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Pourquoi le transfert de Steven Berghuis met les Pays-Bas en émoi

Le transfert de l’été, c’est celui de Steven Berghuis de Feyenoord à l’Ajax. Une audace qui en dit long sur le joueur et sur l’homme, un perfectionniste qui en veut toujours plus et n’a pas peur des polémiques.

À Rotterdam, des fresques murales et des calicots scandaleux prouvent que Steven Berghuis est passé du statut de chouchou du public à celui de paria. On le voit vêtu en prisonnier d’un camp de concentration, avec une étoile juive sur le torse et une inscription « Les Juifs s’enfuient toujours ». On le compare au criminel Martin van de Pol et au journaliste Peter R. de Vries – deux supporters de l’Ajax assassinés. Son transfert de Feyenoord à l’Ajax démontre une nouvelle fois qu’en football, le coeur et la raison ne font pas souvent bon ménage.

Vous n’imaginez pas tout ce que j’ai fait à Alkmaar lorsque j’habitais seul, comment je vivais, ce que je mangeais… »

Steven Berghuis

Trahison

C’est en effet la raison qui a poussé Berghuis à prendre cette décision. À Feyenoord, il avait fait le tour de la question. Deux options s’offraient donc à lui: l’étranger ou un meilleur club aux Pays-Bas. L’AS Rome s’est intéressée à son cas et inversement, mais les choses ont traîné. Par le passé, on avait également cité un intérêt du PSV, mais l’attaquant en avait habilement profité pour négocier un plus gros contrat avec Feyenoord, faisant insérer une clause selon laquelle il pouvait partir pour moins cher chaque année. L’Ajax a joué là-dessus afin de transférer l’ailier droit pour quatre millions d’euros. Sacré braquo…

Avec les Brésiliens Antony et David Neres, la concurrence sur le flanc droit est cependant rude à Amsterdam, mais le premier cité intéresse le Bayern et le deuxième a souvent été blessé. L’arrivée de Berghuis démontre que le club veut se renforcer en profondeur, car les deux dernières saisons, on a vu que le noyau de l’Ajax était souvent un peu court sur le plan européen. Désormais, il y aura davantage de concurrence et de choix.

C’est aussi l’Europe qui a dicté le choix de Berghuis. Alors que Feyenoord stagne, l’Ajax est en passe de devenir le Bayern des Pays-Bas. Jusqu’il y a peu, le club de la capitale ne transférait pas encore les meilleurs joueurs de la concurrence, mais le transfert de Berghuis n’est qu’un premier pas dans cette direction. Non seulement l’Ajax se renforce, mais il affaiblit aussi Feyenoord. La saison dernière, le gaucher a été directement impliqué (but ou assist) dans 50% des buts du club de Rotterdam, dont il était le capitaine et la figure de proue, celui auquel les supporters s’identifiaient. Il respirait l’ADN du club. Son départ est donc synonyme de trahison pour ces derniers.

Joueur culte

Ce transfert et tout ce qu’il implique contribuent encore au statut de joueur culte de Steven Berghuis. Car la saison dernière, il s’est passé un paquet de choses à Feyenoord. Dick Advocaat s’est souvent arraché les cheveux, ne sachant pas que faire de sa star. Et se demandant si Berghuis était fou ou génial? La critique ne lui faisait en tout cas pas peur. Mieux, il la cherchait. Il lui arrivait souvent d’entrer en conflit avec son entraîneur, dont les choix ne lui plaisaient pas. Et sur le terrain aussi, il dépassait parfois les limites.

Lors du match de Coupe contre Heerenveen, par exemple, il a été exclu pour deux cartons jaunes, ce qui a permis à l’adversaire, mené 1-3, de revenir et de priver Feyenoord d’une demi-finale contre… l’Ajax. On a alors dit qu’il l’avait fait intentionnellement, histoire de ne pas jouer contre le club amstellodamois, car les premières rumeurs de transfert avaient déjà vu le jour. La vérité, c’est qu’il ignorait qu’il avait déjà reçu un carton jaune et qu’il a commis une faute pour aider son club. Mais une nouvelle fois, tout tournait autour de lui.

C’est souvent comme ça avec Berghuis, pourtant très professionnel et très droit, mais qui n’a pas peur de focaliser l’attention. Surtout la saison dernière, où il ne semblait plus être à sa place à Feyenoord. Il a un jour déclaré être un perfectionniste et admet que son caractère lui joue parfois des tours. Il en veut toujours plus et au Kuip, ce n’était plus possible. C’était même de pire en pire puisque en 2017, pour sa première saison, le club avait décroché un titre qu’il attendait depuis 18 ans.

