© SARA ELISA GONZALEZ

« Je savais que mon intérim se limiterait à 4 matches »

Nicolas Frutosaurait aimé revenir en Europe, mais a finalement accepté une proposition du club paraguayen d’Olimpia Asuncion. Neuf mois après avoir quitté le stade Constant Vanden Stock, il évoque pour la première fois son départ d’Anderlecht.

Nicolas Frutos est l’exemple type d’un bourreau du travail. Depuis qu’il a quitté la Belgique, il n’a pas arrêté une seconde. Il a parcouru la France en voiture afin d’assister à un maximum de rencontres, est parti en repérage en Argentine, en Uruguay, au Paraguay et au Brésil afin de voir des joueurs à l’oeuvre, et était présent en décembre au Championnat du monde des clubs aux Emirats Arabes Unis.

 » Début mai, j’étais encore chez Diego Maradona à Dubaï. Il a habité plus de cinq ans là-bas et je suis allé lui rendre visite à l’une ou l’autre reprise. Je l’apprécie et il a confiance en moi. Je crois pouvoir dire que nous avons une bonne relation « , observe Frutos.

L’homme nous raconte explicitement tout ce qu’il a fait au cours des six derniers mois, tout en improvisant une visite de son centre de revalidation Xinergia, mélange entre une salle de fitness et un centre hospitalier.

A droite de la réception, la Garza – le héron – a décoré le mur avec des maillots de Guillaume Gillet, Kun Agüero, Diego Maradona et un maillot d’Anderlecht avec son propre numéro 19. Dans la salle de fitness, au deuxième étage, certains appareils sont peints en mauve.

 » Avant de souscrire un abonnement ici, il faut se faire scanner par notre cardiologue et rendre visite au médecin. A partir du moment où vous êtes inscrit, vous êtes suivi très attentivement. Car on trouve des Monsieur Muscle qui entrent dans l’établissement et s’exclament : ‘Je fais ce que je veux.’ Ceux-là sont interdits d’entrée.

Durant ma carrière, j’ai consulté un nombre incroyable de médecins et je ne souhaite cela à personne. Je ne veux donc pas avoir de blessés dans mon centre. Nous aidons les gens, nous ne voulons pas qu’ils se fassent mal. L’étape suivante, c’est de faire du bénéfice. Si j’avais ouvert cet établissement à Buenos Aires, j’aurais déjà amorti mon investissement.

Ici, à Santa Fe, c’est beaucoup plus compliqué de faire payer les gens pour le service que je leur offre. C’est une question de mentalité. Mais avec un taux d’occupation de 65 à 70 %, je ne peux pas me plaindre.  »

Son établissement est situé au centre d’un quartier populaire qui jouxte l’Avenida Aristobulo del Valle, l’une des principales artères commerciales de la ville. Elle est connue comme étant le plus grand centre commercial à ciel ouvert de la région.

 » Un jour, j’étais arrêté à un feu rouge et j’ai aperçu une affiche ‘à vendre’ sur la façade d’une maison délabrée. Je suis revenu le lendemain et je suis directement tombé sous le charme lorsque j’ai vu l’étage supérieur. Je me suis dit : je vais créer une salle de fitness, ici. Je verrai plus tard ce que je ferai avec le reste.

Depuis, je suis devenu le CEO et le principal investisseur. Pour le reste, je ne fais rien. Ma soeur gère tout. Mais, en réalité, je suis bel et bien le patron.  »

 » Ma vie tourne autour du football  »

Vous n’êtes pas encore prêt à devenir un homme d’affaires à plein temps ?

NICOLAS FRUTOS : Lorsque j’aurai 55 ans, peut-être. Ma vie tourne autour du football. J’ai créé Xinergia durant une période de ma vie où je ne savais pas très bien si je resterais à Santa Fe ou si je déménagerais définitivement. Dans un coin de ma tête, j’avais aussi à l’esprit qu’en tant que joueur ou entraîneur, on pouvait se retrouver sans travail du jour au lendemain. Je voulais avoir une alternative, au cas où ma carrière dérapait.

Avez-vous pu profiter de votre liberté, ces derniers mois, ou vous êtes-vous plutôt posé des questions ?

