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Lilian Thuram, un footballeur engagé: « Le foot est en avance sur la société »

Thomas Bricmont

Le joueur le plus capé de l’histoire du foot français s’est posé à Bruxelles l’espace d’une journée, le temps de mêler foot et société et d’évoquer son engagement contre toutes les formes d’exclusion et d’inégalité. Rencontre avec un des personnages les plus singuliers de la planète foot.

Lilian Thuram semble être totalement rangé des ballons. Et pourtant, la passion reste bien présente, notamment quand il s’agit de promulguer des conseils au jeune défenseur français du Brussels, Jérémy Obin venu rencontrer son idole de toujours. Mais l’homme au doublé historique en demi-finale de Coupe du Monde (ses deux seuls buts en Bleus en 142 sélections !) a choisi de s’engager bien au-delà de ce pré-carré qui l’a rendu célèbre.

A travers une fondation notamment qui porte son nom et qui a vu le jour en 2008. Aujourd’hui, Thuram emmène son bâton de pèlerin aux quatre coins du globe, à Bruxelles, après la Suède et avant de s’envoler pour l’Angola. La plupart du temps pour y rencontrer la jeunesse dans un travail d’éducation contre le racisme, le sexisme et l’homophobie. Arrivé dans un hôtel proche de la gare du Midi, l’ex-défenseur légendaire de l’équipe de France a pris le temps d’exposer longuement son regard sur le monde, ses fractures et ses barrières.

Dans le paysage footballistique, vous faites quelque peu figure d’exception. Rares sont ceux à réellement s’impliquer dans les enjeux de société.

Lilian Thuram : J’estime qu’il est utile de se servir de ma notoriété pour essayer de questionner la société. Chacun a son vécu aussi: très tôt j’ai dû, par exemple, me questionner sur le fait d’être vu comme une personne de couleur noire.

C’est pourtant le cas de bon nombre de vos anciens équipiers qui ont connu un parcours assez semblable.

Vous pouvez avoir connu le même parcours mais ne pas en extraire la même analyse. Je me suis posé des questions, j’ai été influencé en lisant des livres, en rencontrant certaines personnes.

Y a-t-il eu un élément déclencheur à cet engagement?

Quand je suis arrivé en région parisienne à 9 ans, mon identité s’est restreinte à ma couleur de peau. Très tôt, il y a une forme de catégorisation qui fait en sorte que des enfants de couleur blanche peuvent développer un complexe de supériorité. Ça m’a emmené dans des réflexions sur le sexisme notamment, qui suit cette même logique, et qui peut développer un complexe de supériorité chez les hommes parce que l’on nous dit depuis des siècles qu’ils sont supérieurs aux femmes. L’homophobie, c’est exactement la même chose. L’égalité par rapport à la couleur de la peau, le genre ou la sexualité, est un concept nouveau dans nos sociétés. C’est une nouveauté très fragile qu’il faut consolider.

Ne percevez-vous pas un retour en arrière à travers la montée de l’extrême droite en Europe ou une communautarisation qui se durcit ?

On peut avoir une analyse très rapide par rapport à ces questions. « Tout le monde » le dit, donc c’est vrai, sans peut-être être confronté à la réalité. Je pense que la diversité est aujourd’hui bien mieux acceptée qu’avant. Mais à force de répéter qu’il y a plus de racisme aujourd’hui, certains se persuadent que c’est le cas et cela les entraîne vers les extrêmes. Plus on répète une information plus les gens se l’approprient. Si vous regardez le film Selma, vous voyez des Noirs se faire cracher dessus aux Etats-Unis, on parle là des années 60. En France, récemment, des gens sont descendus dans la rue afin que les homosexuels n’aient pas les mêmes droits quant à la question du mariage. Mais la loi est toutefois passée. Il faut rappeler la réalité. Si le discours majoritaire est de se dire que tout va mal, qu’on ne peut pas vivre ensemble, on va conditionner les gens à le penser. Les médias ont un rôle-clef par rapport à ça. Mais on est dans une société du buzz basée sur des zones de conflit. Si l’on fabrique volontairement ces conflits, il ne faut pas s’étonner qu’il y ait une désolidarisation de la société. Ce sentiment de malaise ne vient pas de nulle part. Le sentiment contraire, celui d’unité, est-il moins vendeur ?

Retrouvez cette interview complète dans le Sport/Foot Magazine de cette semaine.

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