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« Je ne veux pas qu’on change mon image »

Thomas Bricmont

Mourinho, Zlatan, Luciano, les folles années liégeoises, mais aussi sa bad reputation , le fiasco de l’EURO, ou l’importance de la famille : Marouane Fellaini retrace un parcours touffu et animé.

Sur notre droite, Old Trafford. Un peu plus loin, son mall xxl à l’américaine où se massent, avant chaque rencontre à domicile, de nombreuses familles habillées aux couleurs de United. Quelques kilomètres plus loin, le taxi s’extirpe du Manchester urbain pour plonger dans la verte campagne anglaise. Ça fait un peu plus de trois ans que Marouane Fellaini (29 ans) a élu domicile à quelques minutes en voiture de son temple de jeu et pourtant, on semble à mille lieux de l’effervescence des 75.000 spectateurs d’Old Trafford. La touffe la plus célèbre d’Angleterre est ici « au calme, posé », comme il aime le rappeler. Après le titre en League Cup (son troisième trophée en Angleterre) et les festivités qui ont suivi, Big Mo nous ouvre les portes de son imposante demeure. Pendant près de deux heures, Felli va prendre le temps de retracer une carrière débutée il y a plus de 10 ans. Magnéto.

Tu t’apprêtes à disputer ton 300e match pour un club de Premier League . Quand tu regardes dans le rétro, tu te dis quoi ?

MAROUANE FELLAINI : Que c’est pas mal, non ?

Surtout que, chez les jeunes, tu n’étais pas programmé pour réussir comme des Witsel ou Tielemans. Tu as été ballotté de gauche à droite : Anderlecht, Mons, Charleroi, Standard…

FELLAINI : C’est peut-être d’autant plus remarquable. Je ne me suis pas fait tout seul car j’ai été accompagné notamment par mon père mais j’ai dû cravacher. Quand je suis arrivé au Standard, j’ai vu que plusieurs jeunes partaient s’entraîner avec les pros et je me suis dit qu’ils n’avaient rien de plus que moi. Et au Standard, j’ai très vite progressé. D’ailleurs, je dois beaucoup à Christophe Dessy ( ex-directeur du centre de formation, ndlr).

Qu’évoque pour toi le 4 août 2006 ?

FELLAINI : Mon entrée contre Charleroi pour mon premier match en pro. En quelques minutes, j’avais réussi à être dangereux. Et puis, j’ai enchaîné avec une titularisation face à Bucarest et je ne suis plus sorti de l’équipe.

Aujourd’hui, tu es fier de ton parcours ?

FELLAINI : Quand je suis avec des amis ou avec ma famille, on en parle. C’est vrai que c’est beau. Mais j’ai quand même beaucoup sacrifié. J’ai toujours été un bosseur. Je veux dire dans le foot, pas à l’école ( il rit ).

Tu as su quand même profiter de la vie…

FELLAINI : Maintenant, peut-être, mais quand t’es gamin, c’est école et foot. Je ne faisais rien d’autre. Et pendant mes quatre premières années en pro, je me suis accroché.

 » Je n’ai plus jamais connu le même état d’esprit qu’au Standard « 

Au Standard, tu as connu des joueurs avec de vrais caractères. Quel souvenir gardes-tu de cette période ?

FELLAINI : Au niveau de l’ambiance, c’était incroyable. On avait quasiment le même âge, Régi (Goreux), Axel (Witsel), Landry (Mulemo), Steven (Defour). Et il y avait aussi des plus anciens comme Dante, Saar, Onyewu, Jovanovic. Je pense que si on avait été en Ligue des Champions, on aurait pu faire quelque chose…

Au-delà des résultats, ça pouvait aussi se fritter à l’entraînement. Il paraît que Jovanovic t’avait mis une claque et que ça avait failli dégénérer ?

FELLAINI : Jova, c’était un caractère mais après c’était oublié. On avait une équipe qui collait à l’esprit de ce club. Des fous mais une vraie équipe sur le terrain et en dehors. On allait manger ensemble, on sortait ensemble : c’est aussi ça qui fait la force d’une équipe. Un esprit d’équipe comme celui-là, je n’en ai plus connu. On était même trop amis. Et puis Liège, c’est petit, tout se savait. Quand l’offre d’Everton est venue, j’ai hésité, Lucien (D’Onofrio) me disait qu’on pouvait déchirer le contrat. Je sortais seulement de ma deuxième saison en pro mais je sentais que je devais partir. D’un côté, ça devenait trop facile. Pas dans le foot mais dans la vie et j’avais peur de stagner si je restais une année de plus. Il ne faut pas oublier qu’on ramassait tout le monde sur notre passage et même Liverpool, on les a dominés lors des deux matches de qualification pour la Ligue des Champions.