FRUTOS : Mon mode de vie n’a pas changé depuis huit ans : je voyage beaucoup et je dors peu. Lorsque j’étais entraîneur à Anderlecht, je dormais au maximum quatre à cinq heures par nuit. Parfois, je me contentais même d’une heure. Pas de problème. Lorsque j’étais joueur, j’avais aussi des difficultés à fermer l’oeil. Aujourd’hui c’est pire, cela cogite constamment dans ma tête. En fait, je suis né pour être entraîneur. Je m’en étais déjà rendu compte lorsque, tout jeune, j’organisais des petits matches sur la plaine de jeux.

Ce que l’on écrit sur moi me laisse froid. Je sais comment les médias travaillent à Anderlecht. À la fin, je jouais un petit jeu avec eux.  » – Nicolas Frutos

Avec le recul, quel regard jetez-vous sur votre job d’entraîneur intérimaire à Anderlecht ?

FRUTOS : C’était la plus belle période depuis que j’ai arrêté ma carrière de joueur, il y a huit ans. Je l’ai vécue intensément. J’ai très bien supporté la pression. Il faut avoir été coach en Argentine pour comprendre ce que c’est d’être pourchassé. Ici, on exhibe un pistolet pour montrer qu’on n’est pas content. Il ne faut pas oublier, non plus, que c’est Anderlecht qui est venu me chercher. Et pas l’inverse. Besnik Hasi était en mission de scouting en Argentine et nous nous sommes rendus ensemble à Buenos Aires pour visionner un joueur. L’affaire ne s’est pas concrétisée pour une question financière. Mais, à un moment donné, Besnik m’a demandé quand je viendrais faire une petite visite au club, à Neerpede. C’est ainsi que tout a commencé.

 » Vanhaezebrouck voulait me conserver  »

Et pourtant, on vous a demandé de faire vos preuves. Vous avez reçu quatre matches pour prouver que vous méritiez un contrat de plus longue durée.

FRUTOS : Non, ce n’est pas comme ça que cela s’est passé. J’ai su, depuis le premier jour, que mon intérim se terminerait au bout de quatre matches. Je devais essayer de gagner le plus de points possible et je me suis acquitté de ma mission. Nous avons même gagné le clasico contre le Standard, l’équipe qui avait le meilleur effectif de Belgique, elle l’a démontré durant les play-offs. Sur le plan émotionnel, ce fut poignant. Je suis un latino, n’est-ce pas. Mais surtout : je savais que j’arrivais au terme de ma mission et que j’allais quitter Anderlecht pour un bon bout de temps. La direction m’avait déjà informé depuis longtemps qu’elle avait opté pour un autre entraîneur. Et, dans un certain sens, je peux la comprendre…

L'un des murs de Xinergia, la salle de fitness dont Nicolas Frutos est le CEO, est décorée de maillots de quelques-unes de ses bonnes connaissances dans le monde du foot.
L’un des murs de Xinergia, la salle de fitness dont Nicolas Frutos est le CEO, est décorée de maillots de quelques-unes de ses bonnes connaissances dans le monde du foot.© SARA ELISA GONZALEZ

Pourquoi avez-vous accepté la proposition d’Anderlecht, dans ces conditions ?

FRUTOS : Aurais-je dû refuser ? Qui n’aimerait pas prendre place sur le banc le plus prestigieux de Belgique ? Demandez à d’anciens entraîneurs du Sporting s’ils hésiteraient, si la chance se représentait à eux. Je signerais des deux mains et des deux pieds pour pouvoir revenir.

Si vous étiez simplement resté T3, vous seriez toujours à Anderlecht, à l’heure qu’il est.

FRUTOS : ( il hoche la tête) Je serais de toute façon parti. La direction m’a demandé de rester, Hein Vanhaezebrouck souhaitait me conserver. J’ai répondu la même chose à Hein qu’à Herman Van Holsbeeck. Si je reste, je veux être concentré à 100 % sur Anderlecht. Mais je n’en aurais pas été capable, ma tête était ailleurs. J’ai voulu rester honnête. Vis-à-vis du club et de Hein, cela n’aurait pas été correct de rester. Comment dois-je le dire ? Je veux apprendre tous les jours – et, comme assistant de Hein, j’aurais certainement beaucoup appris – mais j’étais arrivé à un point où j’avais besoin de relever d’autres défis.

 » Aux normes belges, j’étais peut-être trop ambitieux  »

Au début 2016, vous avez débuté comme entraîneur des Espoirs à Neerpede. Vous aviez déjà déclaré, à l’époque, que vous rêviez de devenir l’entraîneur principal d’Anderlecht. Certains prétendent que vous vous êtes montré trop ambitieux dès le départ.

