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Mile Svilar : l’éclosion retardée

Devenu l’an dernier, Mile Svilar, le plus jeune gardien de l’histoire à jouer en Ligue des Champions, le gardien belgo-serbe apprend désormais la patience du côté de Benfica, 18 mois après avoir été au clash avec Herman Van Holsbeeck et l’ancienne direction du Sporting d’Anderlecht.

Si les grands gardiens sont appelés à marquer l’histoire, alors la carrière de Mile Svilar (19 ans) est sur les bons rails depuis cette soudaine entrée dans la lumière du gotha européen au coeur d’une double confrontation contre Manchester United à l’automne 2017. Tour à tour devenu, à 18 ans et 52 jours, le plus jeune gardien de l’histoire depuis son idole Iker Casillas à disputer une rencontre de Ligue des Champions puis à arrêter un penalty, l’ancienne pépite de Neerpede avait profité de ce parachutage surprise dans les cages lisboètes pour déposer un CV ambitieux.

Weiler a cassé Svilar mais personne n’a rien fait pour l’en empêcher. Patrick Verheyden, responsable des jeunes gardiens à Anderlecht

Celui d’un jeune effronté qui n’a jamais eu froid aux yeux. D’un gardien casse-cou qui ose tout ou presque. Ce compris, aussi, de se faire humilier par Marcus Rashford en mondovision pour ce qui restera comme son premier but encaissé chez les professionnels sur un coup franc rentrant de l’international anglais.

Une bourde à l’aller et un CSC bien malchanceux au retour sur une frappe de Nemanja Matic qui n’effaceront pas deux matchs pleins unanimement salués par la critique.

En 180 minutes, Mile Svilar vient là de confirmer ce que tous ceux qui l’ont suivi en classes d’âge pendant des années savaient déjà : en laissant filer contre 2,5 millions d’euros son joyau du côté de Lisbonne dans les dernières heures du mercato estival quelques semaines plus tôt, l’ancienne direction bruxelloise a sans doute abandonné l’un des plus brillants éléments de la formation mauve et blanc, toutes générations confondues.

Sourde oreille

Une saga à l’issue aussi imprévisible que grotesque ponctuée par ce qui ressemble à l’un des plus gros camouflets des années Herman Van Holsbeeck à Anderlecht.  » On a tout fait pour ce gamin, mais le problème, c’est qu’il n’écoutait personne « , rumine encore l’ancien directeur sportif bruxellois.

 » Il était sur le point de devenir le n°2 de René Weiler, donc inévitablement, il allait jouer la Coupe, mais lui voulait à tout prix être le n°1 alors que Weiler estimait qu’il n’était pas prêt. Le problème avec Svilar, c’est qu’il a trop vite été mis sur un piédestal, alors qu’il n’était pas prêt pour cette exposition. »

Le hic, c’est que ce jugement en forme d’accusation n’a jamais fait l’unanimité dans les couloirs de Neerpede.  » Le club aurait dû faire plus pour Svilar « , défend Mohamed Ouahbi, l’entraîneur avec lequel Svilar a disputé sa première campagne de Youth League en 2015, achevée en demi-finale après avoir terrassé Arsenal, Dortmund, Barcelone ou Porto.

 » Personne n’aurait pu dire s’il était prêt, c’était impossible, mais on ne devait certainement pas laisser toute la responsabilité du choix sur les épaules du seul Weiler.  »

De bonne source, le début des ennuis entre Svilar et le Sporting intervient la semaine qui suit le titre inattendu de René Weiler en mai 2017. Sacrés le jeudi à Charleroi, les Mauves ont un dernier devoir contre Ostende le dimanche avant de pouvoir partir en vacances.

C’est l’occasion rêvée, pour beaucoup, de voir récompenser le travail de certains jeunes, dont Svilar. Mais René Weiler n’est pas du genre à faire des cadeaux. Contre les Côtiers, le Suisse va au bout de sa logique et relance des joueurs comme Diego Capel, Nicolae Stanciu ou Massimo Bruno et mise sur Ruben Martinez (prêté sans option et dont le départ dans la foulée est inéluctable) dans les buts.

Frank Boeckx, habituel titulaire, est sur le banc. Mile Svilar en tribune.  » J’ai insisté auprès de Max de Jong (entraîneur des gardiens) et Nicolas Frutos cette semaine-là pour que Svilar joue, mais Weiler a fait la sourde oreille « , se rappelle Patrick Verheyden, responsable des jeunes gardiens à Anderlecht depuis douze ans.

