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Jonathan David à Lille: l’envol retardé

Le plus beau coup sportivo-financier de l’histoire de La Gantoise trône actuellement en tête de la Ligue 1 avec le LOSC. Derrière cette vérité factuelle, il y a pourtant le début de saison morose d’un Canadien toujours muet face au but. Analyse des débuts hexagonaux d’un homme qui roulait sur la Pro League, mais doit encore apprendre à marcher sur la Ligue 1.

On peut arriver en retard à son premier rendez-vous et repartir avec le mojo de ceux qui savent avoir fait bonne impression. Demandez à Jonathan David ce qu’il en pense, il vous répondra sans doute que c’est la force des gens spontanés. Capable de se pointer en retard pour sa première convocation avec l’équipe première de Gand sous Yves Vanderhaeghe au printemps 2018, de s’entraîner à la carte pendant deux ans, mais de s’envoler pour le Nord de la France cet été avec le statut de plus gros transfert sortant de l’histoire du championnat belge. Ou comment passer en moins de deux ans de jeune malpoli à star bankable.

Il a eu des débuts compliqués en France, mais à Gand, c’était pareil. Il est arrivé sur la pointe des pieds et a fait son trou. » Dylan Bronn, FC Metz

Qu’on se rassure, il faut parfois moins de deux ans à Jonathan David pour retourner l’opinion. Le 17 juillet dernier, en plein mercato, le Canadien confiait ainsi au quotidien français L’Équipe sa volonté de signer le plus rapidement possible à Lille malgré le refus d’une première offre de la direction buffalo. Une sortie médiatique et une punchline – « Franchement, je ne crois pas qu’il y ait beaucoup de respect de la part de mes dirigeants » – reprise en boucle, qui aura forcément eu le don d’agacer Ivan De Witte et Michel Louwagie, mais qui aura surtout su accélérer, c’est un fait, la procédure.

Trois semaines plus tard, Jonathan David devenait donc le transfert le plus cher de l’histoire du LOSC. C’est ce qui s’appelle avoir les idées claires. Et le sens de la formule. Dans la foulée de son départ, le Canadien y allait, la bouche en coeur, du désormais traditionnel et larmoyant mot d’adieu publié sur les réseaux sociaux façon grand pardon. Morceaux choisis: « La Gantoise fera toujours partie de mon histoire et j’en suis fier. » Ou: « Je tiens donc à remercier tout le monde à La Gantoise. Le staff, mes coéquipiers et, surtout, les supporters. » Pas un mot explicite envers sa direction, mais on dira que l’intention est là. Et que de toute façon, De Witte et Louwagie n’étaient plus à ça près. Jamais la doublette managériale gantoise, n’aura aussi bien vendu un de ses talents. Il suffit de peu parfois pour voir les ressentiments se diluer.

Pas encore au rendez-vous de ses promesses

Un plan de communication bien ficelé qui devait aboutir, c’était écrit, à des débuts en fanfare en Ligue 1 pour l’ancien homme à tout faire de Jess Thorup. Scruté par toute la France, la nouvelle tête de gondole du projet lillois tarde pourtant à mettre tout le monde d’accord outre-Quiévrain, après plusieurs sorties manquées en guise de joyeuses entrées. De quoi sérieusement faire retomber l’excitation née d’un transfert annoncé comme on fête une prise de guerre. Avec l’arrivée de Jonathan David, Lille devait entrer dans une nouvelle dimension et se positionner, avec Rennes, comme la deuxième place forte du championnat hexagonal derrière le PSG. Près de trois mois après le début la saison, force est de constater que c’est bien le cas. Mais force est aussi d’admettre que cela ne doit rien ou pas grand-chose à Jonathan David.

Très attendu, parce que censé faire oublier Victor Osimhen et puis surtout parce qu’il a coûté un bras, sa réputation et trente millions d’euros (27 pour Gand + trois de commission pour les agents et encore quatre millions de bonus potentiels) à la direction lilloise, Jonathan David est arrivé dans le Nord le 10 août dernier avec autant d’interrogations que de kilos en trop. Habitué depuis le temps à se saigner pour se renforcer, la Ligue 1 sait aussi se montrer craintive quand elle recrute sur les marchés parallèles.

Jurisprudence Mbokani ou Osimhen?