FRUTOS : Aux normes belges, j’étais peut-être trop ambitieux, oui. En Argentine, personne ne m’aurait jamais fait le moindre reproche à ce sujet. Je sais comment sont les gens en Belgique. Nico n’a encore que 37 ans. Il a tout son temps. Je ne partage pas cet avis. Je travaille déjà comme un fou depuis huit ans. J’ai tout fait : directeur du centre de formation de l’Union Santa Fe, T2 du grand club paraguayen de l’Olimpia Asuncion, entraîneur des Espoirs à Anderlecht, assistant dans le staff de Weiler, etc. En outre, peu de gens savent que j’ai obtenu mon diplôme d’entraîneur en Amérique du Sud. Ce diplôme me permet d’entraîner dans tous les pays de la CONMEBOL.

Vous avez gagné trois de vos quatre matches à Anderlecht. Vous ne vous êtes incliné que contre le Celtic. Jugez-vous votre bilan satisfaisant ?

FRUTOS : Malgré toutes les difficultés que j’ai rencontrées, j’estime avoir bien travaillé. Les matches se sont suivis à un tel rythme que je n’ai pas eu le temps de les préparer dans les moindres détails. J’ai donné mon premier entraînement le mardi, et le mercredi il y avait déjà le match de coupe contre Westerlo. Le samedi, nous nous sommes déplacés à Waasland- Beveren, le mercredi nous avons accueilli le Celtic et le dimanche il y avait le clasico contre le Standard. J’estime avoir rempli ma mission. Ce n’est pas un hasard si nous avons battu le Standard dans les dernières minutes après avoir disputé trois matches en huit jours.

Je suis né pour être entraîneur. Tout jeune, j’organisais déjà des petits matches sur la plaine de jeux.  » – Nicolas Frutos

 » Herman m’a nommé entraîneur et je lui en serai toujours reconnaissant  »

Pourtant, tous les commentaires n’étaient pas élogieux.

FRUTOS : Qu’ai-je lu dans certains journaux ? Que la griffe de Frutos n’était pas perceptible sur le terrain. J’invite tout un chacun à essayer d’imprimer sa griffe sur une équipe après un seul entraînement. Si l’on ose écrire de tels propos, on n’est pas en mesure d’analyser objectivement un match. Deux journalistes francophones, des garçons de 26 ans, en ont rajouté une couche. Ils ont écrit : Frutos n’était pas prêt pour Anderlecht. Sans savoir dans quelles conditions je m’étais préparé, ni ce que cela signifie de devoir jouer quatre matches en 12 jours. J’aimerais avoir un jour une discussion avec eux. Mais aujourd’hui, je pense que ces gens ne méritent pas que je leur consacre deux secondes de ma vie. Soit. Ce que l’on écrit sur moi me laisse froid. Je sais comment les médias travaillent à Anderlecht. A la fin, je jouais un petit jeu avec eux.

Nicolas Frutos
Nicolas Frutos© SARA ELISA GONZALEZ

La direction ne vous a pas facilité la tâche en prenant très tôt contact avec votre successeur. Réalisez-vous aujourd’hui que vous vous étiez lancé dans une mission impossible ?

FRUTOS : Anderlecht a pris Hein en pensant qu’il aurait encore pu les conduire vers le titre. C’est l’entraîneur belge qui jouit de la meilleure réputation. Qui suis-je, alors, pour pouvoir m’opposer à la direction ? Je peux simplement juger mes propres choix. En septembre, j’ai par exemple opté de refuser une proposition d’un club de première division alors que je savais que je ne resterais que quatre matches à Anderlecht… Eh bien, croyez-le ou non, mais je ne le regrette pas.

Votre relation avec Herman Van Holsbeeck a-t-elle souffert de cette situation ?

FRUTOS : Non. C’est lui qui m’a nommé entraîneur et je lui en serai toujours reconnaissant. Aujourd’hui, j’observe tout à distance, mais j’ai l’impression que Marc Coucke et Luc Devroe ont énormément travaillé ces derniers mois pour conférer un nouvel élan au club.

 » Un jour, je reviendrai  »

Vous n’avez apparemment plus aucun contact avec Lucas Biglia, depuis des années. Comment votre relation a-t-elle pu se détériorer à ce point ?