 » Weiler a cassé Svilar, mais personne n’a rien fait pour l’en empêcher. La responsabilité de cet échec est donc collective.  »

Bête de travail

Patrick Verheyden ne le dira pas, mais, lui, ne s’impute aucun tort. Toujours en place actuellement au Sporting et à la base en 2010 de l’arrivée de Svilar chez les U10 en provenance du Beerschot Wilrijk, il ne peut que regretter l’issue d’un dossier qui aurait dû faire la fierté de la formation à la bruxelloise.

 » Je ne suis peut-être pas objectif parce que je l’ai toujours considéré comme mon fils, mais Svilar, c’est un talent comme je n’en avais jamais vu à ce poste. Je vais encore le voir à Lisbonne et quand je n’y suis pas, je débriefe avec lui chacun de ses matchs par téléphone et si je peux vous dire une chose, c’est qu’il a gardé cette volonté farouche d’en faire plus que les autres.

Déjà à Anderlecht, c’était toujours le premier à arriver et le dernier à partir de l’entraînement. Et aujourd’hui encore, il me demande de lui donner des exercices supplémentaires à pouvoir faire chez lui. Mile, c’est une bête de travail.  »

Sa courbe de croissance traduit encore une autre évolution. Culminant actuellement à 1,91 m, soit 6 centimètres de plus qu’à son départ d’Anderlecht, il pourrait encore gagner jusqu’à 4 centimètres dans les prochains mois. Une évolution brutale qui rappelle celle d’un certain Thibaut Courtois au même âge ou presque.

 » Ne vous y trompez pas, ça l’ennuie plus qu’autre chose de grandir autant « , s’amuse Patrick Verheyden.  » À son arrivée chez les U10, des examens prospectifs avaient révélé qu’il culminerait un jour autour des 1,95 m. Pour nous, c’était évidemment une bonne nouvelle, pour lui, une petite catastrophe. Il avait peur de perdre son explosivité en grandissant.  »

Trou générationnel

Des six années d’écolage de Svilar à Anderlecht, il ne reste aujourd’hui plus que quelques records çà et là. Comme ces temps de référence sur des sprints courts. Pour le reste, c’est surtout le vide laissé par le petit prodige qui inquiète toujours.

 » Le danger avec un talent pareil à ce poste, c’est qu’on se doit de tout miser sur lui « , rappelle Ouahbi, actuel entraîneur des U18 du Sporting.  » Pendant des années, on a donc dû faire de la place pour Mile au détriment d’autres bons gardiens.  »

L’une des conséquences directes du départ de Svilar, c’est ce trou générationnel actuellement visible chez les jeunes portiers anderlechtois. On murmure que la prochaine pépite se nommerait Timon Vanhoutte (chipé cet été au Club Bruges), mais le garçon est né en 2004 et n’est actuellement encore que chez les U15.

Ce qui validerait la thèse de l’épouvantail Svilar. Celle qui veut que pendant des années, les jeunes gardiens aient fui Anderlecht, apeuré par la concurrence d’un talent maison que tout prédestinait à devoir un jour s’imposer avec la Première.

C’est le cas notamment d’Ilias Moutha-Sebtaoui (ex-Standard et Manchester United), éternel concurrent de Svilar en équipe nationale et qu’Anderlecht a rapatrié cet été pour combler le vide d’une politique sportive trop longtemps articulée autour du seul Belgo-Serbe. Sans qu’un plan B ne soit jamais envisagé.

Le recrutement à l’hiver 2017 du vieillissant Ruben Martinez, alors deuxième gardien du Deportivo La Corogne, au détriment du jeune et prometteur croate Lovre Kalinic, proposé aux Bruxellois avant de finalement rejoindre les Buffalos, n’est qu’un exemple d’une vision qui n’a jamais laissé le droit à un potentiel échec du cas Svilar.

Comme Musonda ?

 » Tout le monde croit connaître la fin de l’histoire et considère notre politique sportive comme insuffisante à partir du moment où Svilar n’a jamais joué avec l’équipe-fanion chez nous « , défend Van Holsbeeck.  » Mais attendons de voir à quoi ressemblera sa carrière. Pour combien partira-t-il de Benfica ? Je vous le dis, il n’y a qu’une seule vérité, c’est celle du terrain. Et actuellement, il est n°2 à Benfica.

