Swann Borsellino

La chronique de Swann Borsellino: Grazie Giorgio !

C’était en 2006 et déjà, l’iconique Fabio Caressa était chargé de faire vivre aux Italiens les exploits de leur équipe nationale. C’était en 2006 et déjà, Giuseppe Bergomi, immense joueur devenu incroyable consultant, accompagnait Fabio jusqu’à Berlin, où l’Italie disputait une nouvelle finale mondiale. C’était en 2006 et déjà, un défenseur central italien sortait du lot, à l’occasion d’une demi-finale de légende face à l’Allemagne. Il s’appelle Fabio Cannavaro et il soulèvera un Ballon d’Or quelques mois plus tard. C’était en 2006, il y a quinze ans, et Giorgio Chiellini, déjà international italien, jouait déjà à la Juventus. Non retenu dans la liste des futurs champion du monde,  » Giorgione » aura finalement droit à son heure de gloire. À 36 ans plutôt qu’à 21. Aujourd’hui plutôt qu’hier. Le mérite n’en est que plus grand pour un homme qui se moque des louanges comme de sa dernière carte jaune. Une humilité aussi totale que son humanité qui ne nous empêchera pas de lui rendre un hommage mérité.

Le triomphe de l’Italie à l’EURO 2020 est la victoire du beau et sa beauté est celle de Giorgio Chiellini.

Le cerveau humain excelle lorsqu’il s’agit de retenir ce qui va dans notre sens de l’histoire. Alors forcément, de la prestation de Giorgio Chiellini ce dimanche soir à Wembley, certains garderont le fait qu’il a dû choper Bukayo Saka par le col pour éviter qu’une mauvaise intervention ne coûte trop cher aux Azzurri. Logiquement agacé, le Gunner a d’abord refusé la poignée de main proposée, comme toujours avec le sourire, avant d’accepter les excuses de celui qui pourrait presque être son père entre les deux mi-temps de la prolongation. C’est une partie de la personnalité de Chiellini, que Giorgio ne nie pas dans son autobiographie, Io Giorgio. « Moi aussi je suis un gros fils de p*** sur le terrain et j’en suis fier », évoquait-il, après être revenu sur la fameuse morsure de Luis Suárez sur sa solide épaule. Lui, Giorgio, c’est aussi cet homme qui a trouvé le moyen de remporter une séance de tirs au but sans même y participer. C’était en demi-finale, face à l’Espagne, lors du toss entre lui et Jordi Alba. S’il ne lui a finalement pas dit grand-chose – ils parlaient de la couleur du côté de la pièce de l’arbitre – son attitude, taquine et positive, à l’image d’un grand frère qui a envie d’emmerder le plus petit, a permis aux siens de toujours garder le sourire malgré un scénario mal embarqué après le raté de Manuel Locatelli. Locatelli qui ne s’y est d’ailleurs pas trompé puisque c’est bien sur l’épaule de son capitaine qu’il a trouvé du réconfort.

Puis est arrivée cette finale. Neuf ans après la gifle de 2012 face à l’Espagne, où Giorgio, arrière gauche du 4-4-2 de Cesare Prandelli, avait quitté prématurément les siens sur blessure. Un détail de l’histoire de ce revers 4-0 à Kiev. Une cicatrice qui ne s’est véritablement refermée qu’à Wembley pour le Juventino. Car s’il est l’âme de l’équipe la plus vivante du Vieux Continent, Giorgio Chiellini n’est pas une vulgaire mascotte, un totem plein de poussière ou l’ancien d’un village qui regarde fièrement l’héritage qu’il laisse aux futures générations sans vivre dans l’action. Après avoir souffert face à l’Espagne et aux décrochages de Dani Olmo, il a d’abord souffert face à ceux de Harry Kane. Puis il est passé en mode « On ne perdra pas ».

J’écrirais bien que pour intervenir sur Raheem Sterling dans la surface en prolongations, Giorgio avait retrouvé ses jambes de vingt ans, mais même à vingt ans, il ne les avait pas. Car il n’a jamais couru très vite. Il n’a jamais fait les transversales de son indissociable partenaire, Leonardo Bonucci. Il est gaucher, mais ne transpire pas la classe des gens de sa caste. Il transpire la vie et l’envie. Ce dimanche soir à Londres, on peut affirmer sans se tromper que la victoire de l’Italie et une victoire tactique de Roberto Mancini. On peut louer l’entrée rapide de Bryan Cristante, la maestria de Federico Chiesa ou les 127 ballons touchés par Marco Verratti, dont la grandeur est inversement proportionnelle à la taille. Mais on peut aussi dire sans se tromper que finalement, le paradoxe italien est celui-ci: le triomphe de l’Italie à l’EURO 2020 est la victoire du beau et sa beauté est celle de Giorgio Chiellini. Celle d’un être humain formidable. Un copain toujours présent pour les autres. Un « fils de p*** » qui ne lâche jamais rien, jusqu’à en faire chialer Fabio Caressa et Giuseppe Bergomi. Après Franco Baresi, après Cannavaro avant lui, Chiellini rentre dans la légende d’un pays légendaire comme il a toujours vécu: à sa manière.

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