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Le fair-play financier est-il mort?

Le fair-play financier, instauré par l’UEFA pour limiter les dépenses des clubs, va-t-il disparaître ? Pas totalement, répondent les experts, à condition qu’il soit correctement appliqué, même si les révélations des Football Leaks montrent que certains clubs ont pu s’en affranchir.

« Le fair-play financier n’est pas mort. Il doit simplement être correctement mis en oeuvre », estime un spécialiste du football européen.

« L’objectif du fair-play financier est tout à fait sain, analyse un autre expert. Mais il existe une rupture d’égalité entre les clubs qui ont prospéré avant sa mise en oeuvre et ceux qui tentent aujourd’hui de les rejoindre ».

Adopté en mai 2010 à l’initiative de Michel Platini, alors président de l’UEFA, le fair-play financier (FPF) interdit à un club engagé en compétition européenne de dépenser plus que ce qu’il ne gagne en propre. Les sanctions en cas de non-respect peuvent aller du simple blâme à l’exclusion des compétitions.

Si certains clubs ont été sanctionnés, les révélations récentes des « Football Leaks » sur les dessous du foot-business montrent que d’autres, comme le Paris-SG ou Manchester City, tous deux soutenus par de puissants Etats du Golfe, auraient été « couverts » par l’UEFA pour en contourner les règles.

Selon cette enquête, réalisée par un consortium de journaux européens, l’UEFA, et ses deux patrons de l’époque Michel Platini et Gianni Infantino –devenu depuis président de la Fifa–, auraient « en connaissance de cause aidé les clubs (PSG et City) à maquiller leurs propres irrégularités, pour des +raisons politiques+ ».

De quoi se demander si, à force de déroger à ses propres règlements, l’UEFA n’a pas vidé de sa substance le FPF.

– « Trafic d’influence » –

« Au-delà des obligations juridiques qui s’imposent aux clubs, les documents cités dans les Football Leaks montrent qu’il y a des discussions politiques et des négociations très fortes », analyse Rafaele Poli, responsable de l’Observatoire du football au Centre international d’étude du sport (CIES) de Neuchâtel (Suisse), n’hésitant pas à affirmer qu’on « est plutôt dans le domaine du trafic d’influence ».

« Si les règles avaient été appliquées, elles auraient dû freiner la croissance de ces deux grands clubs », le PSG et Manchester City, estime-t-il.

« Mais cela arrangeait l’UEFA d’avoir un peu plus de concurrence dans sa compétition majeure, donc on a trouvé des arrangements », ajoute le chercheur.

Pour M. Poli, « il ne faut cependant pas jeter le bébé avec l’eau du bain ». Le fair-play financier a, selon lui, « permis de réduire l’endettement des clubs et sans le FPF, la domination des grands clubs aurait été encore plus forte. Mais il faut aller plus loin et instaurer des obligations de redistribution des ressources vers les autres clubs pour aller vers un football plus solidaire ».

– « Le FPF est vraiment mort » –

« Le FPF tel qu’il a été mis en place et structuré est vraiment mort », estime cependant un autre très bon connaisseur du football européen, préférant garder l’anonymat.

« Les révélations récentes imposent l’ouverture des dossiers car trop de petits clubs ont été sanctionnés alors que les gros sont épargnés », ajoute-t-il. « Mais ceci n’est pas nouveau: dès 2012/2013, les dettes de certains clubs ont été écartées afin d’établir leur solidité financière dans le cadre du FPF ».

Selon cet expert, « aujourd’hui plus que jamais, nous avons besoin d’une vraie régulation afin de garantir l’égalité entre clubs et accroître la compétitivité ».

« A-t-on empêché Amazon, Google ou Facebook de perdre des millions avant de devenir bénéficiaire ? », plaide un autre spécialiste du paysage footballistique européen. « Les clubs qui ont fait n’importe quoi avant la mise en place du FPF, comme certains clubs espagnols ou allemands, ne sont pas sanctionnés. Et ceux qui feraient n’importe quoi aujourd’hui le sont, alors que l’écart entre ces clubs est très difficile à combler en respectant les nouvelles règles. Il y a donc une rupture d’égalité », ajoute-t-il.

