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La FIFA retombe dans ses travers

Le président Gianni Infantino a aidé Manchester City et le PSG à contourner les règles qu’il avait lui-même édictées.

Le président de la FIFA Gianni Infantino qui, lorsqu’il était secrétaire-général de la FIFA, avait édicté des règles pour rendre le football plus honnête, a aidé en secret deux des clubs les plus riches d’Europe à contourner celles-ci. La lecture de millions d’e-mails, contrats et documents confidentiels nous apprend ainsi que Manchester City et le Paris-Saint-Germain ont menacé les instances européennes du football de poursuites judiciaires.

Par le biais de l’hebdomadaire allemand Der Spiegel, le réseau de journalistes d’investigation  » European Investigative Collaborations « (EIC) est entré en possession de plus de 70 millions d’e-mails et documents confidentiels provenant de la plate-forme d’alerte Football Leaks.

L’an dernier déjà, Football Leaks avait mis à jour des déclarations d’impôts controversées et des malversations financières de joueurs et d’agents. Cela avait induit une session au Parlement Européen mais également de grosses amendes et des redressements d’impôts pour plusieurs d’entre eux, dont Cristiano Ronaldo.

Complot

Le week-end dernier, on a compris comment, avec l’aide des pontes de l’UEFA, plusieurs grands clubs européens ont échappé aux règles du Fair Play Financier (FPF), introduites en 2013 afin d’éviter la concurrence déloyale entre clubs, celle-ci ne faisant que creuser le fossé entre les grands et les petits.

Le FPF devait empêcher le  » doping financier  » des clubs soutenus par de riches oligarques russes, arabes ou asiatiques qui dérégulaient les rapports au sein du football international et pourrissaient le marché. Un club devait être transparent sur le plan financier et ses recettes ne provenant pas du monde du football ne pouvaient pas excéder 30 millions d’euros.

Les sanctions en cas d’infraction démontraient que l’UEFA prenait l’affaire au sérieux : amendes, interdictions de transferts, voire exclusions de participation à des compétitions européennes.

Pas besoin d’être expert en finances pour penser que Manchester City et le Paris Saint-Germain n’avaient que faire de ces règles mais le plus choquant, c’est que ces clubs ont négocié en secret avec la crème de l’UEFA de l’époque : le président Michel Platini et le secrétaire-général Gianni Infantino.

Dès le départ, les huiles du football ont comploté avec ces deux clubs. Fin février 2014, une réunion a eu lieu au siège de l’UEFA à Nyon. Outre Platini et Infantino, on y retrouvait Nasser Al-Khelaïfi, le grand patron du club parisien, ainsi que son bras droit, le directeur général Jean-Claude Blanc. Leur intention était de trouver un compromis financier visant à mettre hors-jeu la commission de contrôle de l’UEFA.

Le PSG a été racheté en 2011 par Qatar Sports Investment (QSI), une société d’investissement fondée par l’émir du Qatar. Dans les faits, il appartient à l’état du Qatar. En 2012, il a conclu un contrat de sponsoring de cinq ans avec Qatar Tourism Authority (QTA). Celui-ci lui rapporte 215 millions d’euros par saison.

Officiellement, le but est de promouvoir l’image du Qatar mais, étrangement, l’office du tourisme officiel de l’état du Golfe ne souhaite pas figurer sur les maillots ou les panneaux dans le stade. Selon l’agence d’expertise Octagone, la valeur réelle du contrat ne serait dès lors que de 3 millions d’euros.

Démission

Après la réunion de Nyon, le PSG a accepté de limiter, dans sa comptabilité, l’apport de QTA à 100 millions d’euros. Au Parc des Princes, on a parlé de  » victoire totale pour le club « , qui s’était pourtant vu infliger une amende de 60 millions d’euros. Les Parisiens étaient en effet parvenus à compenser la diminution du contrat avec QTA par de nouveaux accords avec le Qatar.

Malgré un rapport très négatif de la commission de contrôle sur le Fair Play financier, le PSG respirait. Estimant le règlement trop complaisant, l’Écossais Brian Quinn démissionnait de son poste d’enquêteur en chef de la commission.

