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Le baron du porno de Premier League

La majoriré des 20 clubs de Premier League sont aux mains d’oligarques, de cheiks, d’Américains et d’autres propriétaires exotiques. West Ham United fait figure d’exception. Rencontre avec David Sullivan, le baron du porno, qui rêve de la Ligue des Champions.

« Si je vendais des cigarettes ou des armes, avec lesquelles on tue les gens d’une certaine manière, j’aurais peut-être mauvaise conscience. Mais ce sont des adultes qui apparaissent dans mes revues, et ce sont aussi des adultes qui les achètent. Je me vois un peu comme un combattant de la liberté. Je crois fermement qu’aussi longtemps qu’ils ne font de mal à personne ou ne commettent pas un crime, les adultes sont libres de mener la vie qu’ils souhaitent. Non, je ne vois aucun problème à gagner de l’argent grâce à la pornographie.  »

Combien de fois n’a-t-il pas été l’objet d’insultes ou de moqueries ? David Sullivan n’en a cure.  » Je ne suis pas honteux. Je ne suis pas du genre à raconter aux voisins que je travaille dans la presse périodique, ou quelque chose de ce genre. Je travaille dans l’ industrie pour adultes, cela m’a permis de rencontrer énormément de jolies filles et surtout de gagner beaucoup d’argent.  »

L’homme qui possède 86,2 % des parts de West Ham United avec sa partenaired’affaires pour la vie a, en effet, gagné beaucoup d’argent, et il ne s’en cache pas.

Un mini-Buckingham Palace

Il y a d’autres belles petites maisonnettes à Theydon Bois, un village à la périphérie de Londres, comme dans d’autres villages où le prix des habitations a grimpé en flèche à cause de l’arrivée de millionnaires et futurs millionnaires, venus respirer un peu d’air frais après leur semaine passée dans la city.

Mais lorsqu’on franchit la porte électrique de la maison de Sullivan, on découvre une propriété qui laisse même pantois le journaliste d’ Essex Life Magazine. Alors que celui-ci ne fait rien d’autre que visiter les lieux de vie des privilégiés pour ensuite faire part de ses impressions.

 » C’est une maison de maître qui a le luxe d’un palais. Un joyau de l’art néo-classique. Un mini-Buckingham Palace, même si Sa Majesté ne placerait sans doute pas des lutins habillés en claret & blue, les couleurs de West Ham United, devant la porte d’entrée.  »

Il y a d’autres différences entre la résidence officielle de la Reine et Birch Hill, comme Sullivan a baptisé son chez-soi. On devine immédiatement quelle est sa couleur préférée, lorsqu’il précède ses invités pour la visite : des robinets en or, des lustres en or, des couverts en or, des assiettes en or, de l’or partout.

On ne peut pas considérer David Sullivan comme un proxénète, mais c’est quand même principalement avec l’industrie du sexe qu’il a gagné ses 7,2 millions de £.

C’est aussi à son travail qu’il doit d’avoir rencontré la mère de ses deux fils, Jack et David junior. Emma Bunton, âgée de 53 ans aujourd’hui (pas la blonde des Spice Girls), est toujours une jolie poupée, mais il fut un temps où on pouvait voir la petite amie de Sullivan en action dans des scènes osées.

David et son épouse Emma, une ancienne actrice porno.
David et son épouse Emma, une ancienne actrice porno.© GETTY

14 chambres à coucher

Ne tapez pas son nom d’artiste, Eve Vorley, sur le moteur de recherches de Google, car vous risqueriez d’être envahi pendant des semaines par des fenêtres publicitaires de la dame en question.

Même si son dernier film, Whitehouse : The Sex Video, remonte déjà à 2002, sa carrière d’actrice sur internet n’est pas encore tombée dans les oubliettes. Quelques autres succès au box-office qui l’ont rendue populaire : Lesbian Secretaries et Naked Neighbours.

David Sullivan trouve cela génial. C’est fièrement qu’il apparaît régulièrement aux côtés d’Emma, qui a une tête de plus que lui, dans l’Olympic Stadium où West Ham United joue désormais ses matches à domicile. Et qu’il explique au journaliste qui l’interroge sur les principales attractions de la résidence du couple à Birch Hill.

 » Oui, il y a 14 chambres à coucher, 14, vous avez bien entendu.  » En plus d’une piste de bowling, de deux piscines, d’une salle à manger que n’aurait pas reniée Louis XIV et d’une jolie vue sur des prairies vallonnées devenues le territoire d’une horde de cerfs.

 » Lorsque j’étais enfant, j’avais toujours rêvé de trois choses « , a déjà raconté d’innombrables fois le natif du Pays de Galles aux journalistes qui l’interrogeaient.

 » Devenir multi-millionnaire, capitaine de Cardiff City et de l’équipe nationale du Pays de Galles, et champion du monde de boxe. De ces trois rêves, il y en a deux que je peux définitivement enterrer. Mais le troisième, je l’ai réalisé. Et je ne le dois qu’à moi-même.  »

Inspiré par le fondateur de Penthouse

 » Je travaillais pour 30 £ par semaine dans une station-service lorsque j’ai lu dans News of the World un article consacré à Bob Guccione, le fondateur de Penthouse.  » Sa voix est aussi agréable à l’ouïe qu’une craie qui crisse sur un vieux tableau à l’école, et pourtant on ouvre toutes grandes ses oreilles lorsque David Sullivan raconte son histoire pour la énième fois.

