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La Belgique a-t-elle changé son jeu? Analyse de la campagne des Diables

Guillaume Gautier
Guillaume Gautier Journaliste

Les hommes de Roberto Martinez devraient officialiser leur qualification pour l’EURO face à Saint-Marin. Une histoire qui oscille entre adversité fébrile habituelle et nouvelle solidité défensive.

Les buts claquent comme des gifles. Haris Seferovic et Xherdan Shaqiri semblent s’être associés pour faire rougir la joue du Diable. Dans le relatif anonymat d’une soirée de Nations League perdue au milieu de l’automne, la Belgique de Roberto Martinez encaisse des buts et une désillusion.

Thibaut Courtois et ses 35 clean-sheets en 69 sorties diaboliques semblent à peine en croire leurs yeux. Les bras interminables de la pieuvre s’agitent dans les airs, pour blâmer l’impuissance défensive d’une équipe à la dérive.

Sur la pelouse de Lucerne, anesthésiés par un public surchauffé et un adversaire qui joue son va-tout après avoir été mis au pied du mur par un doublé de Thorgan Hazard, la Belgique en prend cinq.

Dans un couloir gauche qui prend l’eau, Yannick Carrasco n’est même pas là pour endosser le rôle du coupable idéal. Avec Dedryck Boyata pour couvrir Nacer Chadli, les Diables ne trouvent pas leur marques face aux infiltrations de Shaqiri, qui force Axel Witsel à jouer au pompier et à quitter son poste devant la défense, là où Seferovic s’installe pour empiler les buts.

Sur la route de l’EURO, les points et les buts semblent plus nombreux que les enseignements.

La facture est salée. Le dernier gardien des Diables à s’être retourné cinq fois en nonante minutes était Jean-François Gillet, témoin presque impuissant d’une démonstration du futur champion du monde espagnol en Galice (5-0). C’était en 2009. Époque d’un passé qu’on espérait révolu.

Un seul but contre

Roberto Martinez cherche ses mots et des explications :  » Nous avons été incapables de communiquer, de défendre ensemble avec maturité. C’était flagrant « , dénonce le sélectionneur. L’avenir et une route sereine vers l’EURO 2020 passent forcément par une consolidation des bases.

Un an et six matches plus tard, le message semble être passé : sur la route des championnats d’Europe, les Diables n’ont encaissé qu’un seul but en 540 minutes. Un cadeau d’un Thibaut Courtois alors en pleine crise de confiance madrilène, offert sur un plateau aux attaquants russes.

La Belgique a-t-elle changé ? L’histoire pourra toujours choisir de retenir que ses adversaires n’étaient que des challengers d’entraînement, ne boxant pas dans la même catégorie que les Diables. Ce serait peut-être négliger la Russie, récente quart de finaliste de sa Coupe du monde et tombeuse de l’Espagne, avant de ne plier qu’au bout du suspense face au dauphin croate. Mais sur la route de l’EURO, les points et les buts semblent malgré tout plus nombreux que les enseignements.

Gagner en défendant

Il y a quand même celui-là : la Belgique a concédé douze tirs cadrés au cours de ses six premiers matches de qualification. Un par mi-temps. Une manière de resserrer les lignes, après les neuf tirs cadrés laissés aux Suisses lors du naufrage de Lucerne. En six sorties, les Diables ont concédé moins d’occasions qu’en nonante minutes face au Brésil de Neymar, en quarts du dernier Mondial.

Courtois n’a même pas dû s’employer démesurément pour ajouter cinq clean-sheets à son impressionnante collection, protégé par une défense globalement rassurante, même quand Axel Witsel ou Vincent Kompany ont manqué à l’appel. Est-ce vraiment une nouveauté, la conséquence d’une volonté protectrice d’un sélectionneur pourtant pas habitué à penser à ce qu’il se passe dans sa surface plutôt qu’à la meilleure manière d’attaquer celle de l’adversaire ? Ses discours peuvent le laisser penser, quand il affirme dans les colonnes de la DH que  » la Belgique doit pouvoir battre l’Espagne, l’Allemagne ou la France sans avoir le ballon. Maintenant, on est une équipe qui veut toujours le ballon. On doit pouvoir gagner d’une autre façon.  »

En Écosse, les Diables ont laissé le ballon à leur adversaire dans le premier quart d’heure (56% pour les Britanniques) pour mieux frapper dans le dos de leur défense. Mais sur la route du Mondial russe, les Belges s’étaient déjà mis en évidence par leur capacité à concéder peu d’occasions.

Après six matches, ils avaient alors offert huit petits tirs cadrés à leurs adversaires. Un chiffre encore plus impressionnant que l’actuel, qui fait pourtant de la Belgique la nation européenne à concéder le moins d’occasions franches du continent (0,46 expected goal concédé par match, soit l’équivalent d’une occasion franche offerte à l’adversaire).

