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Le plus grand combat de Leo

Combien de fois Lionel Messi n’a-t-il pas enthousiasmé les foules ? Pourtant, il lui manque un trophée avec l’équipe nationale et c’est la raison pour laquelle l’Argentine reste le pays de Diego Maradona. Pour Messi, la Coupe du monde en Russie constitue donc une dernière chance de sortir de l’ombre de Dieu.

Notre Diego, qui est sur les terrains,

Que ton pied gauche soit béni

Que ta magie ouvre nos yeux.

Pardonne aux Anglais comme nous pardonnons à la mafia napolitaine, ,

Ne nous laisse pas abîmer le ballon,

Et délivre nous de Havelange et Pelé.

Diego (amen).

La nouvelle religion née en 1998 et entièrement dédiée à Diego Maradona, ne doit pas être prise trop au sérieux. Pourtant, elle en dit long au sujet de la grandeur de ce petit homme pour les Argentins. Nombreux sont ceux qui le considèrent encore comme un extraterrestre. Ce n’est pas pour rien que l’Église Maradonienne écrit D10S (dios ou dieu en espagnol) et que le petit chenapan de Villa Fiorito joue le rôle principal dans la version alternative de Notre Père.

Lionel Messi n'a pas su plier le match face à l'Islande.
Lionel Messi n’a pas su plier le match face à l’Islande.© BELGAIMAGE

Un lourd héritage

Si Maradona est immortel en Argentine, c’est en grande partie grâce à sa plus grande oeuvre : la Coupe du Monde 1986. Cette année-là, dix autres Argentins couraient à ses côtés sur le terrain mexicain mais l’histoire retiendra que seul El Pibe d’Oro, L’Enfant doré a mené son pays au titre mondial. À l’Estádio Azteca, il a été porté en triomphe, tenant la coupe dans ses mains comme s’il s’agissait du Saint-Graal. Les Argentins qui ont vécu cela considèrent ce jour comme le plus beau de leur vie. En écoutant bien, on entend les anges chanter.

Maradona a beau avoir traversé des crises et s’être retrouvé au centre de scandales, il monopolise toujours l’attention des Argentins. Aucun autre joueur n’a jamais pu lui faire de l’ombre. Il est l’exemple que tous les meneurs de jeu veulent suivre mais son héritage est lourd. Ceux qui sortent du lot sont immédiatement qualifiés de nouveaux Maradona. Avec les conséquences que cela entraîne.

Diego Latorre fut le premier. À la fin des années ’80, il effectue des débuts prometteurs sous le maillot de Boca Juniors, le club de Maradona. Ses dribbles et ses passes en profondeur enchantent le public et les Argentins commencent à le comparer à leur dieu mais ils constatent rapidement que le Nouveau Maradona n’est qu’un être de chair et de sang.

Après Latorre, il y a eu Ariel Ortega, qui a sombré dans l’alcool, Marcelo Gallardo, Juan Román Riquelme, Pablo Aimar, Javier Saviola, Andrés D’Alessandro, Carlos Tévez, Sergio Agüero, Ezequiel Lavezzi, Mauro Zarate et Diego Buonanotte. Ils ont marqué des buts et remporté des trophées mais jamais ils n’ont été aussi grands que Maradona. Voici peu, son propre fils, Diego Sinagra, qu’il a reconnu très tard, a déçu sous le maillot des U17 de l’Italie. Et même celui qui, depuis le début du millénaire, sort largement du lot, sait qu’en Argentine, aucun joueur ne sera jamais plus adoré que Maradona. À moins que…

Messi et Maradona se tendant la main. Mais il y a loin de la coupe aux lèvres.
Messi et Maradona se tendant la main. Mais il y a loin de la coupe aux lèvres.© BELGAIMAGE

Un étranger dans son propre pays

Dans n’importe quel pays, un phénomène comme Lionel Messi serait porté aux nues mais, dans sa ville natale, comparé à D10S, le quintuple vainqueur du Ballon d’Or n’est qu’un mortel comme les autres. Il est même moins populaire qu’un autre héros de Rosario, Che Guevara.

Peut-être son caractère réservé (lorsqu’il n’a pas le ballon au pied) y est-il pour quelque chose. Messi préfère le silence. Quand il répond aux questions, ses phrases sont mesurées, prévisibles.  » En Argentine, on préfère les rebelles « , dit le journaliste sportif Pablo Paván. C’est pourquoi les Argentins aiment Che Guevara ou Maradona, qui arbore fièrement le tatouage du révolutionnaire sur son épaule droite.

 » On aime ceux qui prennent des libertés avec les règles et imposent leurs lois à tout le monde. Souvenez-vous de cette faute de main face aux Anglais. Tout ce que fait Maradona est épique. C’était déjà le cas à Argentinos Juniors et il n’en a pas été autrement à Naples. Messi, par contre, est tellement ordinaire qu’on pourrait le croiser en rue.  »

L’écrivain Emilse Pizarro abonde dans le même sens :  » Nous aimons les joueurs qui ont quelque chose à raconter en dehors du terrain. Messi, lui, ne vit que pour le football.  »

Il faut ajouter à cela la distance physique et surtout mentale qui sépare Messi des ses compatriotes, soumis à une accumulation de crises économiques.  » Leo a vécu 12 ans à Rosario et 18 à Barcelone « , dit Paván. Mario Riesco (82 ans), propriétaire d’un bar de Buenos Aires, confirme : Messi n’est pas un des leurs. Il l’appelle Le Catalan.