 » Cet article, je dois bien l’avouer, m’a donné des idées…  » Il a loué un photographe et un modèle, a pris un court élan et s’est lancé dans cette nouvelle aventure. La livre qu’il a gagnée avec sa première revue comprenant 50 photos de nus, était la première de toutes celles qui allaient constituer sa fortune.

Comme on ne peut pas parler de Sullivan sans évoquer l’autre David, David Gold, il faut raconter brièvement le début de son histoire. Alors que l’actuel actionnaire principal de West Ham United (51,1 %), fils d’un militaire de la Royal Air Force, a vécu une jeunesse insouciante, d’abord au Pays de Galles, puis au Yémen et à Londres, avant d’entamer des études universitaires, Gold (35,1 % des parts), 12 ans plus âgé, a vécu une existence plus compliquée.

Il est né à quelques centaines de mètres d’Upton Park, dans une famille juive très pauvre. Le père Goldy a encore essayé de voler un peu de nourriture (et de pintes), mais lorsqu’il a été arrêté et condamné à une lourde peine de prison, la mère Gold s’est retrouvée seule pour élever ses garçons David et Ralph.

Un marché à conquérir

 » Je me souviens qu’elle retournait son porte-monnaie et le secouait. Comme il n’en sortait rien, elle se mettait à pleurer. Enfant, j’avais toujours faim, je souffrais de tuberculose et de dysenterie.  »

Lorsque ce produit de l’école des jeunes de West Ham United a dû faire une croix sur ses aspirations à une carrière professionnelle, il lui a fallu trouver d’autres manières pour gagner sa vie.

Avec son frère Ralph, David Gold a découvert que l’industrie du sexe était encore un territoire relativement inexploré en Angleterre dans les années 70. En fait, le district de Soho à Londres était le seul endroit en Grande-Bretagne où l’on pouvait se procurer des magazines pour adultes et des sex-toys.

Et, pour une raison ou une autre, ce marché était entièrement aux mains de quelques obscurs Grecs. C’était un marché à conquérir, s’est dit David Gold lorsqu’il a constaté que, dans son petit magasin de journaux et de magazines, c’étaient les revues érotiques qui se vendaient le mieux.

En 1972, il a acheté avec Ralph la chaîne de magasins de sexe Ann Summers, et y a vendu de l’érotisme plutôt que du porno. Car ce sont deux choses différentes, selon David Gold.

Incarcéré pour pratiques immorales

Même si les Gold, comme Sullivan, ont dû faire face à beaucoup d’opposition dans une Grande-Bretagne très conservatrice – Sullivan a été incarcéré pendant 71 jours pour avoir gagné de l’argent avec des ‘pratiques immorales’ – ils ont directement rencontré le succès sur le plan financier. A 25 ans, Sullivan avait déjà amassé son premier million, tandis que les frères ont fait d’ Ann Summers une institution dans tout le pays.

C’est alors que le téléphone a sonné au siège principal de Gold.  » Nous détenions chacun une part importante de l’industrie du sexe, et nous nous faisions concurrence avec nos magazines. Tout a changé lorsque David Sullivan nous a téléphoné « , se souvient Gold. C’était le début d’un partenariat qui existe désormais depuis 40 ans.

Ensemble, ils ont aussi imaginé d’autres manières de gagner de l’argent. C’est ainsi qu’ils ont, pour la première fois, évoqué le sport. Oui, le sport…En 1986, ils ont lancé le journal Sunday Sport, et plus tard Daily Sport. Et ils sont effectivement devenus grands. Grâce à des récits imaginaires en couverture, selon les deux David.

Ils ont, par exemple, prétendu que des bombes de la Deuxième Guerre mondiale avaient été découvertes sur la lune. Et, peut-être le titre le plus bizarre de tous :  » Il y a dix ans, le lotto a fait de moi un millionnaire, aujourd’hui je me fais sucer par des chiennes pour un paquet de chips.  »

First Lady of Football

Lorsqu’on interroge Sullivan à ce sujet, il rigole.  » Nous étions simplement à la recherche d’une manière de défendre le sexe. Nous savions que les gens n’achetaient le Sunday ou le Daily Sport que pour cela. Les gens avaient une excuse pour acheter le journal, s’ils y trouvaient l’un ou l’autre récit un peu fou.  »

Ou un éditorialiste, comme la légende de West Ham, Bobby Moore. Ils ont vendu jusqu’à 660.000 exemplaires par jour. En 2007, juste avant la crise bancaire, ils ont vendu les journaux pour 50 millions de £

Après les journaux sportifs, les deux hommes se sont carrément tournés vers le terrain. En 1993, ils ont acheté Birmingham City et ont à nouveau provoqué l’émoi dans un monde conservateur en présentant Karren Brady, 23 ans à peine, comme la nouvelle directrice générale du club. Même si Sullivan – c’était son idée de promouvoir son ancienne stagiaire – a été traité d’idiot du village, force est de constater que Brady s’est parfaitement débrouillée.