Généralement, les gens qui pensent tout savoir mieux que tout le monde tombent de haut un jour ou l’autre. Demandez à Charly Musonda ce qu’il en pense ! De toute façon, Philippe Collin m’avait prévenu qu’à force de me plier en 4 pour certains, je finirais par être déçu. Mais ce n’est pas le plus important. C’est surtout très triste pour sa carrière.  »

Au cimetière des paris ratés de l’ex-manager bruxellois, il est toutefois dangereux de déjà ranger le Belgo-Serbe. Barré par Odysseas Vlachodimos avec Benfica en championnat et coupe d’Europe, mais titulaire en coupe nationale cette saison, Svilar n’a jamais déçu jusqu’ici, tant et si bien que les Lisboètes chercheraient déjà à prolonger (et revaloriser) le contrat de 5 ans signé à son arrivée.

Preuve que malgré l’intérêt de certains grands d’Europe, – on parle souvent de Manchester United -, Benfica ne serait pas vendeur. Et Mile Svilar pas plus impatient que cela après avoir fait des pieds et des mains pour jouer à Anderlecht ?

 » J’ai toujours eu du mal à croire tout ce qu’on a pu dire sur lui à une époque « , oriente Thierry Siquet qui a connu Svilar en classes d’âge nationales des U15 au U17.  » Je n’ai jamais vu un joueur aussi respectueux des consignes. C’est quelqu’un qui a toujours tout fait parfaitement. Y compris être à l’écoute de ses aînés. Si je lui disais de dormir, il dormait, il n’allait pas jouer à la console. Même chose avec son alimentation ou ses entraînements, il était toujours à 250%.

Et je ne parle même pas de son éducation. C’était un ado adorable, le premier à dire bonjour et merci, à porter les ballons aussi. On ne connaît pas toujours les gens par coeur, mais quand je lis dans les journaux qu’il a pu être arrogant au moment de son départ d’Anderlecht, je ne peux que m’en étonner.  »

Du haut de sa proche vingtaine, Mile Svilar aurait donc au moins le mérite de ne laisser personne indifférent. Et à son âge, ce n’est peut-être déjà pas si mal. La suite, désormais, lui appartient…

Techniquement, il peut encore devenir diable

Quand on est polyglotte à 19 ans – Mile Svilar parle cinq langues (néerlandais, français, serbe, anglais, portugais) – c’est bien souvent qu’on a déjà quelques envies d’ailleurs. Mile Svilar, est né et a grandi en Belgique, a fréquenté les classes d’âges nationales des U15 de Thierry Siquet aux U19 de Gert Verheyen, mais pourrait bien ne jamais porter la vareuse des Diables Rouges en match officiel.

Étonnant à double titre quand on sait qu’en novembre 2017, quelques jours seulement après ses débuts en C1 contre Manchester United, eux-mêmes consécutifs à son refus de donner suite aux appels estivaux de Verheyen, le nom de Mile Svilar était déjà sur toutes les lèvres dans les allées du centre national de Tubize à l’occasion d’une conférence de presse de Roberto Martinez en préambule des amicaux contre le Mexique et le Japon.

 » C’est un énorme potentiel. J’adore son caractère et sa mentalité « , avait vanté Martinez à cette occasion, avant de détailler :  » J’ai vu ses rencontres face à Manchester United. Après son erreur, il a réagi. Cette réaction est fantastique, comme son arrêt sur le penalty. Nous devons penser au futur et instaurer un dialogue avec lui.  »

Quelques phrases qui traduisent un engouement réel, doublé d’une certaine panique aussi. C’est que la veille, le quotidien portugais A Bola citait Zoran Filipovic (ex-Club Bruges et Benfica), entraîneur adjoint de la Serbie :  » Svilar a dit oui pour jouer avec la Serbie « . Neuf mots et un mini-séisme dans le microcosme du football belge. Quelques semaines après avoir échappé à Anderlecht, le jeune prodige était susceptible aussi de filer entre les pattes de la fédération…

Quinze mois plus tard, qu’en est-il réellement ?  » Il n’est pas l’heure pour Mile de faire son choix « , tempère Ratko Svilar, le père du joueur, lui-même ancien international yougoslave.  » Mile doit se concentrer sur sa situation en club, le reste viendra naturellement en temps utile.  » Patience donc !

Des félicitations pour un gardien qui doit le plus souvent se contenter d'un rôle dans l'ombre.
Des félicitations pour un gardien qui doit le plus souvent se contenter d’un rôle dans l’ombre.© BELGAIMAGE

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