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La face cachée de Manchester City: derrière la « dream team », un empire financier effrayant

Manchester City n’a jamais gagné la Ligue des Champions mais il est le premier club dont la valeur totale des joueurs atteint le milliard d’euros. Les cheikhs écument les eaux internationales et louent des joueurs pour 60 millions d’euros.

L’an dernier, Philippe Sandler (22) a quitté PEC Zwolle pour Manchester City.  » On ne m’a pas acheté pour faire du commerce « , disait le défenseur central qui, après avoir joué relativement peu en Eredivisie, faisait ses valises pour la plus grande halle aux footballeurs du monde. Aujourd’hui, Sandler est à Anderlecht. Il est l’un des 148 joueurs que le cheikh Mansour a prêté depuis qu’il a repris City. Combien de chances a-t-il de jouer un jour en Premier League sous le maillot de Manchester City ? La réponse se trouve à la fin de l’article.

Sur base des statistiques, Philippe Sandler, prêté à Anderlecht cette saison, a 0,8 % de chances de porter un jour le maillot de l'équipe première de Manchester City.
Sur base des statistiques, Philippe Sandler, prêté à Anderlecht cette saison, a 0,8 % de chances de porter un jour le maillot de l’équipe première de Manchester City.© BELGAIMAGES – GARY CALTON

Sandler est employé par une multinationale du football. Cela ressort encore des résultats d’une étude consacrée aux équipes les plus chères du monde publiée par le centre de recherches CIES Football Observatory. En 2005, lorsque cet organisme lié à l’Université de Neuchâtel a été fondé dans le but de faire un screening des transferts, Manchester City n’était encore qu’un club populaire moyen.

Son nom n’apparaissait jamais dans aucun classement et personne n’avait jamais entendu parler du cheikh Mansour. Encore moins d’un fonds tentaculaire nommé City Football Groupe qui allait posséder sept clubs sur cinq continents et prendre le pouvoir. Quatorze ans plus tard, Mansour d’Abou Dhabi est devenu le premier à composer un noyau d’une valeur de plus d’un milliard d’euros. Le PSG et le Real Madrid sont battus.

 » On ne pourra pas toujours lutter contre cela « , disait Jürgen Klopp le mois dernier.  » On dirait qu’il n’y a plus que quatre clubs au monde à pouvoir lutter constamment pour les titres : Madrid, Barcelone, le PSG et City.  »

Outre les montants exorbitants versés pour les transferts, le sextuple champion d’Angleterre occupe une position de plus en plus dominante sur le marché car il contrôle de nombreux joueurs. Manchester City fait partie du City Football Group. Qui fait lui-même partie d’Abu Dhabi United Group. Le tout est contrôlé par la famille Mansour, la plus fortunée d’Abu Dhabi. Ses avoirs sont évalués à 20 milliards d’euros.

Un holding qui n’emploie pas moins de 300 joueurs

Après la reprise de Manchester City, en 2008, le cheikh a surtout investi dans l’équipe première mais au fil du temps, on s’est aperçu qu’il ambitionnait bien plus que de gagner quelques trophées : il voulait construire un véritable empire mondial.

Il a fait aménager un centre de formation aussi cher que le nouveau stade du Kuip à Rotterdam et à partir de 2013, il a acheté une série de clubs qu’il a placés dans son fonds d’investissements : un aux états-Unis, un au Japon, un en Uruguay, un en Espagne, un en Australie et, depuis cette année, un en Chine.

 » Le marché chinois va nous aider à développer la marque, c’est important pour la croissance du groupe « , dit la direction du City Football Group, un holding qui emploie quelque 300 joueurs.

 » City représente le plus grand danger jamais vu pour le football « , disait récemment Javier Tebas, le président de la Liga espagnole, parlant d’un  » club étatique qui fait exploser le marché et opère au mépris total de la réglementation de l’UEFA en matière financière.  »

La hiérarchie actuelle du football se demande surtout comment il est possible que Manchester City soit capable de construire l’équipe la plus chère du monde tout en affichant des revenus annuels inférieurs de 200 millions d’euros à ceux du Real Madrid, du FC Barcelone et de Manchester United.

