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Portrait : Damsgaard à vous

Fabien Chaliaud Journaliste

Le milieu offensif devait passer un Euro à apprendre dans l’ombre de Christian Eriksen, mais le malaise cardiaque de ce dernier a propulsé directement en pleine lumière ce jeune fantassin pas si inexpérimenté et surtout bien rodé aux tactiques du général Hjulmand.

Un Parken Stadium silencieux retenant son souffle, les visages en larmes ou inquiets des joueurs danois formant une barrière de pudeur autour d’un camarade en détresse, la compagne de ce dernier en pleurs et réconforté par les bras de Kasper Schmeichel, autant d’images qui resteront gravés dans nos mémoires et qu’on ne s’attendait pas à voir ce samedi 12 juin alors que l’Euro n’en était qu’à son 3e acte.

Heureusement, Christian Eriksen s’en est sorti mais personne ne pensait revoir les 22 acteurs, rentrés aux vestiaires en même temps que le numéro 10 danois était transporté à l’hôpital, fouler à nouveau la pelouse le jour même. Ce fut pourtant le cas moins de deux heures plus tard.

Et en redonnant le coup d’envoi, il a bien fallu remplacer Eriksen. Ce fut Mathias Jensen qui s’y colla. Mais si la santé n’a pas de prix par rapport au football, il faut bien reconnaître que c’est une grosse partie de son coeur (sans mauvais jeu de mots) et de son âme que les Danish Dynamite avaient perdu avec leur numéro 10, déjà considéré comme l’un des meilleurs joueurs danois de l’histoire.

Malgré ces événements, il fallait remobiliser les troupes avant la réception de la Belgique quatre jours plus tard et surtout trouver une solution à la distribution. Heureusement, parmi ses soldats, le généralKasper Hjulmand possède un jeune fantassin qui connaît mieux que personne ses préceptes tactiques : Mikkel Damsgaard.

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FOUGUE, SIMULATION GROTESQUE ET RECORDS

Aligné comme milieu offensif gauche dans le 3-4-3 miroir au système diabolique, le jeune homme, porté par l’ambiance électrique d’un Parken Stadium chauffé à blanc, fait tourner en bourrique Dendoncker, Alderweireld et Meunier pendant près d’une heure. Avec la fatigue qui s’accumule, il plongera aussi de manière un peu ridicule pour tenter d’obtenir un pénalty. Mais ce n’est pas parce qu’on évolue à la Sampdoria qu’on maîtrise aussi bien l’art de la simulation que l’icône Gianluca Vialli.

Contre la Russie, les Danois au pied du mur sortent une énorme prestation collective pour arracher la 2e place du groupe. Damsgaard trouve le chemin des filets avec une frappe imparable des 20 mètres. Un instant de magie qui lui permet de rentrer dans la légende puisqu’au delà du contexte du match et de ce tournoi, il devient le plus jeune joueur de son pays à marquer dans un grand tournoi. Mais aussi, il devient le premier natif des années 2000 à faire trembler les filets lors d’un championnat d’Europe.

Passé de l’ombre à la lumière en deux matches, celui qui fêtera peut-être ses 22 ans le jour d’un quart de finale à Bakou rêve sûrement de s’offrir une demie. Mais retour sur le parcours de ce jeune talent sans doute appeler à devenir le nouveau maître à jouer des dynamites danoises.

Une lucarne russe bien nettoyée.
Une lucarne russe bien nettoyée.© iStock

BIBERONNÉ PAR HJULMAND

Jyllinge est une petite bourgade en bordure d’un des nombreux fjords qui donnent au Danemark sa découpe très caractéristique. Dans un pays où comme en Belgique tout se conjugue au minuscule, le village n’est jamais qu’à une petite trentaine de bornes de la capitale. Après avoir tapé ses premiers ballons dans le club de sa ville natale, le jeune Mikkel, âgé de 12 ans, décide d’aller un peu au nord de Copenhague, à Farum, pour évoluer au sein d’un club plus huppé : le Football Club Nordsjælland.

En 2003, le modeste Farum IK a réussi l’exploit improbable de se qualifier pour la Coupe UEFA alors qu’il venait seulement d’accéder à l’élite du foot danois la saison précédente. Racheté par un homme d’affaires, le club fusionne avec Stavnsholdt et est rebaptisé du nom de la région, Nordsjælland. Le club ne dispose pas de moyens financiers importants et décide de mettre en place une politique régionale de partenariat et de détection de jeunes talents. C’est ainsi qu’il met le grappin sur le jeune Mikkel Damsgaard.