Le ballon et l’espace

Si la Belgique a le ballon plus souvent que jamais, avec une moyenne supérieure à 700 passes par match depuis le coup d’envoi des qualifications, c’est avant tout parce que ses adversaires le lui laissent. Les buts les plus symboliques de cette génération ont beau être des contre-attaques, de la Croatie au Japon jusqu’à la récente ouverture du score en Écosse, les Diables apprennent progressivement à se servir du ballon pour se défendre.

Par rapport aux qualifications pour le Mondial, les hommes de Roberto Martinez ont rendu leur jeu moins direct. En moyenne, leurs possessions durent désormais 6,96 passes, contre 5,88 sur la route du Mondial, et ils tirent au but une fois toutes les 36 passes, alors qu’ils le faisaient toutes les 31 passes deux ans plus tôt. La qualité des occasions a pourtant augmenté, et c’est seulement parce que le réalisme national est revenu à des données normales (fin 2016, les Diables avaient eu une réussite insolente pour inscrire huit buts à l’Estonie) et que la rencontre à Saint-Marin a été la moins aboutie de la campagne que les chiffres offensifs ne sont pas aussi impressionnants qu’il y a deux ans.

Roberto Martinez et deux de ses cadres : Eden Hazard et Axel Witsel.
Roberto Martinez et deux de ses cadres : Eden Hazard et Axel Witsel.© belgaimage

Avec le ballon, la Belgique s’est encore plus développée sur le côté gauche, pourtant de plus en plus souvent déserté par un Eden Hazard qui effectue de plus en plus d’actions au coeur du terrain. Puisqu’il attire les adversaires dans son sillage, le capitaine des Diables libère un couloir qui permet à Jan Vertonghen de faire progresser le jeu par ses passes (il est le meilleur joueur des qualifications en termes de passes qui font avancer son équipe sur le terrain) et à Thorgan Hazard d’en faire de même avec ses chevauchées ballon au pied.

En six sorties, les Diables ont concédé moins d’occasions qu’en nonante minutes face au Brésil de Neymar.

Le tout sans concéder un nombre démesuré d’occasions sur ce flanc gauche qui est le point faible défensif historique de cette génération. Un peu comme si le système diabolique avait fini par trouver son équilibre, entre le besoin de créer suffisamment d’occasions pour gagner et la solidité défensive nécessaire pour ne pas prendre le risque de devoir courir après le résultat.

Presser pour gagner ?

Installée parmi les meilleurs élèves du continent dans toutes les catégories du jeu, la Belgique présente une qualité de pressing bien inférieure aux références européennes comme la France ou l’Espagne, laissant en moyenne quatre passes de plus à ses adversaires avant de récupérer le ballon. Un paramètre qui peut s’expliquer par cette volonté du sélectionneur d’apprendre à souffrir sans la possession, afin de se préparer à gagner des rencontres où les Diables ne domineraient pas le ballon.

Souvent, en perte de balle, les Belges lancent un pressing bref et parfois désorganisé, à cause de l’éparpillement de certains éléments offensifs sur le terrain, avant de rapidement se replier à quatre ou à cinq derrière afin d’éviter de subir l’une de ces reconversions rapides dans le dos des joueurs de couloir qui avaient tant fait souffrir les Diables sur la route de la Coupe du monde. Mais en repliant la moitié de l’équipe, accompagnée par un Axel Witsel qui interprète soigneusement son rôle de sentinelle, la sélection s’empêche par la même occasion de réussir un pressing efficace, qui nécessite une plus grande implication collective.

Coupée en deux, et généralement ouverte sur les flancs par le repli des joueurs de couloir dans la ligne de cinq défenseurs, la Belgique permet à son adversaire de gagner du terrain rapidement, et de franchir la ligne médiane sans difficulté excessive une fois qu’il a fait preuve d’une qualité technique suffisante pour battre la première ligne de pression.

À l’heure où le pressing semble être devenu le dénominateur commun des plus grandes équipes du jeu, dans un football qui installe Liverpool sur le toit de l’Europe et offre une finale de Ligue des Champions à Tottenham, le choix pourrait presque ressembler à une hérésie. Ce serait oublier que la Belgique a la contre-attaque dans les veines, et compte dans ses rangs l’un des meilleurs passeurs et le meilleur dribbleur d’Europe. Autant d’armes qui prennent une dimension supérieure quand les espaces s’élargissent. Avec une possession de balle supérieure à 70% de moyenne, la Belgique parvient à marquer sur des contre-attaques collectivement bien orchestrées. Une clé de plus pour s’ouvrir les portes d’un trophée international, un siècle après le sacre olympique à domicile ?

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