Il y a six mois, l’UEFA a ouvert une enquête au sujet de la comptabilité du champion d’Angleterre mais les résultats ne seront peut-être pas connus avant la fin de la saison.

Une philosophie qui met de nombreux clubs en difficultés

En attendant, la vague bleue est de plus en plus grande et de plus en plus de clubs sont avalés par la stratégie de Mansour. Celui-ci a lancé ses filets et écume les mers. Il ne vise pas seulement les gros poissons comme le Real ou Barcelone. Actuellement, Manchester City a une centaine de joueurs sous contrat. Evidemment, tous ne peuvent pas jouer en équipe première.

Même pas en équipes d’âges, pompeusement rebaptisées elite development squad et confinées dans un parc de 33 hectares avec un stade. Au mur du lobby, on peut lire une phrase du cheikh écrite en bleu :  » Nous mettons en place une structure d’avenir, pas seulement une équipe de stars.  »

Un adolescent qui pénètre dans ce temple est subjugué. Ce qu’on sait moins, c’est que, après avoir signé, de nombreux jeunes ne mettent jamais plus un pied sur le campus. Actuellement, trente-deux d’entre eux sont loués, dont douze qui ne se sont jamais entraîné à Manchester.

L’exemple le plus frappant est celui de Pedro Porro, un Espagnol acheté pour 12 millions d’euros le mois dernier. Il vient du FC Gérone, un club catalan de D2 qui fait partie du City Group. Quatre jours après avoir signé, l’attaquant était prêté à Valladolid. City a également déboursé 8 millions pour le gardien américain Zack Steffen qui, sans jamais avoir joué sous le maillot du club, est passé à Düsseldorf.

En écumant de façon structurelle le marché dans cette catégorie de prix, le cheikh pêche aussi dans les eaux du Club Bruges. Celui-ci a cassé sa tirelire et déboursé 12 millions d’euros pour le transfert de David Okereke. En payant des sommes équivalentes pour des jeunes, City met de nombreux clubs en difficultés. Porro, qui n’a inscrit que trois buts en D2 espagnole, a également coûté 12 millions d’euros. Conséquence : les prix enflent.

Un business model susceptible de plaire aux clubs aidants

Avec des dizaines de joueurs excédentaires, City cherche constamment des partenaires qui puissent l’aider à développer son business model. Mais tous les clubs ne sont pas prêts à l’aider. Ceux qui marchent sont ceux qui, financièrement, n’ont pas les reins suffisamment solides pour se débrouiller seuls. C’est pourquoi le City Football Group a également mis en place un business model susceptible de plaire aux plus grands clubs.

D’abord, City opte plus souvent pour la vente avec clause de rachat fixée au double du montant de transfert. Dans le cas de Pablo Maffeo (vendu à Stuttgart pour 10 millions), il apparaît que City a droit à 25 % en cas de revente du joueur. Pour les patrons du fonds, ce montage encourage les clubs qui préfèrent investir dans des joueurs qui leur appartiennent et les faire jouer. S’ils parviennent à les revendre à City, ils feront bingo.

C’est ainsi que l’an dernier, sur une saison, le PSV a fait 100 % de bénéfice sur l’arrière gauche Angeliño. Pour City, c’est un investissement sans risque. Il a certes perdu 6 millions en un an mais il n’a pas dû payer le salaire d’Angeliño, qui a progressé plus vite que s’il était resté en Angleterre. Si City avait voulu le louer, pas sûr que le PSV eût été intéressé. De plus, il est désormais interdit d’être copropriétaire d’un joueur.

