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Le système tactique de Martinez a-t-il montré ses limites ?

Tout est bien qui finit bien grâce à la puissance, aux centimètres et à la souplesse tactique du sélectionneur, mais lundi soir, le Japon a mis à nu la fragilité de l’animation de jeu belge. Il y a du pain sur la planche au niveau de l’organisation en prévision des quarts de finale contre le Brésil.

Le Samourai Blues. Ce contre, dans les ultimes secondes, a fait terriblement mal au Japon. Un uppercut. Les Nippons se sont écroulés, onze gaillards qui s’étaient battus avec un tel courage sur chaque ballon, qui avaient compensé la grande différence de talent (sur papier) par leur coeur, leur combativité et leur bagage technique.

Car contrairement aux Russes qui avaient érigé un Rideau de Fer face à l’Espagne avant d’éliminer la Roja au terme d’un match insipide, le Japon a joué franchement, libéré, avec beaucoup de mouvements et de profondeur.

Les Japonais, Inui et Kagawa en tête, ont mis à nu tous les points faibles de la tactique belge, des points qui sautent aux yeux depuis deux ans dès que l’adversaire a un certain niveau.

Lundi, dans sa déception, un Diable l’a encore répété :  » C’est chaque fois pareil quand nous jouons contre une meilleure équipe.  » Redescendre, jouer en profondeur, chercher les espaces sur les flancs belges, maintenir une supériorité numérique dans l’entrejeu…

Tout ce qui est susceptible de faire mal aux Belges, le manque de vitesse du flanc gauche, les espaces dans le dos de Meunier, l’ascendant auxquels Witsel et De Bruyne étaient confrontés en perte de balle, si Hazard et/ou Mertens négligeaient leurs tâches défensives…

Tout ce que nous avons écrit dans l’article consacré aux chances des Diables Rouges dans ce tournoi s’est produit. Le sélectionneur japonais avait très bien fait ses devoirs. Malheureusement pour lui, il ne pouvait pas réussir une chose : faire grandir et grossir ses joueurs en l’espace de quelques semaines.

Il nourrissait déjà quelques craintes à cet égard contre le Sénégal mais le manque de gabarit des Japonais n’avait pas été sanctionné. Il l’avait à nouveau redouté contre la Pologne et le Japon avait sombré.

De même que lundi, quand, dans le courant de la seconde période, Roberto Martinez est passé au scénario qu’il avait toujours eu en tête. Le plan B. De la puissance et du gabarit. Vertonghen, Fellaini et Chadli ont scellé le score. C’est mérité, sur l’ensemble du match.

Mais les rêveurs sont retombés les deux pieds sur terre. Ça va être quelque chose, vendredi soir à Kazan. Asseyez-vous. En espérant qu’il y ait plus de Belges dans le stade car cette équipe attrayante mérite plus de soutien ici en Russie.

Le test face au Japon

Roberto Martinez nous avait regardé en souriant, le lendemain du 5-2 contre la Tunisie, quand nous lui avions demandé si ce match amical contre l’Angleterre n’était pas une occasion ratée. Il aurait pu tester la consistance de sa tactique dans un match dénué d’enjeu pour les deux formations, face à un adversaire solide. Nous avions lu dans ses pensées :  » C’est reparti.  » Le test a eu lieu lundi soir.

A nos yeux, le 3-4-2-1 de Martinez comporte deux lacunes. L’une, si souvent mise en exergue, est l’espace dans le dos des deux extérieurs. Ce n’est pas grave en possession du ballon : on a alors deux ailiers. Mais si on n’a pas le ballon ou qu’on est en pleine transition, on est fragile. Le Panama l’a rappelé une fois, sans suite. La Tunisie pas, l’Angleterre non plus, le danger surgissant par l’axe. Le Japon est passé aux actes.

Martinez le sait très bien. Pour éviter ce problème, en perte de balle, il fait souvent descendre Carrasco et Meunier à hauteur de la ligne AlderweireldKompany-Vertonghen. Il l’avait déjà fait contre le Mexique, en match amical, et on a vu ce que ça donnait. La réponse était alors :  » On peut réaliser des expériences dans les matches amicaux.  » Quelques jours plus tard, ça s’est encore produit contre le Japon, un match finalement gagné grâce à… Nacer Chadli. Qui a récidivé lundi.