Au lieu de jauger l’équilibre financier d’un club sur 3 ans comme c’est le cas actuellement, « il faudrait le faire sur 10 ans et voir ainsi, par exemple, si le PSG a un vrai plan viable sur 10 ans », préconise-t-il encore. Le FPF oblige de fait les clubs à ne pas franchir la barre des 30 millions d’euros de déficit sur trois ans.

« Ce qui est en cause, c’est plutôt sa mise en oeuvre »

« Ce qui est en cause c’est plutôt la mise en oeuvre du fair-play financier plutôt que la réglementation elle-même », estime auprès de l’AFP Me Hervé Le Lay, avocat spécialiste en arbitrage, notamment sportifs, alors que le système de contrôle économique de l’UEFA est épinglé dans les « Football Leaks ».

« Aujourd’hui, il n’y a pas de décisions qui viennent dire que le fair-play financier est contraire au droit de la concurrence » européen, ajoute-t-il, alors que certains clubs auraient brandi la menace de plainte devant les autorités compétentes pour faire pression sur l’UEFA, selon les révélations du réseau de médias European Investigative Collaborations (EIC).

Le fair-play financier (FPF) peut-il disparaître, au vu des révélations des « Football Leaks » ?

« Ce qui est en cause c’est plutôt la mise en oeuvre du FPF plutôt que la réglementation elle-même (…) C’est de la politique réglementaire, la question, c’est : comment on l’applique ? Et s’il y a eu des manquements, de quelle nature sont-ils ? Par exemple, il y a des réglementations bancaires, qui interdisent les délits d’initiés. Mais le fait que les gens commettent les délits d’initiés ne remet pas nécessairement en cause la législation sur les délits d’initiés. S’il y a des comportements répréhensibles, il faut traiter ces comportements. Pour moi ce sont deux sujets différents, il faut bien dissocier ce dont on parle. »

Le FPF est-il sous la menace de failles juridiques ? Dans les « Football Leaks », certains clubs ont menacé de porter plainte devant la Commission européenne pour manquement au droit à la concurrence comme levier de pression…

« Cela a déjà été tenté par Galatasaray qui contestait sa sanction par l’UEFA au titre du FPF devant le Tribunal arbitral du sport (TAS) en 2015-2016. Le TAS a considéré qu’il ne voyait pas d’incompatibilité, ou d’illégalité des règlementations du FPF au regard du droit de la concurrence européen et suisse, parce que le droit de la concurrence suisse avait aussi été invoqué. Maintenant peut-être que des avocats, en développant une ligne argumentaire un peu différente, arriveraient peut-être à obtenir une décision différente. Après il y a effectivement des clubs qui peuvent contester la légalité devant la Cour européenne de justice, d’approcher la Commission européenne aussi. Mais aujourd’hui, il n’y a pas de décisions qui viennent dire que le FPF est contraire au droit de la concurrence. Il ne faut pas oublier que la Commission européenne a aussi une approche assez souple du droit de la concurrence en matière de sport (…) parce que le sport ne répond pas qu’à des objectifs du marché pur. Il y a d’autres objectifs dans la réglementation sportive, d’autres enjeux que purement économiques, qui peuvent venir adoucir les exigences du droit à la concurrence. »

Du coup pour les clubs, la seule marge de manoeuvre pour contester les décisions du FPF est de déposer des recours devant le TAS ?

« Aujourd’hui, c’est sûr que cela a prouvé que c’était plus efficace. Il y a un club qui a essayé de contester la législation elle-même et il a échoué. En revanche, il y a plusieurs cas dans lesquels les clubs ont contesté la décision qui a été prise sur la base de la réglementation (du FPF) et qui ont vu leur sanction modifiées par le TAS (exemple de l’AC Milan à l’été 2018, ndlr). C’est exactement le même mécanisme que vous avez dans la législation pénale : faire rejuger par une juridiction d’appel en partant de l’application de la loi et non pas de la loi elle-même. »

Propos recueillis par Yassine KHIRI.

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