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Plongée dans les coulisses du tirage au sort de l’Euro

Jacques Sys
Jacques Sys Jacques Sys, rédacteur en chef de Sport/Foot Magazine.

Le tirage au sort de Bucarest a conféré un visage (presque) définitif à l’EURO 2020 mais la formule de l’événement continue à susciter beaucoup de questions.

Quinze kilomètres séparent l’aéroport de Bucarest du centre-ville. La route est impressionnante car les illuminations féeriques de Noël créent dans toutes les artères une ambiance incroyable, parfois mélancolique. Aucune autre ville ne baigne dans une telle lumière. Ces illuminations, assorties de nombreux ballons et footballeurs, font clairement référence au tirage au sort de l’EURO, même si ces attributs vont bientôt être mis au rebut. Hormis cette ambiance, le pays ne se passionne pas pour le prochain EURO, pas plus qu’il ne s’émeut des élections nationales qui se sont déroulées une semaine plus tôt, sans provoquer de bouleversements politiques. Tout le monde semble satisfait de la situation actuelle.

Bucarest se prépare pour Noël. À l'arrière-plan, le gigantesque Palais du Parlement et ses 350.000 m2.
Bucarest se prépare pour Noël. À l’arrière-plan, le gigantesque Palais du Parlement et ses 350.000 m2.© belgaimage

Trente ans après la révolution roumaine, Bucarest a fait de son mieux pour effacer les cicatrices du passé. Du moins dans les têtes des gens. C’est moins flagrant dans les banlieues toujours lugubres de la ville. Ainsi, quand on vient du stade national, au nord-est de la capitale, on passe devant d’interminables rangées de blocs en béton issus de l’époque communiste. Les façades écaillées sont couvertes de graffiti. Les gens qui habitent ce décor dépourvu de perspectives vivent en marge de la société.

Comme la plupart des grandes villes, Bucarest présente deux visages. Elle n’est que contrastes. Par exemple, en face du stade, les immeubles à appartements ont été rafraîchis pour présenter une vue plus ou moins contemporaine en prévision de l’EURO. Le stade lui-même, avec ses 55.634 places, est une des douze locations du prochain EURO. De l’extérieur, il est beau et moderne, même s’il ne peut dissimuler des traces d’usure. Le bâtiment tout en verre de la fédération roumaine de football est à l’intérieur de l’arène. On ne peut pas dire qu’elle bouillonne d’activité. Et juste en-dehors, il y a un hôpital cardiologique.

Un passé pesant

Il n’y a pas pire insulte pour un Roumain que d’entendre prononcer le nom de Nicolae Ceausescu, ou pire encore, de rappeler son époque. Penser au dictateur, c’est replonger dans l’horreur pure. Il a dirigé le pays pendant 22 ans, dans un climat d’oppression et de répression, et fait construire le pompeux bâtiment du parlement, qui compte mille chambres, douze étages et est le troisième plus grand immeuble du monde avec une surface de 365.000 mètres carrés. Ceux qui souhaitent visiter ce parlement sont sévèrement contrôlés. La commande d’un billet, le paiement dans une autre pièce, le scanner de votre passeport, un autre contrôle électronique, une fouille. La rigidité de ce régime n’a pas encore complètement disparu. Ce qu’on peut ensuite découvrir dans l’édifice est à la fois impressionnant et hallucinant : des salles immenses, ornées de masses de marbre, des bois les plus coûteux, des nombreux cadeaux de chefs d’État amis, une richesse extravagante. Une des salles a été le théâtre du mariage de la gymnaste Nadia Comaneci, une des figures de proue du pays dans la seconde moitié des années ’70. Au coin de cette salle, un tapis roulé pèse trois tonnes, comme l’explique le guide, froid et professionnel.

Le bâtiment tout en verre de la fédération roumaine de football ne déborde pas d'agitation.
Le bâtiment tout en verre de la fédération roumaine de football ne déborde pas d’agitation.© belgaimage

Non, les Roumains ne veulent plus penser à cette époque. Le 25 décembre, il y aura exactement trente ans que Ceausescu et sa femme Elena ont été exécutés après un procès sommaire. Nous doutons que l’événement soit commémoré. Il faut vraiment repousser les démons du passé. Et l’EURO doit redorer le blason du pays.

Manque d’émotions ?

Il n’en était pas moins étrange d’organiser le tirage au sort de l’EURO à Bucarest. Pour le moment, le football ne vit pas dans la capitale. Elle ne délègue actuellement que deux clubs en première division, le Steaua et le Dinamo, qui végètent dans le ventre mou. Le Steaua a été le meilleur club d’Europe de l’Est grâce à Ceausescu puis il s’est empêtré dans la corruption et a perdu beaucoup de son panache. L’équipe nationale n’est pas encore qualifiée pour l’EURO : elle doit en passer par les matches de barrages, dans une première phase contre l’Islande puis contre le lauréat de la confrontation entre la Hongrie et la Bulgarie.