Quelle image retiens-tu de ton titre de champion ?

FELLAINI : De notre arrivée en ville. Je crois qu’il y avait plus de 100.000 personnes, c’était de la pure folie. Jusqu’à la fin de saison, c’était tous les jours la fête. Le match qui a suivi le titre, on a été perdre à Charleroi. On était nuls, on n’avait pas dormi. Mais ça n’avait pas vraiment d’importance…

« C’est ça le foot anglais ? »

Comment as-tu vécu tes premiers mois en Premier League ?

FELLAINI : Franchement, je n’étais pas bien. J’arrivais dans un club où on ne gagnait pas, j’étais seul, je ne connaissais personne, j’habitais à l’hôtel. Pendant deux mois, ça a été compliqué. Le déclic a eu lieu à Tottenham où on a gagné et puis on a enchaîné les succès : on finit cinquième, on joue la finale de la Cup. Il fallait aussi s’adapter au tempo de la Premier League . Lors de mon premier match, on gagne 2-3 à Stoke mais ce n’est vraiment pas un bon souvenir car nos adversaires n’essayaient même pas de jouer au foot, ce n’étaient que des longs ballons, des duels physiques, du pur kick and rush. En rentrant au vestiaire, j’ai dit à un de mes équipiers : c’est ça le football anglais ?

Et pourtant tu as toujours eu de grandes qualités physiques pour ce type de combat ?

FELLAINI : En arrivant en pro, j’étais mince mais j’avais un gros volume et j’étais agressif. C’est ce qui m’a aidé en arrivant en Premier League . Si tu n’arrives pas à t’adapter au rythme, t’es mort.

Ton père a eu un rôle très important dans ta carrière ?

FELLAINI : Oui, c’est lui qui m’a appris le football.

À So Foot , tu avais déclaré que c’était aussi « ton ami, il m’accompagne au Carré, je l’appelle deux fois par jour ».

FELLAINI : Mon père, c’est mon pote. Quand on part en vacances ensemble, on rigole. Mais on n’hésite pas à se dire les trucs cash. Il a toujours voulu me protéger, il n’accepte pas quand on dit du mal de moi. Ma mère, c’est ma pote aussi mais c’est très différent : on n’a pas du tout la même relation, elle est plus réservée, plus posée.

Big Mo est aussi à l'aise au ping-pong.
Big Mo est aussi à l’aise au ping-pong.© National

« Je ne surjoue pas »

Quand on rencontre les joueurs qui t’ont accompagné au fil de ta carrière, on a le sentiment que tu as toujours fait l’unanimité dans le vestiaire. Tu es un peu le « gars » de tout le monde…

FELLAINI : Les artistes, ce sont les Hazard, les De Bruyne, etc. Moi, je connais mon rôle, je suis un joueur d’équipe, et ça a toujours été le cas depuis que je suis passé pro.

Tu n’as pas l’impression que le foot a changé ces dernières années et que ce sont davantage des joueurs plus mobiles, plus techniques qui ont la cote au milieu de terrain et que la taille, le physique ont moins d’importance ?

FELLAINI : Dans un milieu de terrain, tu as besoin de quelqu’un qui fasse tourner l’équipe, tu ne peux pas jouer seulement avec trois monstres. Moi mon poste préféré, c’est celui de milieu défensif. Et, on peut penser ce qu’on veut, mais je sais qu’en 6, je sais faire le boulot. Par contre, jouer en attaque, c’est pas mon truc. Je peux dépanner mais pas plus.

Wilmots disait à ton propos qu’il n’y avait « qu’un Marouane Fellaini dans le monde », que ton profil était assez unique.

FELLAINI : Je ne suis pas le gars qui va frapper de 30 mètres, ou celui qui va dribbler trois-quatre joueurs, mais je sais ce que je sais faire, ce que je peux apporter à l’équipe. Je ne surjoue pas.

« Pendant tout le match, Huth m’a frappé »

Comment vis-tu toute cette polémique autour de ton jeu violent ?

FELLAINI : Regarde ce qui s’est passé avec David Luiz ( qui lors du dernier Chelsea-Manchester d’octobre a planté pied en avant ses crampons dans le genou de Fellaini et n’a écopé que d’un carton jaune, ndlr ) ! Si on inverse les rôles, c’est un nouveau scandale en Angleterre. Un scandale ! J’aurais pris 4-5 matches, on aurait dit de moi que j’étais un criminel. Et tous les soi-disant spécialistes auraient dit qu’il fallait me bannir des terrains, etc.

