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L’Inter est devenue une machine… mais attention à la chute

Guillaume Gautier
Guillaume Gautier Journaliste

Historiquement irrégulière, l’Inter s’est muée en machine à gagner pour reconquérir un titre qui lui échappait depuis onze ans. Son Mister n’y est certainement pas étranger.

Supprimer un rituel serait-il la meilleure manière de bouleverser les habitudes? À peine débarqué sur le banc de l’Inter, Antonio Conte chahute les tifosi en exigeant que l’hymne qui retentit avant chaque rencontre à domicile dans les gradins du stade Giuseppe Meazza soit modifié. Un chant en forme de louange à la Pazza Inter, « l’Inter folle » en VF, glorifiant l’histoire en montagnes russes d’un club qui vit presque plus pour les émotions que pour les trophées. Les Nerazzurri sont un repaire d’artistes, rivaux éternels d’une Juventus ouvrière. Un enfer pour les coaches de renom, qui sont nombreux à se casser les dents sur ce club où le talent et ses inconstances font la loi. Une décennie après José Mourinho, Conte est parvenu à ranger la tradition au placard, pour remplacer les folies locales par son verbe préféré: gagner. Quête jamais épuisée d’un homme qui aime tant la victoire qu’il a donné son nom à sa fille, Vittoria.

L’Inter 2021 est une forteresse, avec seulement six buts encaissés lors de ses 17 derniers matches de Serie A.

L’ironie de l’histoire veut donc que pour retrouver les sommets, l’Inter se débarrasse de ses habitudes pour tenter d’imiter celles de son meilleur ennemi bianconero. En attirant sur le banc l’homme qui a remis la Juve sur l’autoroute du succès en 2012, mais aussi en confiant sa destinée sportive à Giuseppe Marotta, ancien directeur général de la Vieille Dame à la base de nombreux transferts à bas coût et haut rendement (l’arrivée gratuite d’ Andrea Pirlo, ou celle contre un petit million d’euros de Paul Pogba). Des choix stratégiques dictés depuis la Chine, où la nouvelle Inter est pilotée par le très jeune Steven Zhang, nommé président en octobre 2018, avant même de fêter ses vingt-sept ans.

L’imposant salaire offert à Antonio Conte, douze millions d’euros net par an, en fait très largement le coach le mieux payé d’Italie, son dauphin Paulo Fonseca ne palpant « que » deux millions et demi annuels à la Roma. Des revenus gargantuesques pour lancer un double avertissement: l’Inter est prête à mettre les moyens nécessaires pour revenir au sommet, et le pouvoir de l’ancien sélectionneur italien sur son vestiaire et son club est incontestable. Si Conte exige un renfort, il l’obtient. Si San Antonio veut choisir la playlist d’avant-match, c’est aussi son droit. Tout est possible, pourvu que l’Inter gagne.

LA JUVE DEVENUE PROIE

L’une des premières exigences d’Antonio Conte, c’est la signature de Romelu Lukaku. Amoureux du potentiel de l’attaquant belge, qui semble conçu sur mesure pour son idée du football, l’Italien souhaite déjà l’attirer à Chelsea en 2017, mais Mino Raiola interrompt la noce pour mettre le buteur entre les bras d’un Red Devil. L’idylle démarre donc avec deux années de retard, mais surtout avec la complicité d’un couple destiné à vivre ensemble. Associé au très prometteur Lautaro Martínez, garant de cette tradition qui veut que l’Inter se rue sur les talents offensifs sud-américains, Lukaku fait immédiatement des étincelles.

Si les Nerazzurri ne parviennent pas à franchir la phase de poules de la Ligue des Champions, une compétition qui a toujours été capricieuse avec Conte, ils se hissent jusqu’en finale de l’Europa League, mais échouent derrière la Juve de Maurizio Sarri dans la course au Scudetto. La Vieille Dame semble toutefois moins inaccessible que jamais, et l’été mouvementé qui voit l’inexpérimenté Andrea Pirlo prendre ses rênes et le chef d’orchestre Miralem Pjanic quitter la Botte soustrait encore quelques atouts à son jeu. À quelques kilomètres du Piémont, l’Inter confirme ses ambitions en confiant un salaire de glouton à Arturo Vidal, autre ancien Bianconero, et pose quarante millions sur la table du Real Madrid pour attirer un Achraf Hakimi qui semble taillé sur mesure pour le système de Conte.

Surprise par le départ en trombe d’un Milan ressuscité, mais en surrégime, l’Inter finit par émerger au coup d’envoi de l’année 2021, après une nouvelle élimination précoce en Ligue des Champions dans un groupe qui semblait pourtant à sa portée. Le jeu mécanisé et offensivement spectaculaire de Conte devient alors plus rare, remplacé par une organisation de fer et des reconversions supersoniques qui rappellent les plus belles heures de l’Inter du Triplete. Avec Romelu Lukaku à la baguette devant, épaulé par le prometteur Nicolo Barella et un Christian Eriksen qui trouve enfin grâce aux yeux de son coach après avoir failli quitter le navire bleu et noir en janvier. À l’autre bout du terrain, le trio défensif haut de gamme formé par le métier de Stefan de Vrij, la puissance de Milan Skriniar et la classe d’ Alessandro Bastoni, futur taulier en puissance de la défense de la Squadra Azzura, fait de l’Inter une forteresse, avec seulement six buts encaissés lors de ses 17 derniers matches.

SOMMET ÉPHÉMÈRE?

Si l’histoire ressemble à celle d’un retour au sommet, l’avenir des Nerazzurri s’inscrit pourtant en pointillés. Quand les effluves de fête qui ont envahi la Piazza del Duomo se seront dissipées, il restera aux tifosi à envisager un futur marqué par les incertitudes quant aux investissements du groupe Suning, propriétaire du club depuis 2016. Marqués par la dissolution du club chinois possédé par le groupe (le Jiangsu Suning), mais aussi par des problèmes de paiement des primes aux joueurs de l’Inter, les derniers mois sont peut-être annonciateurs d’un futur loin d’être aussi prospère qu’espéré. Après avoir dû jongler avec le fair-play financier lors de premières années où ils voulaient investir sans compter, les propriétaires chercheraient désormais un associé, voire un repreneur pour continuer à mener un train de vie de haut vol. L’implication dans un projet de Super League qui promettait des sommes colossales à ses participants n’est certainement pas un hasard, pour un club qui pourrait se retrouver contraint de faire un gros transfert sortant dès cet été.

Tout Antonio Conte qu’il soit, le Mister qui a remis l’Inter sur le toit de l’Italie doit maintenant s’atteler au plus grand des défis. Tirer sur le frein de toutes ses forces, pour rester en haut de la montagne russe et ne pas entamer une chute vertigineuse juste après avoir atteint le sommet.

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