programme et les infos pratiques « , dit le gardien.  » À quelle heure est le rendez-vous ? Doit-on porter un costume ? Ce genre de choses. Ce n’est pas un groupe pour la rigolade. Les Ukrainiens, les francophones et les néerlandophones ont chacun leur petit groupe. Moi, je fais partie d’un groupe d’anciens joueurs de Courtrai. Là, on retrouve l’humour typique du vestiaire : des vidéos marrantes, des captures d’écran d’Instagram, etc.  »

Dans les groupes de chat officiels, c’est souvent le team manager qui communique. Au Cercle, c’est Sven Vandendriessche.  » J’envoie le planning de la semaine et celui du jour en mettant l’accent sur les changements. Les jours de match, je donne régulièrement des infos aux joueurs. Après le petit déjeuner, par exemple, je leur dis à quelle heure ils sont attendus pour la promenade ou le repas de midi. Lorsque le Club Bruges joue en semaine, je leur rappelle qu’ils doivent quitter la salle de fitness à temps et enlever leur voiture du parking.  » Jusqu’il y a peu, le staff technique faisait partie du groupe, y compris l’ex-entraîneur, Fabien Mercadal. Bernd Storck préfère garder ses distances.  » Ses adjoints ne font pas partie du groupe non plus. C’est son choix. Il compte sur l’autonomie des joueurs, sur leur sens des responsabilités. Il part du principe que le programme est affiché, qu’ils doivent le regarder et en faire une photo puis le retenir. Il veut qu’ils vivent constamment comme des pros, pas comme des enfants gâtés à qui il faut tout rappeler toutes les deux ou trois heures. Car si je leur envoie trop de messages, ils ne réfléchissent plus.  »

Avant, on imprimait le programme pour tout le monde. Maintenant, il est accroché au tableau, quelqu’un fait une photo et l’envoie aux autres.  » Jacky Mathijssen, sélectionneur de la Belgique U19

 » Plus personne ne téléphone  »

Vandendriessche n’utilise pas uniquement WhatsApp pour envoyer des messages à tout le groupe. Il a également les numéros de téléphone de chaque joueur.  » Je les contacte presque toujours par WhatsApp. Plus personne ne téléphone, sauf si je ne réagis pas immédiatement.  » Ça sert aux choses pratiques, comme les payements ou l’assurance incendie.  » Certains joueurs sont plus réactifs que d’autres. Parfois, ils sont à Bruges et ont besoin d’un taxi. Les jeunes ont souvent besoin d’un transport et logent parfois à l’hôtel. Je leur envoie donc pratiquement chaque jour un message et ils me remercient. Ça se passe bien.  » Le staff médical du Cercle utilise aussi WhatsApp chaque jour pour donner des rendez-vous aux joueurs : qui doit arriver plus tôt le matin pour voir le médecin, le pédicure ou le dentiste ? Les cinq kinés communiquent aussi entre eux pour savoir qui est de service, car ils ne doivent pas être tous présents chaque jour.

Certains clubs utilisent WhatsApp pour la communication entre les membres du staff technique. Le préparateur physique peut ainsi envoyer à l’entraîneur des photos du travail que les blessés réalisent à l’entraînement, par exemple. D’autres coaches, comme Jacky Mathijssen, sont moins fans de l’application.  » Les autres membres du staff s’envoient mutuellement des messages par ce biais mais moi pas « , dit l’entraîneur de l’équipe nationale U19, que ses joueurs ne peuvent pas contacter par Whatsapp.  » Ils peuvent m’appeler par téléphone. Mon numéro est public et se trouve dans toutes mes communications officielles. Et ils le font, même s’ils passent parfois par le team manager ou par quelqu’un de leur club.  » Mathijssen trouve néanmoins que WhatsApp est pratique lorsqu’il s’agit de toucher plusieurs personnes en même temps.  » Avant, on imprimait le programme pour tout le monde. Maintenant, il est accroché au tableau, quelqu’un fait une photo et l’envoie aux autres. Le team manager, Raf Van Beek, fait passer toutes les infos pratiques par le groupe WhatsApp.  »