Pourtant, la délégation de l’UEFA s’est retrouvée, dans tout son apparat, à Bucarest. Entre autres pour une réunion, le jour du tirage, en présence des 55 nations européennes. Chaque pays a délégué deux personnes. Allez mener une discussion avec 110 personnes. C’est davantage un échange d’idées, l’occasion d’établir et d’entretenir des contacts. Le président Mehdi Bayat et le CEO Peter Bossaert représentaient la Belgique. Bossaert occupe cette fonction depuis 14 mois maintenant. Il n’a guère accordé d’interviewes mais ça ne l’a pas empêché, comme il le dit lui-même, d’oeuvrer au développement du football. Il qualifie son travail de job fatigant mais surtout passionnant car il le met en contact avec les multiples facettes du football et les nombreux domaines dont s’occupent aussi des spécialistes.

Londres GROUPE D Wembley capacité 90 652 3 matchs de groupe 1 huitième finale 2 demi-finale finale
Londres GROUPE D Wembley capacité 90 652 3 matchs de groupe 1 huitième finale 2 demi-finale finale© belgaimage

Quelques heures avant le tirage au sort, les journalistes ont été invités au chic hôtel Radisson, où on leur a une fois encore exposé la procédure. Giorgio Marchetti, le secrétaire adjoint général de l’UEFA, qui aime se trouver au centre de l’attention, a demandé s’il y avait encore des questions. De fait, il y en avait. L’UEFA ne craignait-elle pas que le tournoi manque d’émotions, puisqu’il se déroule dans douze villes différentes et qu’il n’aura pas vraiment d’âme ? Quel est l’intérêt d’une ville organisatrice comme Bakou, qui impose un long voyage à toutes les équipes, qui est située en Asie, alors que l’Azerbaïdjan ne s’est pas qualifié ? C’est sans doute aussi le cas d’autres pays hôtes, l’Irlande, l’Écosse, la Hongrie et donc la Roumanie, même si elles peuvent encore se qualifier par le biais des matches de barrage. Qu’en est-il des mesures de sécurité, qui ne peuvent pas être coordonnées par une seule personne ? Quid de la vente des billets ? Ou des supporters qui devront obtenir in extremis un visa pour l’Azerbaïdjan ? L’UEFA a reconnu la complexité de certains aspects mais n’a cessé de répéter qu’il s’agissait d’une grande fête européenne du football, durant laquelle il existait des solutions à tout et à laquelle on travaillait avec énormément d’enthousiasme. 60 ans après le premier championnat d’Europe.

Bakou GROUPE A stade olympique capacité 69 870 3 matchs de groupe 1 quart de finale
Bakou GROUPE A stade olympique capacité 69 870 3 matchs de groupe 1 quart de finale© belgaimage

Les légendes de cette époque allaient monter sur le podium pendant le tirage au sort. Mais pas l’icône roumaine Gheorghe Hagi, ce qu’un journaliste local a vivement déploré. L’UEFA envisageait-elle encore un événement réparti entre autant de pays à l’avenir ? La réponse de Giorgio Marchetti a été étonnamment courte : le prochain tournoi se déroulera en Allemagne, en 2024. Le reste n’est pas encore à l’ordre du jour.

Dire que l’homme qui a imaginé cette formule alternative, l’ancien président de l’UEFA Michel Platini, a disparu de la scène. Où était le Français au moment du tirage au sort et qu’a-t-il bien pu ressentir ? Récemment, Platini a encore plaidé pour sa réhabilitation dans L’Équipe. Le week-end dernier, il a aussi défendu dans le même journal son projet, qui est et reste aussi inhabituel qu’absurde.

Le sommet de la confusion

La multitude des scénarios possibles pour le tirage avait de quoi donner le tournis. Plus personne ne s’y retrouvait. C’est tout juste si le prélude de l’EURO n’a pas été piétiné par un dédale de règles prédéfinies. La formule est vraiment un problème grandeur nature, un jeu avec le feu, un cirque qui va d’est en ouest et du nord au sud. Par exemple, 5.000 kilomètres séparent Bakou et Dublin. Platini a vendu cette formule comme un rêve incroyable. Il aurait tout aussi bien pu se muer en cauchemar. Douze villes, dix langues différentes et quatre zones horaires, voilà l’EURO 2020. Le sommet de la confusion. En plus, à dix semaines du match d’ouverture, seize nations se disputent encore les quatre derniers billets. Avec tout notre respect, on peut se demander si des pays comme le Kosovo ou la République de Macédoine du Nord ont leur place sur la scène européenne. Il a également fallu tenir compte de critères politiques : par exemple, il est impensable de faire jouer l’Ukraine en Russie.