Malgré cet accord favorable, Nasser Al-Khelaïfi était furieux en apprenant que Manchester City s’en sortait avec une amende de 20 millions d’euros seulement. Pour lui, il s’agissait ni plus ni moins d’une  » humiliation « . Le Qatar et les Émirats Arabes Unis ne s’entendent guère.

Manchester City est le jouet de Cheikh Mansour bin Zayed Al-Nahyan, demi-frère du président des Émirats. Le club est donc, en réalité, dans les mains de la famille royale d’Abu Dhabi. Selon PricewaterhouseCoopers, 84 % des recettes commerciales de Manchester City proviendraient d’Abu Dhabi. Elles seraient donc très discutables.

Un e-mail d’un dirigeant de City à ses collègues nous apprend que Gianni Infantino a donné pour mission à ses avocats de  » trouver un accord qui ressemblerait à un avertissement mais n’aurait pas d’impact dramatique pour City.  »

Le directeur juridique de l’UEFA a envoyé un avertissement en interne et a défendu cette approche pragmatique.  » Nous devons être raisonnables et trouver une solution qui ne nuise pas à la qualité de la plus grande compétition européenne. Nous devons comprendre que nous avons affaire à des clubs qui sont dans les mains de nations, qui ne sont pas habitués à devoir adapter leur façon de travailler et à respecter les règles d’un organisme comme l’UEFA.  »

Cynisme

Mais tous les clubs n’étaient pas égaux aux yeux des huiles du football. Pour des infractions similaires, des formations plus modestes comme le Dinamo Moscou et Galatasaray ont été bannies de la Champions League.

Malgré ces faveurs, le cheikh et l’émir ont décidé de durcir le jeu. Dans un mail en interne, l’avocat de City, Simon Cliff, parle d’un échange de mails entre Khaldoon Al Mubarak, président de Manchester City, et Gianni Infantino.  » Il préfère engager les cinq meilleurs avocats du monde afin de poursuivre l’UEFA au cours des dix prochaines années que payer cette amende.  » Et, toujours selon Cliff :  » Manchester City est prêt pour une bataille juridique agressive de longue durée. C’est l’occasion pour l’UEFA d’abandonner le FPF et ses règles.  »

Les transferts de Neymar et de Kylian Mbappé au PSG, pour des montants astronomiques, ont fait bondir bon nombre de clubs. Car quid du fameux Fair Play Financier ?
Les transferts de Neymar et de Kylian Mbappé au PSG, pour des montants astronomiques, ont fait bondir bon nombre de clubs. Car quid du fameux Fair Play Financier ?© belgaimage

Mais le cynisme du club de Vincent Kompany et Kevin De Bruyne a atteint son comble au moment du décès de Jean-Luc Dehaene, président de la commission d’inspection, qui compte sept membres :  » Un de moins, plus que six « , écrit alors un dirigeant.

À Paris, dès février 2013, Jean-Claude Blanc avait composé une équipe d’avocats afin de contester les règles du Fair Play Financier devant les autorités de la concurrence. Platini savait que le règlement était fragile et voulait à tout prix éviter un procès. Il cède au chantage et, en mai 2014, il téléphone au Parc des Princes pour dire que l’amende de 60 millions est ramenée à 20 millions d’euros.

En septembre 2016, Aleksander Ceferin succède à Michel Platini et Gianni Infantino devient président de la FIFA. Les règles du Fair Play Financier ont déjà été adaptées plus d’un an plus tôt. En été 2017, l’UEFA ouvre une nouvelle enquête sur les méthodes du Paris-Saint-Germain.

Certains clubs se sont plaints des transferts de Neymar (arrivé de Barcelone pour 222 millions d’euros) et Kylian Mbappé (venu de Monaco pour 145 millions et un bonus de 35 millions). Le déficit du club parisien sur les trois dernières années était estimé à au moins 74 millions d’euros alors que le plafond était de 30 millions.