Parce que la réussite récente de Victor Osimhen, arrivé de Charleroi contre 22,5 millions d’euros à l’été 2019 et revendu près de trois fois et demi ce prix cet été vers Naples, n’est pas un blanc-seing pour toute la colonie débarquée de Pro League. Jérémy Doku (Rennes) et Terem Moffi (Lorient) ont, comme Jonathan David, encore beaucoup à prouver chez nos voisins. Plus globalement, les Français n’ont pas oublié les passages discrets chez eux de Youri Tielemans (Monaco), Dieumerci Mbokani (Monaco), Samuel Kalu (Bordeaux) ou plus globalement de l’ensemble de la cohorte de Belgicains débarquée via Mogi Bayat à Nantes (d’ Anthony Limbombe à Renaud Emond en passant par Kara Mbodj).

Observateur attentif du LOSC pour le journal L’Équipe, Joël Domenighetti est aussi l’homme qui tendait le micro au Canadien mi-juillet. Lui n’a pas toujours été tendre avec le néo-transfuge lillois depuis son arrivée dans le Nord de la France, mais reste optimiste quant au pari nordiste. « Contrairement à Jérémy Doku, dont j’espère que Rennes ne l’a pas surpayé, je me fais moins de soucis pour David. Certes, le rendement de Jonathan est actuellement insuffisant, mais clairement, sa préparation perturbée, ses envies de départs de Gand et son refus de s’entraîner avec le club fin juillet, début août n’ont pas aidé. On dit aussi qu’il est arrivé avec quelques kilos en trop. C’est ce qui se dit, c’est ce qu’on voit. Une prépa perturbée et un léger surpoids, ça fait beaucoup pour un attaquant qui a besoin de mobilité et de puissance. »

Jonathan David sous le maillot gantois. Le Canadien n'a laissé que de bons souvenirs à la Ghelamco Arena.
Jonathan David sous le maillot gantois. Le Canadien n’a laissé que de bons souvenirs à la Ghelamco Arena.© BELGAIMAGE

Le cardio pour sauver les stats

Cela fait beaucoup, surtout quand on doit se manger la transition entre l’anonymat d’une éclosion protégée dans le cadre d’un club familial et bienveillant, et le miroir grossissant que constitue parfois les spotlights de la Ligue 1. Débarqué en France en droite ligne de Gand à l’été 2018, l’ancien Gantois Stefan Mitrovic sait ce que c’est. L’homme qui a connu les premières semaines de Jonathan David dans l’équipe première des Buffalos est devenu, deux ans plus tard, un défenseur respecté du championnat de France et le capitaine apprécié du RC Strasbourg. Non sans sacrifice. « Je crois que pour lui, comme pour moi à l’époque, la révolution est plus physique que tactique. Le championnat français va plus loin dans l’intensité et oblige ses participants à être à 200% de leur moyens athlétiques. Quand je suis arrivé ici, j’ai revu pas mal de choses dans mon quotidien. J’ai commencé à travailler avec un nutritionniste, à bosser beaucoup plus dur sur mon cardio. En cela, il y a un monde de différence avec la Belgique. Mais si je l’ai fait, c’est pour être au niveau pour me frotter à des attaquants du calibre de Jonathan. »

Le Serbe s’en est chargé avec plus ou moins de succès le 4 octobre dernier à l’occasion de la visite des Alsaciens dans les Hauts-de-France. À l’arrivée, une victoire 3-0 du LOSC et une première prestation enfin encourageante pour David. Titulaire systématique en début de saison malgré des prestations parfois anodines (et une note de moyenne de 4 dans le journal L’Équipe), le Canadien aura longtemps profité de la spirale positive du LOSC et de son 17 sur 21 inaugural pour s’installer tranquillement dans l’équipe. Avant d’en sortir ces deux dernières semaines, mais de voir le LOSC enchaîner avec deux résultats nuls.

Preuve que s’il a inquiété lors de ses toutes premières sorties, l’homme aux 23 buts et aux dix caviars toutes compétitions confondues l’an dernier avec Gand n’en est pas moins déjà important pour ce LOSC-là, malgré des chiffres désespérants d’un point de vue statistique: 0 but, 0 assist après 660 minutes de jeu passées sur le pré. Et Lille de comprendre qu’il n’a pas acheté un attaquant de surface, mais un joueur d’espace.

