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La parole à Philipp Lahm: « J’aimerais voir la Belgique gagner l’EURO

Quatre ans après sa retraite, les journées de Philipp Lahm sont trop courtes. Directeur de l’EURO 2024, il est en pleins préparatifs, mais il est aussi philanthrope, fou de football, analyste et depuis peu, il rédige des éditos pour Sport/Foot Magazine et le quotidien anglais The Guardian.

En juin 2024, Philipp Lahm va opérer un retour spectaculaire à l’EURO. Pas comme joueur de l’équipe nationale allemande, mais en tant que directeur du troisième EURO mis sur pied outre-Rhin. Le jour de la finale, il y aura presque dix ans que Lahm aura été champion du monde face à l’Argentine (1-0) et enfilé le maillot de la Mannschaft pour la dernière fois. Trois ans plus tard, à 33 ans, Lahm a pris congé du panthéon du football, fatigué de toutes ces années passées sous pression au Bayern. Sans doute en avait-il aussi marre du football. « Je suis devenu footballeur professionnel à 19 ans », explique Lahm. « J’ai disputé plus de 500 matches pour le Bayern et l’équipe nationale, sur différents fronts. J’ai savouré chaque moment de ma carrière, à commencer par les nombreux voyages, mais j’ai senti venu le moment de raccrocher. »

Je m’intéresse au gens qui jouent au football sans gagner d’argent. »

Philipp Lahm

Ces quatre dernières années, c’est du temps passé avec sa femme et leurs deux enfants qu’il a retiré le plus de satisfaction. « Je me lève chaque matin avec plaisir. »

Tu n’étais pas du genre à faire la Une des journaux quand tu jouais. Quel impact a eu le football sur ta vie privée?

PHILIPP LAHM: Je me suis totalement impliqué dans le jeu. Je me suis battu contre moi-même et contre mes adversaires. Ma vie privée n’en a pas souffert et je suis reconnaissant au football de m’avoir procuré une existence aussi privilégiée. Certes, en tant que capitaine du Bayern et de l’équipe nationale, j’étais souvent sous les feux de la rampe, je devais répondre aux questions des supporters et des journalistes, mais je le faisais avec plaisir car ça faisait partie du métier. Les footballeurs ont diverses tâches. Les interviews en font partie.

Depuis ta retraite, tu commentes le football, de ton poste d’analyste et en rédigeant des éditos. Te considères-tu comme une sorte de chien de garde du football dans sa forme la plus authentique?

LAHM: Mes éditos reflètent mon rôle. Je veux également établir un lien entre mes occupations et les débats sociétaux actuels. Par exemple, je m’intéresse énormément à l’effet éducatif du football sur les enfants. Je trouve qu’il est important de rester les pieds sur terre. C’est pour ça que je m’adresse aussi à ceux qui s’impliquent dans le football sans gagner d’argent. Après tout, ce sont eux qui ressentent en premier les effets de décisions prises tout en haut. En tant que directeur de l’EURO 2024, j’ai beaucoup réfléchi à la manière dont il fallait organiser ce tournoi dans mon pays. Mon équipe et moi voulons tout mettre en oeuvre pour bien accueillir tout le continent en Allemagne, dans trois ans.

Philip Lahm soulève la Coupe du monde en 2014, brassard de capitaine de l'Allemagne au bras.
Philip Lahm soulève la Coupe du monde en 2014, brassard de capitaine de l’Allemagne au bras.© BELGAIMAGE

En l’espace de quatre ans, le football a énormément changé. On y a introduit le VAR, les montants des transferts ont explosé, la Super League a déchaîné les passions, etc. Penses-tu que nous sommes à un tournant?

LAHM: Le public en décidera. Les supporters doivent décider de la direction que va prendre le football. Suite à la digitalisation et à la globalisation, les grands clubs européens sont devenus des entreprises qu’on pourrait comparer aux platesformes internet de la Silicon Valley. Les supporters doivent maintenant faire savoir si les bonnes personnes sont aux commandes ou non. Je suis très curieux…

« L’UEFA doit intervenir »

Qu’as-tu pensé en apprenant que quelques grands clubs voulaient se séparer du reste de l’Europe?

LAHM: Que les mauvaises personnes s’étaient alliées. Ce sont l’UEFA et les fédérations nationales qui doivent discuter de cette question et mettre en place les structures adéquates. Mais c’est un exercice très difficile.

Et juste à ce moment, deux clubs anglais qui ont claqué des millions d’euros pour gagner des trophées disputent la Ligue des Champions.