Munich GROUPE F allianz arena capacité 70 000 3 matchs de groupe 1 quart de finale
Munich GROUPE F allianz arena capacité 70 000 3 matchs de groupe 1 quart de finale© belgaimage

La délégation belge a vécu la cérémonie en toute décontraction. Il était déjà acquis que les Diables Rouges se produiraient deux fois à Saint-Pétersbourg et une fois à Copenhague. Et qu’ils affronteraient la Russie et le Danemark. Il va sans doute être impossible d’installer le camp de base à Tubize, ne serait-ce que parce que l’UEFA ne rembourse les frais de séjour que dans les villes organisatrices. En fait, seul l’ordre des matches restait encore un mystère. Finalement, un show bourré d’enthousiasme sur commande s’est déroulé selon un scénario soigneusement préétabli. Neuf stars ont participé au tirage. On leur a posé quelques questions clichés, selon la coutume dans ce genre d’événements.

Rome GROUPE A stadio Olimpico capacité 72 689 3 matchs de groupe 1 quart de finale
Rome GROUPE A stadio Olimpico capacité 72 689 3 matchs de groupe 1 quart de finale© belgaimage

Maintenant, le puzzle peut commencer partout. Les Diables Rouges sont versés dans la poule de la Russie, du Danemark et de la Finlande, qui effectue ses débuts à ce niveau. Deux matches à Saint-Pétersbourg avec une joute à Copenhague entre les deux. Les Diables Rouges vont établir leur camp de base à Saint-Pétersbourg. La métropole compte quatre centres d’entraînement, dont celui du Zenit Saint-Pétersbourg, qui se trouve en pleine ville. Roberto Martinez, qui est apparu en bon dernier dans la mixed-zone et s’est acquitté avec professionnalisme de toutes ses interviewes, préfère un complexe extérieur à la ville. Il y a un centre d’entraînement au bord d’un lac. Est-il déjà réservé ?

Dublin GROUPE E aviva stadium capacité 51 700 3 matchs de groupe 1 huitième finale
Dublin GROUPE E aviva stadium capacité 51 700 3 matchs de groupe 1 huitième finale© belgaimage

Roberto Martinez était très décontracté au Romexpo de Bucarest. Il a parlé avec respect de ses adversaires et quand on lui a demandé s’il ne valait pas mieux que la Belgique termine deuxième, pour que les matches suivants soient moins ardus, il a répondu qu’il n’y pensait pas. Ce n’est pas l’adversaire mais la force de son équipe qui l’intéresse.

Rires et plaisanteries

Les sélectionneurs sont tous passés dans la mixed-zone de l’Expo, en se tombant dans les bras, en riant et en plaisantant. Après tout, les choses sérieuses ne commencent que dans sept mois. On a ainsi vu la délégation française et le sélectionneur Didier Deschamps, qui développe toujours un football efficace, malin et peu spectaculaire. Ou le président de la fédération espagnole, Luis Rubiales, qui a changé cinq fois d’entraîneur en 18 mois de mandat, soit autant que son prédécesseur Angel Maria Villar en 18 ans.

Glasgow GROUPE D HAmpden park capacité 52 500 3 matchs de groupe 1 huitième finale
Glasgow GROUPE D HAmpden park capacité 52 500 3 matchs de groupe 1 huitième finale© belgaimage

Tous rêvent du titre. L’Angleterre avec un noyau nettement plus étoffé et de nouveaux talents, produits d’un système de formation peaufiné. L’Italie, également rajeunie, qui aligne Sandro Tonali, un jeune de 19 ans de Brescia, un fin technicien qu’on compare déjà à Andrea Pirlo et qui plonge la presse transalpine dans le lyrisme. Les Pays-Bas, bien sûr, avec leur tranquille sélectionneur Ronald Koeman, empreint d’assurance, qui n’en qualifie pas moins la Belgique de grande favorite au titre. Par contre, Joachim Löw était plutôt crispé. Pour une équipe en pleine construction, la perspective d’affronter la France et le Portugal n’est pas agréable. D’autre part, il y a quelques semaines, Löw avait déclaré que l’Allemagne n’était qu’un outsider, l’Europe comportant de meilleures formations. Malgré l’avantage du terrain, trois matches à Munich. Kevin De Bruyne a qualifié ça de falsification de la compétition et a dit ce qu’il pensait du tirage, déclarant que le charme perdait face au business. Ces derniers jours, tous les médias internationaux ont repris ses propos.