Martinez a toujours affirmé que son banc serait important et il l’a été.

Lundi, la ligne défensive était très basse. Jan Vertonghen a perdu de sa vitesse et Kompany n’est pas encore en pleine forme. La ligne peut camper plus haut avec Vermaelen mais il est resté sur le banc. Conséquence : Inui a pu être menaçant à plusieurs reprises, homme contre homme, et Nagatomo a accaparé Meunier mais sans grand danger en première mi-temps. Les Diables Rouges possédaient bien le ballon et perçaient dans le camp adverse.

La Belgique a perdu la bataille de l’entrejeu, sans qu’il y ait là de réelle menace. Witsel et De Bruyne n’ont cessé de courir sous la canicule de Rostov mais Kagawa était constamment libre, démarqué. En principe, Mertens et Hazard devaient leur offrir un certain soutien mais quand ils réalisent leurs actions en profondeur, ils ont du chemin à faire pour revenir. De Bruyne, cette fois à gauche de Witsel, a souffert et il a dû s’effacer au service de l’équipe.

Lukaku trop esseulé

Un scandale, compte tenu de ses qualités offensives. Du coup, Lukaku a été trop souvent isolé ou a dû glisser vers le flanc, d’où il ne pouvait être dangereux. En possession du ballon, les Belges ne trouvaient pas de brèches à cause de l’organisation japonaise. Comme on l’a dit : beaucoup de touches de balle dans le camp adverse (23 avant le repos) mais à peine deux tirs au but.

La faillite défensive du système a été durement mise à nu durant le premier quart d’heure de la seconde mi-temps. Jusqu’à présent, dans ce tournoi, c’était le quart d’heure des Diables Rouges. Avant ce match, ils avaient inscrit trois de leurs neuf buts juste après la mi-temps. Cette fois, ils en ont encaissé deux.

Un premier sur une faute de Vertonghen, alors que les Diables Rouges étaient ouverts, construisaient depuis la droite. Ils ont perdu le ballon, Vertonghen a loupé son interception sur le contre. 0-1. Le deuxième but a suivi illico, quand Witsel, mal placé devant la défense, a été trompé par Kagawa et Inui sous le regard passif de De Bruyne.

Le nouveau transfert du Betis a battu Courtois d’un long tir. Il s’en est suivi quelques minutes de désorganisation totale. On n’était pas loin du ko.

De la souplesse tactique, c’est ce que demandait Martinez dans ce tournoi. Il y en a eu contre le Panama. Avec quatre hommes en défense, l’équipe a été plus équilibrée et Dembélé a apporté plus de contrôle à l’entrejeu. Il y a eu des occasions et des buts, De Bruyne a joué plus haut et a été meilleur. Ce n’était pas nécessaire contre la Tunisie, les Nord-africains commettant trop de fautes en possession du ballon.

L’Angleterre a été un match perdu de ce point de vue. Par contre, il fallait de la flexibilité contre le Japon et on en a revu. A nouveau avec quelqu’un d’autre à côté de Witsel -Fellaini cette fois- et de Bruyne à nouveau un cran plus haut, avec plus de puissance et de rendement.

La puissance salvatrice

Il y a quatre ans, contre l’Algérie, c’était déjà la puissance qui avait sauvé Marc WiIlmots. Lancez Fellaini et il fera basculer le match. C’est ce qui s’est produit. Cerise sur le gâteau, Chadli a couronné son excellente entrée au jeu d’un contre incisif -les Belges maîtrisent cet art à la perfection. Martinez a toujours affirmé que son banc serait important et il l’a été. Januzaj a fait parler de lui contre l’Angleterre, Chadli contre le Japon. La Belgique a ainsi évité l’élimination contre un Japon courageux.

Elle aurait eu un goût amer pour cette génération. Certains, comme Kompany, Dembélé, Fellaini, Vertonghen, Vermaelen, Mertens et Cie effectuent une sorte de tournée d’adieux à ce niveau. Elle aurait été d’autant plus amère que tous, ils ont chanté les louanges du système, ces dernières semaines, en en taisant sciemment les failles. Ça les a aidés à faire impression ici.