LAHM: Actuellement, seuls les clubs des cinq grands championnats ont encore une chance de disputer la finale de la Ligue des Champions alors que des gens qui vivent dans des villes fascinantes comme Prague, Vienne et Budapest ont seulement le droit de participer à la compétition. Et quid de clubs comme l’Ajax, le Steaua Bucarest ( qui s’appelle officiellement FCSB depuis 2017, ndlr) ou l’Étoile Rouge de Belgrade, qui s’appuient sur une fabuleuse histoire? Ils n’ont plus l’ombre d’une chance parce que leur championnat national est trop petit. Il faut trouver un modèle qui permette aux clubs historiques de participer à l’événement chaque année. Ce n’est possible qu’en mettant sur pied une compétition européenne au sein de laquelle plus de cinq ou dix clubs ont vraiment une chance de gagner. Sinon, un jour, la Ligue des Champions ne suscitera plus aucun enthousiasme.

Les puristes estiment qu’elle a perdu sa légitimité depuis un certain temps, puisqu’elle est devenue le monopole des grandes compétitions.

LAHM: La Ligue des Champions est une combinaison d’ entertainment et de spectacle. Ce format a suscité un énorme intérêt ces vingt dernières années et la finale est suivie chaque année par plus d’un milliard de personnes. Mais une dizaine de marques seulement ont profité de ce développement: la Juventus, le PSG, le Bayern, le Real Madrid, Chelsea, Manchester City, Manchester United, Barcelone, Liverpool, Tottenham et Arsenal. L’UEFA doit intervenir et impliquer le reste. Sinon, comment les autres clubs peuvent-ils faire entendre leur voix? C’est la seule manière d’initier une réforme qui augmente le taux de participation de clubs plus modestes.

Philip Lahm aux côtés de Pep Guardiola, durant le mandat de ce dernier au Bayern.
Philip Lahm aux côtés de Pep Guardiola, durant le mandat de ce dernier au Bayern.© BELGAIMAGE

Tu a joué treize saisons sous le maillot du Bayern et tu as gagné tout ce qui était possible. N’as-tu jamais pensé, ensuite, que le Bayern dominait trop la Bundesliga? Tu as contribué à établir son hégémonie.

LAHM: Le Bayern est sans aucun doute un des dix meilleurs clubs du continent. Il vient d’enlever son neuvième titre d’affilée. On peut se demander si c’est l’idéal pour rétablir l’équilibre en Bundesliga, la rendre plus concurrentielle. Pour cela, il faut trouver des personnes, en différents endroits du pays, qui sont disposées à effectuer les mêmes investissements que le Bayern. Ça permettrait de répartir les meilleurs footballeurs entre différents clubs. Sans cela, il sera difficile de rattraper le Bayern avant un certain temps.

« À l’EURO, le hasard joue un rôle plus important »

On parle beaucoup du Mondial du Qatar. Les fédérations nationales doivent-elles décider d’un boycott ou est-ce plutôt aux joueurs de se révolter?

LAHM: C’est une décision individuelle. Comparez-la à un choix pour un club ou une nation. In fine, il s’agit de pouvoir répondre de chaque action.

L’Allemagne est une grande nation du football, au niveau des clubs comme de l’équipe nationale. Estimes-tu qu’elle doit jouer un rôle proéminent dans la lutte contre le racisme, l’homophobie et l’inégalité entre hommes et femmes?

LAHM: Permettez-moi de formuler les choses autrement. Le football est organisé de façon à ce que chacun puisse y jouer ou y participer, mais les avis ne sont absolument pas liés à la taille d’un club ou d’un pays. Des entités peuvent apporter leur pierre à l’édifice, au sommet comme à la base de la pyramide, afin de favoriser l’égalité des chances et la diversité en football. Je trouve que c’est une pensée positive et encourageante, qui se trouve dans la lignée politique de l’Europe.

L’Allemagne n’est pas favorite à l’EURO. Va-t-elle même survivre au premier tour? Elle est versée dans la poule de la France, du Portugal et de la Hongrie?

LAHM: Oui, car l’Allemagne possède des joueurs dotés de grandes qualités à chaque poste. La défense n’est pas au point ces derniers temps, mais comme les autres nations traditionnelles, l’Espagne, l’Angleterre, le Portugal et la France, l’Allemagne figure toujours parmi les favorites à la victoire finale. Le sélectionneur doit pour cela trouver rapidement son équipe de base. Si j’octroie des chances à la Belgique? Elle possède une équipe dont plusieurs éléments peuvent se distinguer. Je ne parle pas seulement de Kevin De Bruyne, Eden Hazard, Romelu Lukaku et Thibaut Courtois. En tant qu’amateur de football, j’aimerais la voir gagner l’EURO.