Copenhague GROUPE B parken stadium capacité 38 190 3 matchs de groupe 1 huitième finale
Copenhague GROUPE B parken stadium capacité 38 190 3 matchs de groupe 1 huitième finale© belgaimage

Plus un petit pays

Ce qui a frappé à Bucarest, c’est le statut de plus en plus élevé de l’équipe nationale belge. C’est également apparu au congrès de l’UEFA. La Belgique est le dixième pays d’Europe sur le plan économique, a constaté Peter Bossaert. Il n’est plus question d’un petit pays. Sauf en ce qui concerne l’infrastructure. L’absence de nouveau stade est une occasion ratée.

Le lendemain du tirage au sort, Bucarest est retombée dans la routine du quotidien. Le 1er décembre est jour de fête nationale et beaucoup de rues sont fermées à cause de la parade militaire. À l’aéroport, Roberto Martinez se plonge dans le schéma des matches. Il prend tout son temps pour répondre aux personnes qui l’abordent. Il est exempt de caprices et de manières, il fait bonne impression à tout le monde. Cette intelligence émotionnelle est et reste sa meilleure arme. Il est toujours calme, prévenant, sans jamais le moindre trait d’humeur. Il est monté dans l’avion en toute décontraction. Il peut maintenant planifier les matches de préparation et les stages.

Saint-Pétersbourg GROUPE B krestovsky stadium capacité 69 501 3 matchs de groupe 1 quart de finale
Saint-Pétersbourg GROUPE B krestovsky stadium capacité 69 501 3 matchs de groupe 1 quart de finale© belgaimage

Bucarest a au moins permis ceci : un cadre clair de travail. À l’issue du tirage inhabituel d’un tournoi qui sort de l’ordinaire. Les Roumains sont contents qu’il soit achevé. Ils peuvent maintenant se préparer pour Noël.

Un nouveau conte de fées

L’EURO 2024 est donc organisé par

l’Allemagne. Il devrait être un nouveau conte de fées footballistique, comme le Mondial 2006. L’Allemagne s’était présentée en nation définitivement unifiée, où il n’était plus question de différences avec l’ancienne RDA.

L’ex-président de la fédération allemande de football, Reinhard Grindel, a fait référence à ce tournoi, qui va refléter la base du football, comme il l’a formulé. Pour l’Allemagne, l’EURO 2020 n’est que le prélude à ce qui va se passer en 2024. Ce sera sans aucun doute un chef d’oeuvre es organisation. Car, comme l’a souligné le secrétaire général de l’UEFA, le Grec Theodore Theodoridis, les Allemands sont les champions du monde de l’organisation.

Elle sera très différente de celle du tirage au sort de Bucarest. Le jour du tirage, les journalistes n’ont pas eu accès à la… salle de presse. Du jamais vu. Le pays est englué dans toutes sortes de prescriptions stupides. Il y a en plus une prolifération anarchique. Le chauffeur de taxi a demandé l’équivalent de 32 euros, un montant gigantesque selon les normes roumaines, pour un trajet du centre de la ville au Romexpo-hall, le théâtre du tirage au sort. Un autre chauffeur s’est montré plus modéré pour le retour : huit euros.

Les primes

L’EURO 2020 va battre le record des primes. 371 millions d’euros vont être répartis entre les équipes participantes, contre 301 millions en 2016 et 184 millions en 2008.

En fonction de ses résultats, le lauréat touchera un maximum de 34 millions. Une victoire rapporte un million et demi, un nul 750.000 euros. Chaque pays est assuré à l’avance de neuf millions mais une part importante de ces rentrées revient évidemment aux joueurs.

Bilbao GROUPE E san mamés capacité 50 000 3 matchs de groupe 1 huitième finale
Bilbao GROUPE E san mamés capacité 50 000 3 matchs de groupe 1 huitième finale© belgaimage
Amsterdam GROUPE C johan cruijff Arena capacité 54 990 3 matchs de groupe 1 huitième finale
Amsterdam GROUPE C johan cruijff Arena capacité 54 990 3 matchs de groupe 1 huitième finale© belgaimage
Budapest GROUPE F puskas arena capacité 67 155 3 matchs de groupe 1 huitième finale
Budapest GROUPE F puskas arena capacité 67 155 3 matchs de groupe 1 huitième finale© belgaimage
Bucarest GROUPE C arena nationala capacité 55 600 3 matchs de groupe 1 huitième finale
Bucarest GROUPE C arena nationala capacité 55 600 3 matchs de groupe 1 huitième finale© belgaimage

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