Burak Yilmaz is the new Laurent Depoitre

« Ça a été une erreur en France de penser que c’était un attaquant de pointe que Lille avait recruté », prévient d’ailleurs Dylan Bronn, ancien coéquipier de David à Gand et qui a déjà recroisé la route de son ancien partenaire cette saison, à l’occasion du déplacement de son FC Metz à Lille mi-septembre. « En cela, l’arrivée de Burak Yilmaz dans le onze lui a fait du bien. Contre nous, il a tourné autour du Turc tout le match, un peu comme un électron libre. Il bouge beaucoup, crée du mouvement, mais n’a pas encore eu trop de réussite devant le but. Il a eu des débuts compliqués en France, mais à Gand, c’était pareil. Jonathan, ce n’est pas le mec qui est arrivé et qui a tout cassé d’entrée. Non, il est arrivé sur la pointe des pieds et a fait son trou. C’est la force des bosseurs. L’autre, c’est qu’il s’en fout des trente millions. Je le connais, il n’est pas du genre à se mettre la pression avec ça. »

La preuve, Jonathan David la pour l’instant offerte un peu trop rarement. Même si, malgré ses récents passages par le banc, Joël Domenighetti s’obstine à voir du mieux. « Il a été critiqué, mais depuis quelques matches, on le sent plus puissant et plus rapide sur les premiers appuis. Il perce les lignes, crée du mouvement, avec et sans ballon. Globalement, il a intensifié son pressing, même si ce dernier reste encore parfois désordonné, mais il a pour lui de ne jamais arrêter de travailler. »

Des qualités qui plaisent dans le Nord et qui permettent surtout aux joueurs autour de lui de se sublimer. Renato Sanches, Jonathan Bamba et l’inusable Burak Yilmaz les premiers. « Son duo avec Yilmaz a eu un peu de mal à se trouver au début », valide d’abord Maxime Brigand, journaliste pour le mensuel So Foot. « Mais là, depuis trois, quatre matches, c’est du très lourd. David est ultra bon dans le jeu entre les lignes, c’est un autre rôle pour lui qu’en Belgique, mais il se complète bien avec Yilmaz, qui se régale dans la profondeur. Et puis, moi, je le trouve excellent au pressing. C’est ce pressing qui amène d’ailleurs le premier but contre Nantes il y a quelques semaines. »

Un compliment en forme de résumé. Sa seule action décisive de la saison, le Canadien l’a livrée sans même toucher le ballon, mais en poussant l’expérimenté Nicolas Pallois à la faute. « Cela n’empêche que c’est très dur de défendre sur lui parce qu’il est très puissant et super intelligent dans ses déplacements », décrypte encore l’ancien Mauve Dennis Appiah, titulaire avec Nantes lors du fameux déplacement des Canaris à Villeneuve-d’Ascq à l’occasion de la cinquième journée. « Jonathan, c’est un attaquant créateur qui offre de l’espace pour les autres. Il sait faire plus de choses avec le cuir qu’un Yilmaz, mais à Lille, pour l’instant, son rôle consiste surtout à étirer les lignes. C’est pour ça que je n’ai pas envie de dire qu’il a eu un début de saison poussif ou difficile, je crois juste qu’il doit encore un peu s’adapter. » Finalement, tout ça n’est sans doute, encore une fois, qu’une question de temps.

Jonathan David et le Canada rêvent du Mondial 2022.
Jonathan David et le Canada rêvent du Mondial 2022.© BELGAIMAGE

Go Canada 2022

36 ans après sa dernière et seule participation à une Coupe du monde et quatre avant de co-organiser l’édition 2026 avec le Mexique et les États-Unis, le Canada peut-il rêver d’une qualification pour la grand-messe qatarie de 2022? La bande à Jonathan David et Alphonso Davies paraît en tout cas mieux armée que jamais. À condition de survivre au parcours de combattant qui s’annonce. Et pour commencer, de sortir aisément de son premier tour de qualification. Versé dans un groupe avec Aruba, les Bermudes, les Îles Caïmans et le Suriname, le Canada ne jouera, crise sanitaire oblige, qu’une seule fois au lieu de deux contre chacun de ses adversaires, suite aux reports des rencontres qualificatives, censées débuter lors des fenêtres internationales d’octobre et novembre 2020, à mars 2021.

Si le Canada sort, comme prévu, en tête de son groupe de qualifications, il rejoindra l’un des cinq autres vainqueurs de groupe, que pourraient être le Nicaragua ou Haïti, pour une rencontre en aller-retour octroyant l’un des trois sésames pour le dernier round qualificatif de la zone CONCACAF. Les affaires sérieuses ne feraient alors que réellement débuter au moment de retrouver les habituels cadors de la zone que sont le Costa Rica, le Honduras, la Jamaïque, le Mexique et les États-Unis, dans un groupe de huit n’offrant que trois tickets directs pour le Qatar et un vol avec escale pour les barrages intercontinentaux. Suffisant pour comprendre qu’il faudra un grand Jonathan David pour offrir au Canada une présence dans le Golfe en décembre 2022.

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