Lors de ta première saison en Angleterre, tu étais quand même devenu, en seulement quelques mois, le recordman des cartes jaunes.

FELLAINI : Oui, je les ai collectionnées. Après six mois, je crois que j’avais 13 cartes jaunes. J’ai même rencontré quelqu’un de la fédération venu me dire que c’était trop. Mais déjà là, je ne pense pas que je méritais la moitié de ces cartons.

Tu jouais quand même régulièrement avec tes coudes. C’était déjà le cas au Standard.

FELLAINI : Les gens pensent que je le fais exprès. Mais ce qui m’énerve le plus, c’est ce qui s’est passé avec Robert Huth. J’ai pris trois matches après avoir donné un coup volontaire mais ce qu’on oublie de dire, c’est que le gars m’avait tiré les cheveux sur la même action. Mais c’est moi le mauvais ! On a parlé davantage de moi que de lui. Huth aurait dû prendre combien ? Le double au moins. Mais je m’en veux pour ce geste car c’était la fin de saison en plus. Mais pendant tout le match, le mec m’a frappé : coups de poing dans le ventre, coups dans le dos sur corner, tout ce que les gens ne voient pas. Et, au final, je lui ai donné. Et c’est moi le con car j’ai été pénalisé pour cette saison-ci puisque j’ai été suspendu trois matches. J’étais dégoûté. A mon retour de vacances, j’ai dû travailler tout seul, être prêt physiquement. Mais il faut voir les deux côtés. Je ne suis pas le seul à mettre des coups mais je n’ai jamais cassé de jambe. Quand je saute en l’air, je ne fais pas exprès de mettre les coudes : j’ai des longs bras. Lors de certains matches, je reçois des coups sans arrêt mais je ne tombe pas. J’ai reçu des coups dans l’estomac, dans le dos : ça je n’accepte pas. Tu peux aller dur au contact mais frapper, tirer les cheveux, c’est n’importe quoi. C’est cette injustice qui me rend fou. Je peux être très méchant dans ces moments-là. Moi, je ne suis pas un tricheur. Je ne veux même pas qu’on change mon image. Je m’en fous. Je fais mon match et je rentre chez moi. Les gens qui blablatent pour des bêtises, je n’en ai plus rien à foutre.

« Carragher ? Le champion du bla bla »

Et donc quand Jamie Carragher ( ex-défenseur de Liverpool, aujourd’hui consultant, ndlr ) te taille à la télé, ça te passe au-dessus de la tête ?

FELLAINI : Si moi je suis violent et agressif, Carragher c’était quoi ? Il est le champion du blabla et le champion du monde pour casser les jambes. Si tu tapes son nom sur YouTube, tu ne vas voir que des tacles de lui.

C’est plus difficile à vivre quand des anciennes légendes de United comme Schmeichel ou Scholes te critiquent ?

FELLAINI : Chacun a le droit d’avoir son opinion, ce qui m’importe c’est la relation que j’ai avec le coach ou avec le staff. Et si ces derniers n’étaient pas contents de moi, ils m’auraient déjà vendu.

Ce qui est frappant, c’est qu’à l’arrivée de chaque nouveau coach à United, la presse anglaise raconte que c’est terminé pour toi. Mais tu finis toujours par te faire une place au soleil.

FELLAINI : Quand Van Gaal est arrivé et qu’il m’a dit : tu peux rester mais tu n’es pas mon premier choix, ni mon deuxième, ni mon troisième , j’avais envie de partir. Mais je me suis accroché et j’ai réussi à lui faire changer d’avis en quelques semaines.

Quel message José Mourinho te fait-il passer au début de saison ?

FELLAINI : Il m’appelle avant l’EURO, pendant l’EURO et il me dit : tu ne vas nulle part, je compte sur toi . J’ai une très bonne relation avec lui.

Felly dans sa maison mancunienne.
Felly dans sa maison mancunienne.© National

« Je ne suis pas un tricheur »

On imagine que le fait qu’il ait pris ta défense après le penalty commis à Everton, ça a dû renforcer vos liens ?

FELLAINI : Il aurait pu me tuer. Mais non, il m’a défendu, il m’a protégé. Je ne l’oublierai jamais. Il devait avoir la rage pourtant mais il ne m’a rien dit quand on est revenu dans le vestiaire.

Après coup, comment expliques-tu ce penalty qui a entraîné de nombreuses réactions négatives des supporters ?