Sous sa direction, et avec le soutien de Ralph et des deux David, Birmingham City est même revenu parmi l’élite. Elle a été surnommée First Lady of Football.

Le club le plus compliqué de Londres

Pourtant, en 2008, Sullivan et Gold ont revendu le club, frustrés.  » Parce que pour les fans, quoi que vous fassiez, ce n’était jamais assez.  » En outre, ils avaient découvert une opportunité de revenir dans le club de leur jeunesse. Pour la deuxième fois.

La première fois, en 1980, Sullivan et Gold étaient déjà devenus propriétaires de West Ham United pour 30 % mais, à l’époque, les barons du porno étaient très peu soutenus par le reste du Conseil d’administration. Mais cette fois, comme le club avait de l’eau jusqu’au cou à cause d’une dette qui avoisinait les 135 millions d’euros, ils ont été accueillis comme des héros. Ils ont pris le pouvoir en 2010 pour 56 millions d’euros.

Seulement West Ham United est, depuis plusieurs décennies, un club compliqué, et pas seulement à cause des problèmes financiers. Nulle part ailleurs, à Londres (à part peut-être à Millwall), on ne trouve de supporters aussi fanatiques, aussi violents et aussi exigeants que chez les Hammers.

Si, en plus, on déclare juste après la reprise que dans un délai de sept ans, l’équipe jouera la Ligue des Champions, on sait qu’on aura des comptes à rendre aux fans si cette promesse n’est pas tenue.

 » J’ai fait au moins une centaine de déclarations que j’ai regrettées par la suite « , a récemment reconnu Sullivan.  » Je n’ai pas pris conscience de la difficulté de la tâche. Le budget des clubs du Top 6 n’a cessé de grandir, année après année.  »

Une relation tendue avec les fans

Ce meaculpa n’a pas beaucoup amélioré la relation avec les fans. Il n’y a pas si longtemps, David Gold (82 ans) a quasiment été extrait de force de sa Rolls-Royce Phantom rouge-argentée, afin qu’il puisse s’expliquer. Sullivan, qui ne se déplace pas incognito dans le stade (il se déguise parfois en leader communiste des années 50 et 60) est, lui aussi, régulièrement confronté à la colère des fans.

Ce fut encore le cas peu de temps après le déménagement d’Upton Park vers l’Olympic Stadium, lorsque Karren Brady, qui est désormais la vice-présidente de West Ham, a laissé entendre qu’un changement de nom ne serait peut-être pas une mauvaise idée. West Ham Olympic aurait du style, selon elle.

 » Karren est une femme d’affaires extraordinaire, mas elle ne comprend rien au football « , s’est excusé Sullivan.  » Il est inconcevable que West Ham United change de nom.  »

Ce n’était pas la première fois que la situation semblait devenue intenable pour Sullivan, qui a aussi souvent eu maille à partir avec les joueurs et les entraîneurs. En particulier, parce que le président/actionnaire majoritaire cherche toujours la confrontation. Surtout lorsqu’il découvre des situations surréalistes. Comme le salaire de beaucoup d’employés de West Ham United.

 » Les gens de l’administration gagnent entre 100.000 et 300.000 euros par an. Je comprends qu’ils aiment tous travailler à West Ham !  »

Pas des spéculateurs

Et lorsqu’il n’y a pas de dispute avec les travailleurs, il y en a avec les fils Jack et David junior, qui ont intégré le club entre-temps et que leur père considère comme ses successeurs à long terme. Sur les réseaux sociaux, ils ne mâchent parfois pas leurs mots, ou se montrent très critiques vis-à-vis d’un joueur ou de l’entraîneur, plaçant ainsi le club dans l’embarras.

David Sullivan règle ces problèmes comme s’il avait 20 ans de moins, et continue d’oeuvrer à la réalisation de son grand projet. Si David Gold semble de plus en plus suivre l’exemple de son frère aîné Ralph, qui a, dans l’intervalle, complètement disparu de la circulation, Sullivan est encore loin du compte.

 » Quelle est la principale différence entre nous et les autres présidents de la Premier League ?  » David Sullivan réfléchit, puis donne sa réponse :  » Nous sommes de vrais supporters du club que nous présidons. Nous sommes Britanniques, ce qui devient de plus en plus rare. Ce que nous faisons, nous ne le faisons pas pour l’argent, nous n’avons pas l’intention de revendre le club avec bénéfice.

Je ne suis pas un Américain qui considère le club comme un investissement. Non, nous sommes des gens normaux qui travaillons d’arrache-pied pour le club de leur coeur.  »

Par Bjorn Goorden

Sources : Daily Mail, Esquire, Essex Life Magazine, Evening Standard, The Guardian, Tifo Football

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David et son fils Jack, amené à assurer la relève, à West Ham, avec son frère, David junior.
David et son fils Jack, amené à assurer la relève, à West Ham, avec son frère, David junior.© BELGAIMAGE

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