 » WhatsApp n’est pas fait pour parler de son match  »

François Vitali, l’ex-directeur technique du Cercle, avait demandé à Vandendriessche de communiquer en trois langues dans le groupe de chat officiel. Dans le groupe officieux, c’est le français qui prévaut, avec quelques mots d’anglais ça et là.  » 90 % du groupe parle français « , dit Taravel. À Saint-Trond, les joueurs mélangent l’anglais, le français, l’espagnol et même un peu de portugais, à cause des Brésiliens. Pas de Japonais, par contre…

Un sujet semble tabou dans les groupes de chat : on ne parle pas du match de son équipe. Kaminski :  » Quand on parle de football, c’est au club.  » Steppe :  » On en parle dans la vie de tous les jours, pendant le petit déjeuner au club, par exemple.  » Taravel :  » WhatsApp n’est pas fait pour parler de son match. Il faut pouvoir se regarder dans les yeux. Donc, on en parle dans le vestiaire.  »

Une approche saine, selon Stefaan Lammertyn, expert en réseaux sociaux et co-auteur d’un livre sur l’enfance et internet.  » Quand on parle de choses importantes, c’est entre quatre yeux. Ou au téléphone car le ton de la voix peut déjà permettre de déterminer si quelqu’un est euphorique ou agité. Sur WhatsApp, on n’a pas de notion du non verbal. Même un émoticône ne remplace pas cela. On ne rompt pas non plus avec sa petite amie par message.  »

Selon Lammertyn, un coach un peu intelligent utilise néanmoins WhatsApp pour gérer son groupe.  » Aujourd’hui, un entraîneur doit être disponible. Quand un joueur a un problème, il doit pouvoir en parler rapidement au coach. Bien entendu, il faut fixer des règles claires. L’entraîneur peut ainsi dire qu’il coupe son téléphone entre 22 h et 8 h. Si un club fixe des règles en matière d’entraînement et d’alimentation, il est logique qu’il le fasse aussi en matière de communication. Le mieux, c’est que l’entraîneur mette les choses au point dès le début de saison et pas quand ça commence à foirer.  »

Il y a cependant des risques. Lammertyn pense que toute forme de communication commence par le respect. L’idée doit être qu’on forme un groupe, tant sur le terrain qu’en ligne.  » Sur WhatsApp, on peut vite laisser libre cours à sa frustration « , dit Lammertyn.  » Il est parfois difficile de contrôler ses émotions. C’est comme quand on reçoit un e-mail qu’on n’aime pas : on est parfois tenté de répondre de façon virulente alors qu’on sait qu’il vaut d’abord mieux faire un brouillon et ne l’envoyer que le lendemain, après une bonne nuit de sommeil. Sur WhatsApp, on n’a pas encore appris à maîtriser cela. De plus, on peut voir si les autres ont lu le message. Si la réponse ne vient pas tout de suite, on peut être frustré. C’est pourquoi je conseille à ceux qui sont fâchés ou ivres d’éviter les réseaux sociaux. Il est trop facile de faire des captures d’écran.  »

On ne s’écrit pas constamment car on est déjà ensemble chaque jour. Mais un message marrant de temps en temps n’a jamais fait de tort au groupe.  » Jérémy Taravel, Cercle Bruges

 » La façon la plus rapide de communiquer  »

Reste à savoir si la communication digitale crée des liens entre les joueurs à la manière d’un jeu de carte ou d’un verre, comme ça se passait avant. Lammertyn pense que oui.  » Ça peut favoriser la cohésion. Ça confère surtout un sentiment d’appartenance. Avant, ça se passait dans des groupes physiques, on choisissait qui venait au café. Maintenant, c’est sur WhatsApp.  »