Il a déclaré dans une interview que lorsqu’il faisait un mauvais match, il en était malade pendant une semaine. On imagine donc à quel point il a souffert la saison dernière. Et il ne cache pas ses sentiments. On dit de lui qu’il est capricieux et rebelle. Quand les choses ne tournent pas rond, il pète plus rapidement les plombs qu’un autre. Berghuis doit encore apprendre à maîtriser ses émotions.

Éclosion tardive

Question parcours, Berghuis éclot sur le tard. Exclu du centre de formation d’AGOVV/Vitesse, il s’affilie à WSV, un club amateur d’Apeldoorn, où il débute en équipe première à l’âge de quinze ans. À l’époque, il lui arrive déjà de s’énerver sur ses équipiers parce que ceux-ci sont sortis en ville la veille d’un match. Il intègre ensuite le centre de formation de Go Ahead Eagles avant de débarquer au FC Twente, pour y passer pro. Ce n’est cependant qu’après une location au VVV-Venlo et un transfert à l’AZ qu’il se fait réellement remarquer, notamment pour sa technique du pied gauche. Une qualité héritée de son père, Frank Berghuis, qui a joué à Lommel de 1993 à 1995.

Steven Berghuis, ici sous le maillot de Feyenoord:
Steven Berghuis, ici sous le maillot de Feyenoord: « Aujourd’hui, il ne suffit plus d’éliminer son homme. Je préfère être en mouvement, rentrer dans le jeu, tourner autour de l’attaquant de pointe, chercher la combinaison. »© BELGAIMAGE

Petit déjà, Steven est plus doué que les joueurs de son âge. Il affûte sa technique de frappe en rue, en salle ou sur les terrains, jusqu’à en faire une arme redoutable. Mais ses entraîneurs à l’AZ, Gertjan Verbeek, Dick Advocaat ou Marco van Basten, font tous le même constat: il en garde trop sous la pédale, il mise trop sur son talent. « Moi, je me disais que, quand j’avais le ballon, je faisais la différence. De quoi se plaignaient-ils? », explique-t-il dans Voetbal International. « En amateurs, on me reprochait parfois mon comportement, on me disait que je devais aussi défendre. Alors, je disais aux adversaires qu’ils n’oseraient de toute façon pas attaquer. » Avec Verbeek, Berghuis joue encore régulièrement, mais Advocaat le renvoie en tribune, tout en admettant qu’il s’agit de son meilleur joueur.

L’entraîneur-adjoint José Fortes Rodríguez trouve les mots justes. Il lui explique comment les entraîneurs voient les choses. « Ils veulent te voir actif, tu dois travailler, récupérer des ballons, tacler. Peu importe que tu tires au-dessus, à côté ou que tu fasses des passes. Ils savent que tu sais jouer au football. Fais ce que je te dis pendant une semaine et tu verras que tu seras repris. Une semaine seulement… Qu’as-tu à perdre? »

Lors du match suivant, Berghuis fait ce qu’on lui demande et y prend du plaisir. « Je ne savais pas que c’était si chouette de prendre le ballon à l’adversaire », dit-il dans Voetbal International. « En fait, c’est ça qui me permet de rentrer dans le match. Avant, on m’avait dit mille fois qu’il me manquait quelque chose. Moi, je me disais que ce n’était pas possible. Mais José m’a appris que les entraîneurs ne voyaient pas les choses de la même façon. Je devais d’abord faire mon boulot, prouver qu’on pouvait compter sur moi et puis seulement faire la différence. Il a été très didactique et très clair: Fais ce qu’on te demande et les entraîneurs diront que tu as compris. »

Advocaat l’aligne alors plus souvent, mais c’est surtout sous la direction de John van den Brom qu’il éclate. « John fait en sorte que les joueurs se sentent bien. Avec lui, on n’a pas peur de faire des erreurs. Il parle avec nous, nous prend par les épaules et nous félicite à l’entraînement, tout en étant très clair. »

État d’esprit

Berghuis est désormais armé pour réussir au sommet. Lors de son transfert de l’AZ à Watford, c’est cependant à nouveau son état d’esprit qui lui joue des tours. Il veut simplement jouer au football, mais quand l’entraîneur l’aligne à gauche dans un 4-4-2 plutôt qu’à droite dans un 4-3-3, il ne suit pas. Dès le troisième match, il n’est plus repris et n’est que remplaçant en réserve. « Le club avait dépensé beaucoup d’argent pour moi et avait fait les plus beaux projets, mais on en était arrivé là. »

Il doit se contenter de courtes entrées au jeu et perd toute confiance en lui. Même à l’entraînement, il est mis hors-jeu et, lorsqu’il s’en prend à l’entraîneur, il est condamné à s’entraîner à part. « Le week-end, je devais faire des tours de terrain. Je pouvais jouer avec l’équipe B, qui s’inclinait 5-0 contre les U21 de Crystal Palace. Il n’y avait pas d’entraîneur, je touchais le fond. » Au terme de la saison, Feyenoord le loue et il consent un gros sacrifice financier, car il veut à tout prix rejouer. Ça marche si bien que le club est sacré champion et le transfère à titre définitif.