 » Maradona avait un toucher de balle extraordinaire mais c’était un enfant de la rue. Messi est rapide mais il est surprotégé. Je me demande parfois s’il aurait réussi en restant en Argentine. Car ici, les défenseurs sont beaucoup plus rudes et plus méchants qu’en Europe.  »

Diego et Leo : qui dit vrai ?

 » L’Argentine compte le plus grand nombre de psychologues par habitant et ce n’est pas un hasard : nous sommes complètement fous. Nous sommes le seul pays qui doute encore de Messi « , dit Fernando Signorini, pourtant un des fidèles de Maradona, dont il fut l’entraîneur personnel pendant 10 ans. C’est lui qui, en 1986, l’a préparé pour cette Coupe du monde phénoménale.

Et en 2010, lorsque Maradona a été nommé sélectionneur, il faisait partie du staff. La façon dont ses compatriotes parlent de Lionel Messi l’énerve et il affirme que ça irrite aussi Maradona.  » Tout ce que Diego souhaite, c’est que Leo fasse mieux que lui. C’est pourquoi il avait repris l’équipe nationale et lui avait confié le brassard de capitaine.  »

Les Argentins affirment pourtant qu’en quarts de finale, Maradona a sabordé son équipe intentionnellement, pour éviter que Messi le dépasse. Mais Signorini dément et assure que les deux légendes s’entendaient bien.  » À l’entraînement, Messi tirait des coups-francs mais il ratait et s’énervait. Diego l’a appelé, l’a pris dans ses bras et lui a dit : Tu ne dois pas retirer la jambe après avoir touché le ballon. Il a posé le ballon au sol et, lors de la première tentative qui a suivi, Leo l’a envoyé en pleine lucarne. C’était ça, la relation entre les deux.  »

Être un joueur doué en Argentine n’est pas simple. Même D10S a été critiqué par ses compatriotes. Au moment où il jouait à Barcelone, par exemple. Ou lorsqu’il manquait de tact envers un collègue ou un entraîneur. Mais en 1986, tout a changé. Parce que pour Signorini, avec le peuple argentin, c’est tout ou rien.  » Quand nous sommes partis pour le Mexique, personne n’est venu nous encourager à l’aéroport. Au retour, des millions de personnes nous y attendaient.  »

En larmes après la Copa 2016

Une coupe peut donc faire toute la différence… à condition qu’elle soit remportée avec le pays. Et là, Messi est trop court. Il a certes été champion du monde U20 et champion olympique en 2008 mais, pour les Argentins, c’est secondaire.

Le pire, c’est que Messi a amené l’Argentine en finale à quatre reprises (une fois en Coupe du monde, trois fois en Copa América) mais que, à chaque fois, son équipe s’est inclinée en finale.

 » Pendant le tournoi, certaines personnes ne voient que le résultat tandis que d’autres s’intéressent à la qualité du jeu « , dit Viviana Vila, première journaliste sportive de la télévision en Argentine.  » Mais en finale, seul le résultat compte.  » Et en cas d’échec, la colère du peuple s’abat sur le numéro dix, tenu pour responsable.

Après la dernière finale perdu, celle de la Copa América Centenario en juin 2016, Messi l’a bien compris, d’autant qu’il a manqué le tir au but décisif face au Chili. Ce soir-là, il a craqué comme jamais.

L’homme devant lequel tous les Catalans s’agenouillent spontanément s’est effondré, en larmes. Un des plus grands joueurs de tous les temps a dû être consolé comme un gamin qui voyait son rêve s’envoler.

Messi n’en pouvait plus. Quelques heures plus tard, il annonçait qu’il se retirait de l’équipe nationale. Pour lui, c’était un fiasco.  » Une fois rentré au vestiaire, je me suis dit que c’était fini. J’ai travaillé tellement dur pour être champion avec l’Argentine… J’arrête sans y être arrivé.  »

Dernière mission impossible

Messi a alors été soutenu en masse. Comme si les Argentins comprenaient d’un seul coup que, tels des enfants gâtés, ils avaient négligé un  » cadeau de Dieu « , pour reprendre les mots du président Mauricio Macri.  » Lionel Messi est la plus belle chose que l’Argentine possède, nous devons désormais lui accorder beaucoup plus d’importance.  »

Maradona s’est également senti obligé de s’exprimer clairement au sujet de Messi.  » Vous l’avez laissé tomber mais moi pas. Je veux parler avec lui, l’aider à se battre contre tous ceux qui l’ont mis de côté. Messi doit revenir en équipe nationale car il a encore beaucoup à donner, parce qu’avec lui, nous pouvons être champions du monde en Russie.  »

Messi s’est enfin senti soutenu par ses compatriotes, au point de revenir sur sa décision.  » J’aime trop l’Argentine et ce maillot pour arrêter maintenant.  »

Pour les Argentins, ces mots ont eu l’effet d’une bénédiction mais aujourd’hui, Messi sent à nouveau le poids de l’héritage de Maradona. Un héritage que D10S lui-même n’a pas pu assumer. Car en 1990 et en 1994, il n’a pu offrir à l’Argentine un nouveau titre de championne du monde. Pas plus que ses successeurs par la suite. Le meilleur d’entre eux pourra-t-il mettre fin à 32 ans de peine ? Messi a déjà mené à bien quelques missions impossibles. Il lui en reste une, la plus importante…

Par Bjorn Goorden

Le plus grand combat de Leo

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