De plus, la commission d’instruction de l’UEFA avait ramené les revenus commerciaux du Qatar de 183 à 104 millions d’euros. Au sein du club, une note d’avertissement est diffusée :  » Nous ne respecterons pas le Fair Play Financier.  »

Complément d’enquête

Les Qataris se ménageent cependant une porte de sortie : Mbappé n’a pas été acheté mais loué. Lors du mercato 2018, le PSG est cependant obligé de vendre des joueurs pour rééquilibrer plus ou moins la balance. En janvier, Lucas Moura passa à Tottenham pour 30 millions d’euros. En été, Yuri Berchiche est vendu à l’Athletic Bilbao pour 24 millions tandis que Javier Pastore rejoint l’AS Roma pour 23 millions. L’UEFA semble satisfaite et classe l’enquête sans suite pour  » raisons politiques.  »

C’était sans compter sur la  » commission de jugement « , une deuxième chambre du FPF, plus stricte. En février (voir Sport/Foot Magazine du 14 février 2018), une nouvelle enquête est lancée et, le 24 septembre, le dossier est transmis  » pour complément d’enquête  » à la chambre d’instruction.

Le Paris Saint-Germain et Manchester City ne sont donc pas encore tout à fait libérés de leurs problèmes. Après les révélations de Football Leaks, la pression ne va faire qu’augmenter. Man City a déjà réagi :  » Ces documents ont été piratés ou tirés de leur contexte. Il s’agit clairement d’une tentative de nuire à la réputation du club.  »

Les informations parues ces derniers jours sont surtout dramatiques pour le président de la FIFA, Gianni Infantino. Le successeur de Sepp Blatter voulait non seulement rendre le football plus transparent mais aussi plus honnête, redorer le blason de la fédération internationale. D’autant que la Coupe du monde 2022 aura lieu au Qatar.

Selon la FIFA,  » aucune loi ni règle n’a été enfreinte « . L’UEFA, elle, s’abstient de tout commentaire.  » Pour des raisons confidentielles qu’il nous incombe de respecter, nous ne ferons pas de commentaire sur des cas spécifiques.  » Le monde du foot dans toute sa splendeur.

Par François Colin

La FIFA retombe dans ses travers
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Charmant mais peu fiable

Gianni Infantino, successeur de Sepp Blatter à la présidence de la FIFA, est chauve, charmant et toujours souriant. Il parle sept langues : italien, allemand, anglais, espagnol, portugais, français et arabe (son épouse, Leena Al Ashqar, était membre de la fédération libanaise). Mais de nombreuses personnes pensent qu’il n’est pas fiable.

Fils d’immigrés italiens, Giovanni Vincenzo Infantino est né le 23 mars 1970 à Brig. Il possède la double nationalité suisse et italienne. Il a étudié le droit à l’université de Fribourg. Ses résultats n’étaient pas brillants car, le soir, il devait travailler avec son père.

Michel Zen-Ruffinen, l’ex-secrétaire-général de la FIFA qui, dans les années ’90, a dénoncé la corruption au sein de la fédération internationale, trouvait cela extraordinaire. C’est lui qui l’a fait entrer au CIES Football Observatory de l’université de Neuchâtel.

Infantino est arrivé à l’UEFA en 2000. Quatre ans plus tard, il devenait directeur des affaires juridiques et, en 2009, il était nommé secrétaire général. Lorsque Sepp Blatter et son successeur présumé Michel Platini (certains l’accusent d’avoir trahi le Français) furent contraints de démissionner suite aux scandales de corruption, il saisit sa chance de devenir le grand patron du football mondial. Le 26 février 2016, il était élu pour trois ans.

Infantino annonçait qu’il allait rendre une image positive au football mais il s’avérait très vite que l’intégrité était un thème sensible pour l’Italo-Suisse. La Commission d’Éthique de la FIFA menait une enquête pour conflit d’intérêts parce qu’il aurait utilisé le jet privé d’un oligarque russe pour effectuer des voyages personnels en Russie et au Qatar.

Il concevait également un complot (manqué) pour renvoyer Domenico Scala, président de la Commission de Contrôle Interne, qui avait observé ses faits et gestes. Scala démissionnait finalement après que le congrès de la FIFA à Mexico eut approuvé une règle donnant au Council (l’ex-Comité Exécutif) la compétence de mettre sur pied ou de démanteler des organes indépendants.

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