En quatre ans, il évolue énormément: il est toujours aussi fort techniquement, mais se montre bien plus motivé et son état d’esprit est meilleur. C’est pourquoi, malgré les nombreux incidents, Advocaat le laisse porter son brassard de capitaine. C’est cette mentalité qui lui permet de donner le meilleur de lui-même, mais Steven reste incontrôlable. « Il veut toujours bien faire, parfois trop bien même », dit Advocaat. « Mais il sait très bien quelles erreurs il commet. »

Doté de cet état d’esprit, il est prêt pour le plus haut niveau. « Dès le début de la semaine, je pense au prochain match », dit-il dans Voetbal International. « À l’AZ, je voyais que Maarten Martens voulait tout réussir. Quand il échouait, il râlait. Je me disais qu’il en faisait trop, mais maintenant, j’ai compris et je suis devenu comme lui. »

Il prend également exemple sur Dirk Kuijt et Robin van Persie. Il regarde des documentaires sur des légendes du sport comme LeBron James et Conor McGregor. Il voit tout ce que ces athlètes ont fait pour leur sport, l’importance qu’ils ont accordée au repos, à l’alimentation, à la façon de s’entraîner… Même en vacances, il ne lâche rien. Pour lui aussi, le sport de haut niveau devient un art de vivre alors qu’à l’AZ, il lui arrivait d’aller au McDo. « Vous n’imaginez pas tout ce que j’ai fait à Alkmaar lorsque j’habitais seul, comment je vivais, ce que je mangeais… Si je faisais ça aujourd’hui, ce ne serait pas possible. Aujourd’hui, quand mes tirs sont contrés, je regarde le match pour voir ce qui n’a pas fonctionné. Ma frappe était-elle mauvaise? Étais-je mal placé? Ça me préoccupe constamment. »

Il s’est transformé en un joueur perfectionniste et très critique. Même ses équipiers lui demandent parfois de lâcher prise. Lui pense qu’ils feraient mieux de se motiver mutuellement. « Pas besoin d’être des copains, on doit juste faire des résultats. » Au Kuip, Berghuis était à la croisée des chemins et n’aurait pas supporté de faire marche arrière, ce qui explique son départ pour l’Ajax. Mais le move fait très mal aux supporters de Feyenoord.

Cinq prédécesseurs pour Steven Berghuis

Steven Berghuis n’est que le cinquième joueur à passer directement de Feyenoord à l’Ajax. Ses prédécesseurs sont Henk Groot, Jan Everse, Arnold Scholten et Henk Timmer, mais dans les cas d’Everse et de Scholten, il s’agissait d’un retour, car ils avaient joué à l’Ajax auparavant.

Ils sont plus nombreux à avoir effectué le chemin inverse. La liste serait trop longue à énumérer, mais le dernier en date n’est autre que Kenneth Vermeer, qui l’a d’ailleurs payé assez cher: à l’Amsterdam Arena, on a pendu une poupée à son effigie. Quant au joueur le plus célèbre à avoir quitté l’Ajax pour Feyenoord, il s’agit d’un certain Johan Cruijff.

Et puis il y a ceux qui ont porté le maillot des deux clubs, sans passer directement de l’un à l’autre: Ronald Koeman, Wim Jansen, Johnny Rep ou Simon Tahamata.

Steven Berghuis (de face) et son concurrent, David Neres.
Steven Berghuis (de face) et son concurrent, David Neres.© BELGAIMAGE

L’exemple d’Eden Hazard

À Amsterdam, sur le flanc droit, Steven Berghuis sera en concurrence avec Antony et David Neres, qui sont des joueurs dotés d’un style différent. Avec son pied gauche, le Néerlandais préfère rentrer dans le jeu. Il a d’ailleurs déclaré à Voetbal International qu’il n’aimait pas disputer les un contre un. « Éliminer un adversaire le long de la ligne, très peu pour moi. Les adversaires sont tellement costauds qu’il faut jouer autrement. Aujourd’hui, il ne suffit plus d’éliminer son homme. Pour moi, ce style de jeu est dépassé. Je préfère être en mouvement, rentrer dans le jeu, tourner autour de l’attaquant de pointe, tirer, chercher la combinaison ou jouer rapidement. Heureusement, le football a tellement évolué que les arrières latéraux montent et centrent, ce qui permet aux ailiers de rentrer dans le jeu. Vous voyez souvent Eden Hazard déborder et centrer? »

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