FRUTOS : ( long silence) Je ne veux pas en parler. Je préfère retenir le positif. Nous avons vécu de beaux moments ensemble, puis nous avons chacun pris un autre chemin. Pour le reste : no comment.

Contrairement à Biglia, il paraît clair que vous reviendrez un jour à Anderlecht. Ou avez-vous d’autres projets ?

FRUTOS : Mon intention est bel et bien de revenir un jour au Sporting, mais je ne suis pas pressé. Ce sont les autres qui voudraient faire croire que je suis impatient. J’ai toujours su que je deviendrais un jour coach à Anderlecht et, à l’avenir, j’aimerais encore pouvoir jouer un rôle significatif pour ce club. Le Sporting m’a donné beaucoup et je veux lui rendre la pareille. Et, croyez-moi : c’est un meilleur Frutos que vous verrez alors à l’oeuvre. Mon lien avec la Belgique s’est même renforcé tant et plus, entre-temps, vu que j’ai acheté une maison à Waterloo et que je vis avec une Belge qui me donnera d’ailleurs un petit garçon sous peu. Elle va accoucher en Belgique parce que nous entendons que le petit ait la nationalité belge. Par après, nous retournerons au Paraguay. Mais d’ici quelques années, nous reviendrons en Belgique.

A condition que votre travail soit terminé chez votre nouvel employeur, l’Olimpia.

FRUTOS : Je voudrais tout de même apporter une petite précision : j’ai été engagé comme manager sportif de l’Olimpia, pas comme directeur du centre de formation. En Belgique, ma fonction a été mal traduite de l’espagnol. Je dois redessiner toute l’organisation sportive. Je veillerai à la construction d’un nouveau centre d’entraînement et à professionnaliser toutes les structures du club. J’aurais pu attendre une proposition d’Europe, mais cette offre-ci correspondait parfaitement à mon plan de carrière. Je trouve aussi important de pouvoir travailler près de la maison. En Belgique, on entend souvent : ce n’est que l’Olimpia. Mais en Amérique du Sud, ce club jouit du même statut qu’Anderlecht. Il a gagné trois fois la Copa Libertadores – il était pour la dernière fois finaliste en 2013 – et il a été champion du monde… Je ne pouvais pas laisser passer une telle opportunité.

 » Dans un centre de désintoxication, on apprend ce qu’est réellement la pression « 

Il y a quatre ans, Nicolas Frutos, croulait sous le travail. Après ses heures comme directeur du centre de formation de l’Union Santa Fé, il a créé sa propre entreprise et en même temps, il a créé son petit club à El Pozo, l’un des districts les plus pauvres de la ville. Il a appelé ce club Centro cultural y deportivo Barrio El Pozo. L’emblème et les couleurs ont été choisis par les enfants du quartier.

 » Il n’y avait rien dans le quartier. Rien du tout « , dit Frutos.  » Il n’y avait même pas de terrain de football. En un an et demi, nous avons été promus et avons créé une petite révolution dans le championnat local. J’ai financé le club pendant un an et demi, mais en même temps, j’ai pris contact avec la municipalité pour qu’elle érige un terrain. Le jour où j’ai reçu le chèque et où tous les permis étaient signés, je me suis retiré du club, je ne veux pas entrer en contact avec cet argent.  »

Pendant un an, Frutos s’est également impliqué dans sa ville natale dans un centre de désintoxication pour drogués.  » A l’Union, j’ai souvent été confronté avec des enfants qui se droguaient. Je me suis personnellement occupé d’eux, au point que j’ai travaillé comme bénévole dans un centre. Ce n’est qu’alors que l’on apprend à connaître la définition du mot pression. Le vendredi soir, on laisse rentrer de jeunes ados chez eux, mais on ne sait jamais si on les reverra le lundi. J’ai beaucoup appris sur le plan de l’intelligence émotionnelle et j’ai aussi beaucoup appris sur moi-même.  »

Frutos prétend que ce qu’il a vécu dans un centre de désintoxication l’aidera pour la suite de sa carrière.  » J’ai changé radicalement ma vision sur certaines choses. Je suis désormais capable d’analyser plus rapidement un joueur. J’ai toujours su me débrouiller avec des joueurs originaires de toutes les parties du monde, qu’ils soient d’Amérique du Sud, d’Europe ou d’Afrique. Mais aujourd’hui, je recherche également ce qui se cache derrière un joueur. « 

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