Ce réseau de collaborations, coalitions et accords entre amis a un nom : le cartel Mansour. Avec une meilleure stratégie d’entreprise, de plus en plus de clubs ont envie de collaborer, ce qui ouvre de nouvelles possibilités : le marché devient de plus en plus bleu. Selon le dernier rapport annuel, le City Football Group emploie désormais 1047 personnes.

Le staff technique compte un peu moins de 200 membres. Son rôle est de valoriser des joueurs qu’il faudra remettre sur le marché à bon prix. Même les joueurs de divisions inférieures sont suivis. Le club reçoit des images, des rapports sont établis et, tous les cinq ou six mois, un scout de City débarque.

Onze joueurs sur 128 ont joué au moins une minute à City avant d’être placés ailleurs

L’ensemble des joueurs prêtés représente un revenu de plus de 60 millions d’euros. Sur un milliard, ça semble peu mais c’est plus que le montant payé cet été par l’Ajax pour renforcer son équipe première. Philippe Sandler a coûté quelques millions.

 » Je vis un rêve « , avait dit le défenseur central en quittant PEC Zwolle pour Manchester City. Les dirigeants étaient venus le voir à Amsterdam, ils avaient fait des plans, lui avaient donné l’occasion de faire ses preuves à Manchester tout en touchant un bon salaire. Il avait même eu droit à quelques mots de Pep Guardiola. Très impressionnant…

 » Je ne suis pas qu’un numéro, ils ont vraiment un projet pour moi « , disait Sandler. Selon le défenseur central, Guardiola (qui a dépensé 250 millions d’euros pour acheter des joueurs depuis lors…) s’intéressait à des joueurs plus jeunes et voulait les former lui-même. Un an après avoir quitté PEC, Sandler (22) a juste joué 23 minutes contre une équipe de deuxième division en FA Cup et il est loué. Il aurait toutefois pu tomber plus mal qu’à Anderlecht, où il peut compter sur les conseils de Vincent Kompany.

Combien de chances Sandler a-t-il de jouer un jour à l’Etihad Stadium ? Les agents ne parlent jamais de cela aux joueurs. Depuis que le cheikh est arrivé à City, 148 joueurs ont été prêtés. Si on tient compte du fait que 20 d’entre eux étaient plus âgés, il reste 128 jeunes comme Sandler. Le nombre de locations est beaucoup plus élevé car les joueurs sont loués entre deux et cinq fois avant d’être vendus. L’Argentin Bruno Zuculini détient même un record : il a été loué à six clubs différents avant d’être vendu au Hellas Vérone. Aujourd’hui, il est retourné à River Plate, son club formateur.

Oleksandr Zinchenko
Oleksandr Zinchenko© BELGAIMAGES – GARY CALTON

City ne demande évidemment jamais à un joueur s’il veut signer dans le but d’être loué ou revendu mais en pratique, c’est ce qui se passe. Seuls 11 des 128 joueurs ont joué au moins une minute en Premier League sous le maillot de City avant d’être placés ailleurs. Le rêve des 117 autres s’est effondré, ils ont été remis sur le marché sans avoir joué en championnat (souvent même sans avoir joué en équipes d’âge).

Oleksandr Zinchenko, l’exception qui confirme la règle

Combien sont arrivés en équipe première ? Le calcul est vite fait : un ! Oleksandr Zinchenko, ex-médian offensif prêté au PSV avant d’être recyclé en arrière gauche et d’être titularisé l’an dernier. Angeliño – quatre fois loué, vendu ou racheté à l’âge de 22 ans – pourrait l’imiter. Mais pour cela, il faudra qu’il prenne la place de… Zinchenko.

Vous avez donc la réponse à la question que nous vous posions au début de cet article : sur base des statistiques, Sandler a 0,8 pour cent de chances de jouer un jour en équipe première à Manchester City, le premier club qui vaut un milliard. Bienvenue dans le monde du football moderne.

La face cachée de Manchester City: derrière la

Tom Knipping

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