Cette fois, on parle des Diables Rouges, contrairement aux deux tournois précédents. Beaucoup d’observateurs les considèrent comme des outsiders de plus en plus solides. Ils ont sans doute quelque peu revu leur opinion.

Hazard et Lukaku se sont mis une fameuse pression ces dernières semaines. Lukaku en marquant, tout comme en tenant un rôle principal en dehors du terrain. L’avant-entraîneur, le leader, le dauphin de Kompany. Hazard à cause du brassard, des dribbles, des buts, de son implication.

Ceci doit (devait) être leur tournoi. Il l’était aussi jusqu’à lundi soir. Sept des neufs buts marqués par les Diables Rouges avant le coup d’envoi du match contre le Japon provenaient de la ligne d’attaque Mertens-Hazard-Lukaku. Ce trio a produit 40 des 73 buts inscrits avant ce match sous la direction de Martinez.

Un, deux, trois, délivrance grâce à Nacer Chadli tout juste avant le coup de sifflet final.
Un, deux, trois, délivrance grâce à Nacer Chadli tout juste avant le coup de sifflet final.© BELGAIMAGE

Une ligne d’attaque muette

Cette ligne d’attaque est restée sur sa faim contre le Japon. Mertens a bien joué en possession du ballon avant le repos mais s’est peu replié. Lukaku a raté plusieurs occasions, Hazard a trouvé les poings de Kawashima mais il a amené le but de Fellaini. Toutefois, c’est clair : pour avoir plus de chances de succès contre le Brésil, il va falloir rediscuter tout ça. En possession du ballon, tout va bien mais l’organisation en perte de balle doit s’améliorer. Autre chantier, les phases arrêtes, qui ne ressemblent à rien pour le moment. Avec peut-être De Bruyne dans un registre un peu plus offensif et Fellaini et Chadli dans le onze de base. un peu plus de puissance, d’abattage. C’est ce que le sélectionneur avait en tête et c’est ainsi qu’il a remanié ses troupes pour faire basculer le match dans une finale complètement folle.

La Belgique a atteint les quarts de finale dont elle rêvait. Face à l’adversaire de ses rêves. Il faut reconnaître ce mérite au groupe. Pour la troisième fois d’affilée, il figure parmi les huit meilleures équipes du tournoi. En Europe, on pouvait espérer mieux mais au niveau mondial, c’est top. Le prochain défi consiste à battre une nation du top cinq. Les Diables Rouges en ont l’occasion vendredi.

Pour la première fois dans l’histoire du football belge, nos représentants ont survécu au premier match par élimination directe sans devoir recourir aux prolongations (ils y avaient été contraints contre les USA il y a quatre ans et contre l’URSS il y a 32 ans). C’est logique pour un pays qui est troisième au classement mondial.

Ça l’est moins dans un tournoi qui fait trébucher ses valeurs sûres. L’Allemagne, numéro un mondial, est dehors, comme le Portugal, numéro quatre, l’Argentine, numéro cinq, la Pologne, numéro huit et l’Espagne, numéro dix. Le Chili, numéro neuf, n’est même pas qualifié.

La Russie 2018 bouscule les valeurs établies et le top dix panse ses plaies. La Belgique l’a échappé belle. De l’autre côté du tableau, il se peut qu’un pays émerge pour la première fois en finale ou que l’Angleterre fasse honneur à son statut de jeune outsider. Messi, Ronaldo, Müller, Özil, Iniesta, tous ont disparu de la scène. L’heure de nouveaux noms, de nouvelles nations est venue.

Rendez-vous vendredi

Nous saurons vendredi soir si ce moment est venu pour Kompany et Cie. L’histoire peut encore devenir belle et les adieux empreints de classe. Le match sera en tout cas spectaculaire. Martinez est arrivé en Russie avec une moyenne de trois buts par match et il tient le cap : douze buts en quatre joutes.

Y parviendra-t-il aussi à Kazan ? La sonnette d’alarme qui a retenti contre le Japon présente des avantages : elle n’a pas causé de dommage, si ce n’est à l’assurance des joueurs. Le Pays de Galles avait fait des dégâts. Le noyau n’était pas assez étoffé, le banc était insuffisant. Cette fois, pas de dégâts. Quelques bons entretiens et un nouveau plan de bataille peut valoir un très bel adieu aux joueurs.

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