Taravel confirme :  » On ne s’envoie pas constamment des messages non plus, car on est déjà ensemble chaque jour dans le vestiaire. Mais un message marrant de temps en temps n’a jamais fait de tort au groupe.  » Steppe :  » Bah, on ne forme pas un vrai groupe grâce à WhatsApp. Beaucoup de choses ont changé par rapport à mes débuts. Certains joueurs sont tout le temps sur leur téléphone : à la salle de fitness, quand on fait du stretching, avant l’entraînement. Ça ne se passait pas comme ça avant. Dans le car, tout le monde a ses écouteurs et la plupart des joueurs sortent leur tablette ou leur pc portable.  »

Les clubs ne sont pas les seuls à utiliser WhatsApp. Les agents de joueurs s’en servent aussi. C’est ainsi que Mogi Bayat aurait utilisé l’application pour cacher des choses ne pouvant apparaître au grand jour. Sur WhatsApp, en effet, les communications sont cryptées.  » Un agent qui utilise WhatsApp pour ne pas être repéré fait fausse route « , dit Gunter Thiebaut, dont l’agence, 11 One, défend notamment les intérêts de Hendrik Van Crombrugge. Par contre Thiebaut utilise l’application pour rester en contact avec ses clients disséminés à travers l’Europe.  » Surtout pour des aspects pratiques. WhatsApp, c’est plus facile qu’un SMS car on peut transférer une photo ou laisser un message vocal si on n’a pas le temps de taper. Je l’utilise pour communiquer avec mes joueurs et aussi parfois avec les clubs avec qui j’ai déjà un bon contact. C’est la façon la plus rapide de communiquer. « 

Pourquoi WhatsApp a la cote chez les footeux
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Éviter les pièges des réseaux sociaux

Le fait que les joueurs rigolent entre eux sur des réseaux privés ne dérange personne. Mais parfois, il y a des fuites. Comme quand, en septembre dernier, Bernardo Silva a comparé une photo de Benjamin Mendy gamin à une effigie en chocolat de Conguitos, une marque de friandises. Racisme, s’est indigné le monde du foot. Une blague de potache entre deux amis a pris une tout autre tournure lorsqu’elle est arrivée aux oreilles du public. Les joueurs peuvent ainsi détruire leur image.

Ils en sont parfaitement conscients.  » On a souvent vu combien, dans les grands clubs, des choses éclatent parfois en public « , dit Thomas Kaminski, de La Gantoise.  » On sait parfaitement jusqu’où on peut aller.  » Jérémy Taravel pense la même chose.  » Aujourd’hui, une petite chose prend parfois beaucoup d’ampleur. On ne poste donc pas de photos du vestiaire ou du club. Le coach nous le répète aussi : on forme une famille, ce qui se passe en son sein ne regarde personne. Sur Instagram, il m’arrive de poster une photo de match mais jamais de la salle de fitness.  »

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Sven Vandendriessche, le team manager, ajoute :  » Parfois, les fans reprennent des photos d’Instagram. Je dis toujours aux joueurs qu’ils doivent être prudents. Surtout quand on est dans une situation pénible comme maintenant. Si on était dans les cinq premiers, personne ne ferait de foin en voyant un joueur manger un hamburger ou des frites. Mais dans notre position, c’est différent.  »

Au sein de l’agence 11 One, quelqu’un est chargé d’apprendre aux joueurs à utiliser les réseaux sociaux.  » Il est important qu’ils soient au courant des dangers. La plupart des joueurs sont suffisamment intelligents, mais mieux vaut travailler de façon préventive « , explique Gunter Thiebaut.  » Parfois, un joueur nous demande s’il peut poster ceci ou cela. Alors, nous réfléchissons ensemble à la façon de le faire au mieux.  »

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Stefaan Lammertyn, dont le fils, Jakob, est dans le noyau A de Harelbeke, pense que l’accompagnement est primordial.  » Les parents ou, dans ce cas, les coaches, sont souvent trop distants. Ils disent : tirez votre plan, vous vous y connaissez mieux que moi dans ce domaine. Ce n’est pas une bonne idée. Les jeunes mesurent moins l’impact de leurs actes que les plus âgés, même si ceux-ci ne savent pas ce que c’est WhatsApp.  »

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