Que manque-t-il à l’Allemagne, actuellement, pour briguer une place parmi les meilleurs?

LAHM: Dans un tournoi de quatre semaines, sans match retour, la qualité des joueurs n’est pas le seul facteur à prendre en compte. L’esprit d’équipe, la discipline et la passion sont des éléments cruciaux. La hiérarchie de l’équipe est aussi un facteur déterminant. Joachim Löw doit replacer en vitrine Thomas Müller et Mats Hummels, les champions du monde qu’il a écartés il y a quelques années. C’est un fameux défi.

Quelles équipes t’inciteront à regarder la télévision?

LAHM: La plus-value d’un tournoi européen réside dans le fait qu’il permet de voir à l’oeuvre les plus grandes vedettes avec leur équipe nationale. Par exemple, comment Gareth Bale appréhende-t-il son rôle avec le pays de Galles? On n’a qu’une chance de gagner, puisqu’il n’y a pas de match retour. Le hasard joue donc un rôle plus important que dans une compétition normale. Une plus petite équipe a donc la possibilité d’aller loin. Rappelez-vous l’Islande en 2016. Je trouve fantastique qu’une si petite nation soit animée par un tel esprit d’équipe et pose aussi les jalons d’un fondement culturel qui persiste encore des années plus tard. Je serais heureux qu’un autre outsider apporte des couleurs au prochain EURO.

T’attends-tu à des révolutions tactiques pendant le tournoi?

LAHM: Les principaux développements se produisent au niveau des clubs, car ils travaillent au quotidien. Arrigo Sacchi, José Mourinho et Pep Guardiola, pour ne citer qu’eux, ont innové, chacun à leur façon. Leur impact sur le football actuel est tel qu’on va retrouver leurs idées pendant le tournoi. Enfin, je m’attends aussi à ce que des équipes imposent leur identité et leur style national.

Tu as travaillé avec plusieurs grands entraîneurs comme Carlo Ancelotti, Pep Guardiola, Jupp Heynckes, Louis van Gaal, Jürgen Klinsmann, Ottmar Hitzfeld et Felix Magath. En quoi t’ont-ils inspiré?

LAHM: On se focalise sur ces noms parce qu’ils ont travaillé pour de grands clubs, mais ceux qui m’inspirent le plus sont les entraîneurs qui travaillent depuis des décennies avec les jeunes, bénévolement. Pour moi, ce sont eux, les véritables grands entraîneurs.

Dans ton livre « The Subtle Difference – How to Become a Top Footballer », paru en 2011, tu as évoqué différents thèmes. Notamment le milieu du football, le sport dans un contexte social et l’efficacité des différentes méthodes d’entraînement. Pourquoi as-tu réussi ta carrière de footballeur?

LAHM: J’ai appliqué quatre principes: discipline, ambition, passion et dévouement. Et j’avais un don particulier pour ce qui est le sport le plus populaire du monde. Ce fut ma chance.

« L’ordre établi devrait automatiquement reverser de l’argent à la société »

Philipp Lahm n’a pas seulement été une icône sur le terrain, il a toujours eu un rôle exemplaire. Il est devenu ambassadeur de la lutte contre le SIDA, il a fait campagne contre la maltraitance des enfants et les excès de vitesse, il a également eu l’audace de s’insurger contre la discrimination et l’homophobie en sport. En décembre 2007, six mois après avoir visité quelques townships en Afrique du Sud, il a fondé la Philipp Lahm Foundation. L’objectif de cette oeuvre caritative? Mettre en place un environnement sûr et des structures sociales pour les enfants issus de familles pauvres en Allemagne et en Afrique du Sud, afin qu’ils puissent mener à bien leur éducation scolaire et sportive.

Pendant sa riche carrière, Lahm s’est également insurgé contre le gaspillage d’argent et le bling-bling du football. Son engagement a élargi ses horizons et modifié le regard qu’il porte sur le football. « L’implication sociale devrait être une partie essentielle du football professionnel. Il brasse de telles sommes que l’ordre établi de ce sport devrait automatiquement en reverser une partie à la société. »

Lahm n’a jamais eu l’ambition de changer le monde. L’ancien footballeur est conscient qu’aucun individu ne peut avoir, seul, un impact sur l’ensemble de la société. Mais il a toujours voulu rendre quelque chose à celle-ci. « J’ai eu énormément de chance dans la vie. Je suis désormais financièrement indépendant et en mesure de lancer des projets. J’aime partager. C’est même une tâche agréable. Mes fondations me permettent de transmettre certaines valeurs, qui m’ont formé, comme une nourriture saine, le mouvement, le sport, le développement personnel. »

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