FELLAINI : Je suis rentré, je n’étais pas bien. Je revenais de blessure. Et je suis arrivé en retard sur la phase du penalty. Mais je suis dans le foot depuis 11 ans, et quand je monte au jeu, c’est pour aider l’équipe, je mets mon pied, je cours à droite, à gauche, je ne suis pas un tricheur. D’autres seraient montés à deux minutes de la fin en se cachant, ils n’auraient même pas essayé d’avoir la balle.

Lors du match qui a suivi, face à Tottenham, à Old Trafford, le public s’est mis à te huer quand tu es parti t’échauffer. Comment on encaisse de tels sifflets ?

FELLAINI : Franchement, j’ai souri. Je me disais que c’était bidon : les vrais supporters ne sifflent pas leurs propres joueurs. Après coup, le coach m’a dédié la victoire, les joueurs aussi. Quand j’ai marqué contre Hull (demi-finale de la League Cup), j’ai couru vers Mourinho pour le remercier.

Qu’est-ce qu’il a de si spécial le Special One ?

FELLAINI : Je crois que c’est quelqu’un de bien, tout simplement. Si tu bosses bien, il ne va jamais te lâcher. Il a une grande personnalité, les gens le respectent.

« Ibra, c’est la classe »

David Moyes gardera, aussi, toujours une place à part.

FELLAINI : Il m’a transféré du Standard, m’a offert un premier contrat, un deuxième, m’a transféré après à United, je ne pourrai jamais l’oublier. Il a fait énormément pour ma carrière. À Everton, il avait su créer une superbe équipe. Si on avait eu un attaquant de classe mondiale, comme le Romelu Lukaku d’aujourd’hui, qui te marque des 20 buts par saison, on finissait dans le top 4.

C’est vrai que tu as pleuré quand tu a appris qu’il était licencié de son poste de coach de Manchester ?

FELLAINI: Oui. J’ai été dans son bureau, j’ai eu des larmes de tristesse. Ça faisait six ans qu’on bossait ensemble, il me punissait quand je faisais des conneries, j’ai évolué avec lui. C’était la première fois que j’étais touché comme ça dans ma carrière.

C’est ta quatrième saison à United. Est-ce que tu es encore impressionné quand un joueur comme Ibrahimovic arrive pour la première fois dans le vestiaire ?

FELLAINI : On est rentré de vacances en même temps et on s’est entrainé à quatre pendant une semaine à l’écart du groupe. Je le connaissais comme tout le monde, de ce qu’il pouvait dire, de ce qu’on disait de lui, mais directement j’ai apprécié la personne. Il est complètement différent de ce qu’on raconte sur lui : Ibra , c’est la classe. Maintenant qu’il approche de la fin de carrière, les gens commencent à comprendre qu’il joue un rôle, mais il joue un bon rôle. Et c’est un grand pro.

Et tu te considères aussi comme un grand pro ?

FELLAINI : Quand j’ai congé, je ne fais rien, je coupe tout, je vois mes amis. Mais quand je suis en mode boulot, je bosse, je fais des étirements en rentrant, etc. Il faut être pro pour réussir une carrière ici. Et j’aimerais bien connaître une dixième année en Premier League pour la symbolique. Mais ça use aussi, car j’ai ramassé des coups…

 » On a été des idiots à l’EURO « 

Avec 75 sélections chez les Diables, tu es le quatrième joueur le plus capé de la génération actuelle derrière Vertonghen, Witsel et Hazard. Tu es fier de ton parcours en équipe nationale ?

MAROUANE FELLAINI : Oui, même si l’été dernier, on a été des idiots. On aurait dû faire beaucoup mieux face au Pays de Galles. La défense avait été remaniée, elle n’avait pas d’automatisme, il y avait un manque d’expérience. Le fait que j’ai débuté ce match sur le banc, ça ne me posait pas de problème, je suis un joueur d’équipe, j’accepte. Je suis un compétiteur et quand je monte, mon seul but c’est de faire la différence.

Peux-tu expliquer ce qui se passe sur le deuxième but où toute la défense se fait mettre en boîte par le Gallois, Robson-Kanu ?

FELLAINI: J’ai voulu anticiper, Meunier aussi. Si quelqu’un avait couvert, il ne se serait rien passé. Mais je ne dis pas que c’est de sa faute. Tous les deux, on a été des pigeons sur ce but.

Qu’est-ce que Roberto Martinez a apporté de différent ?

FELLAINI : Il a une autre vision, il a changé de tactique, il a un système de jeu précis. Mais on fera un réel bilan avec le temps. Parce que pour le moment on a joué contre qui ? On n’a joué ni l’Argentine, ni le Brésil, ni la France ou l’Italie. Les vrais tests vont seulement arriver.

Par Thomas Bricmont

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