Lors qu’il débarque, Kasper Hjulmand est déjà entraineur principal du club et une icône. Pour sa première saison comme T1, il vient d’emmener le club basé à Farum sur le toit du Danemark avec un bilan exceptionnel de quasiment 70% de points pris. Deux saisons plus tard, le technicien quitte le Danemark pour tenter sa chance à Mayence qu’un certain Thomas Tuchel vient de quitter pour prendre une année sabbatique. Malgré des préceptes footballistiques proches de ceux d’une autre icône du club allemand, Jürgen Klopp, les bons remèdes du docteur Hjulmand ne prennent pas. Après 24 matches et un bilan de 20% de points, retour au pays dans le club de son coeur.

Les couples qui se remettent ensemble après une séparation ne retrouvent pas toujours l’insouciance des débuts. Pour ses 3 nouvelles saisons sur le banc des Tigres, Kasper Hjulmand ne prend plus que 38% de points, même s’il stabilise le club dans le haut du classement avec une troisième place en point d’orgue lors de la saison 2017-2018, celle de l’éclosion de Mikkel Damsgaard.

Une relation très forte unit Damsgaard et son sélectionneur.
Une relation très forte unit Damsgaard et son sélectionneur.© iStock

MAÎTRE À JOUER DE NORDSJAELLAND

C’est à 10 minutes de la fin d’une rencontre contre Horsens dans le cadre de la 17e journée que Hjulmand lance dans le grand bain celui qui a affiché de très belles qualités avec les espoirs. Le tableau marquoir indique déjà 6-0, le contexte est idéal pour laisser le gamin se défouler. Pas question cependant pour le coach danois de brûler sa pépite puisqu’il attend trois mois avant de l’employer de nouveau en le titularisant contre SønderjyskE. Nordsjælland s’incline mais malgré ce résultat, Damsgaard prend rendez-vous avec le onze de base et trouve pour la première fois le chemin des filets lors de sa cinquième rencontre. Il termine la saison en boulet de canon avec 13 titularisations, sa fraîcheur, sa vista, sa polyvalence et son sens du dribble contribuant grandement à la place sur le podium du club de Farum.

La saison suivante, Damsgaard confirme ses bonnes dispositions. Indéboulonnable, il commence 27 rencontres mais peine à se montrer efficace puisqu’il ne marque qu’à une reprise et ne distribue que cinq assists.

Le départ de Kasper Hjulmand, d’abord annoncé du côté d’Anderlecht, pour la sélection danoise n’empêche pas le jeune homme de s’affirmer. Sans son père spirituel sur le banc, le natif de Jyllinge prend du coffre, marque à 11 reprises et adresse 7 passes décisives, toutes compétitions confondues. C’est désormais lui qui mène Nordsjælland à la baguette.

Le trésorier de la Sampdoria se frotte déjà les mains en cas de vente.
Le trésorier de la Sampdoria se frotte déjà les mains en cas de vente.© iStock

LE PRODIGE DE RANIERI

Toujours à l’affût d’un bon coup, les recruteurs de la Sampdoria sillonnent les petits stades européens pour dénicher de nouvelles pépites. En février 2020, ils mettent un peu moins de 7 millions d’euros sur la table pour convaincre le virevoltant milieu de quitter son Danemark natal. C’est finalement quelques mois plus tard qu’il débarque en Ligurie pour se frotter au football pragmatique d’un certain Claudio Ranieri.

Malgré son jeune âge, Damsgaard s’adapte très facilement à son nouvel environnement et devient rapidement l’un des grands atouts de son nouvel entraineur. Capable de jouer dans tous les systèmes et à différentes positions du flanc gauche à une position proche de l’attaquant de pointe, le jeune prodige comme le définit son coach séduit par sa fiabilité. Il joue 35 matches, marque à deux reprises et adresse 4 assists. Une feuille de stats plutôt bluffante pour un débutant en Serie A.

LA COTE DE DAMSINHO NE CESSE DE MONTER

Sans la pandémie de coronavirus, Mikkel Damsgaard n’aurait sans doute pas été de la partie à l’Euro puisque Kasper Hjulmand ne l’appelle pour la première fois qu’en novembre 2020. Titularisé directement sur le flanc gauche pour un amical contre la Suède, le jeune homme dépose sa carte de visite en offrant une passe décisive sur l’un des deux buts de son équipe. Pour le dernier rassemblement avant l’Euro, Damsinho valide son billet parmi les 26 en plantant deux pions contre la Moldavie et en offrant du caviar à deux reprises à ses partenaires.

Nul ne sait ce qu’aurait été son destin en ce mois de juin sans les soucis de santé de Christian Eriksen. Probalement serait-il resté cantonné au banc tant le joueur de l’Inter semblait indéboulonnable. Mais dans les contes d’Andersen, un malheur entraine toujours un bonheur. En 1992, les Scandinaves, appelés de dernière minute à la grande fête du foot européen, avaient surpris leur monde en remportant le tournoi malgré une préparation en tongues et en sirotant des cocktails. Cette année, avec un homme jouant désormais pour deux en leur sein, qui sait si l’histoire ne pourrait pas se répéter. Surtout que comme à l’époque, un Schmeichel est présent pour garder le temple.

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