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« J’ai perdu tout espoir pour les Diables »

Depuis Bruxelles, Jan Mulder a suivi le Championnat d’Europe avec attention, mais parfois aussi avec perplexité. « Le football n’était pas de très haut niveau. » Et les Diables Rouges? « Décevants. » Cette génération remportera-t-elle, un jour, un trophée? « Non. »

Bruxelles doit s’y habituer: Jan Mulder séjourne de nouveau dans sa deuxième patrie. La ville, qui panse toujours ses plaies après les attentats, a l’air subitement plus joyeuse lorsque Jan s’y promène, en faisant de grands signes en direction de sa femme qui rentre aux Pays-Bas. Il discute avec les agents et est assailli par les passants qui veulent discuter ou se prendre en photo avec lui. D’autres, comme nous, sont là pour une interview.

Qu’est-ce qui vous a le plus surpris pendant le Championnat d’Europe?

JAN MULDER: L’élimination des Belges. Je ne m’y attendais pas du tout. Je pensais sincèrement que les Diables Rouges atteindraient la demi-finale, ou même la finale. A part cela : l’Islande, le Pays de Galles, voire l’Albanie. Et le public. Prenez le cas de la Suisse: autant de supporters dans les stades, c’est à peine croyable. C’est le beau côté de cet EURO qui, pour le reste, a été assez ennuyeux. Le jeu proposé n’était pas toujours d’un très haut niveau. Même dans le chef de la France ou de l’Allemagne. Subitement, l’entraîneur allemand a trouvé un truc pour affronter l’Italie… Dans ce genre de tournoi, un entraîneur réfléchit trop. Qu’est-ce qui a bien pu passer par la tête de Joachim Löw? Un footballeur aussi élégant que Julian Draxler a subitement dû céder sa place à un all rounder comme Benedikt Höwedes. Je suis sans doute de la vieille école. Je suis tout aussi surpris en entendant mon fils Youri me parler sans cesse de tactique. Le football, ce n’est pas une question de tactique, mais de technique. Les deux sont liés, d’ailleurs. Si vous alignez Jason Denayer à la place de Vincent Kompany, c’est tout votre système qui change. On peut gagner un match en utilisant une mauvaise tactique… à condition d’avoir Cristiano Ronaldo dans ses rangs (ilrit). Ronaldo s’en fout de la tactique. Et on peut le comprendre. Gareth Bale s’adapte un peu plus. Avec le Pays de Galles, il joue presque dans l’entrejeu.

S’il continuait à reculer, il ferait un bon libero.

MULDER: Un très bon libero: il a la vision, la rapidité, le jeu de tête. Pourquoi n’y a-t-on pas encore pensé? Fais-le, Zinédine! (ilrit) Si j’étais entraîneur, je ne chipoterais pas beaucoup. Je ne m’adapterais jamais à l’adversaire. Sauf si Bale passe la ligne médiane. Je collerais alors quelqu’un à ses basques. Du genre Gilbert Van Binst. Mais pour moi, ce n’est pas de la tactique, c’est simplement du bon sens. Nous, en Coupe d’Europe, nous avons joué contre le Dukla Prague et l’AC Milan. Josef Masopust et Gianni Rivera ont pu faire ce qu’ils voulaient. Pierre Sinibaldi ne savait même pas qu’ils étaient sur le terrain. Mais aujourd’hui, la tactique a pris le pas sur le reste. C’est dû à ces analystes et ces experts de la télévision. Avez-vous déjà vu jouer Chelsea ou Manchester United? Leur jeu est très compact. Au point qu’ils ne parviennent plus à inscrire un but à domicile. C’est fou que de tels entraîneurs ne parviennent pas à produire du beau jeu avec de tels joueurs. De temps en temps, la tactique peut apporter quelque chose. Axel Witsel, par exemple, a été une révélation pour moi contre l’Irlande. Je savais que c’était un bon footballeur. Youri l’a affronté avec Schalke, contre Benfica. Witsel courait alors vers l’avant et vers l’arrière, avec classe. Après, il s’est retrouvé prisonnier d’un rôle, il a été mal utilisé. C’est dans l’ADN des Belges: toujours trop prudents. Witsel a de nouveau dû reculer. Et le jeu lent, en largeur, a refait son apparition. C’est dommage, car les Belges sont tellement forts qu’ils devraient jouer haut à chaque match.

« Surpayés, les joueurs n’éprouvent plus le besoin de se surpasser »

Votre conclusion est donc que nous avons manqué d’audace?

MULDER: Oui. Tous ces entraînements à huis clos… Et puis: ces garçons gagnent trop d’argent dans leur club, sous la direction d’entraîneurs comme José Mourinho et Louis van Gaal. Ils n’éprouvent plus le besoin de se surpasser. Ils font ce que l’entraîneur leur demande, c’est tout. Ils gagnent dix millions par an, pourquoi devraient-ils en faire davantage?

Le niveau moindre est-il aussi la conséquence d’une trop longue saison?

MULDER: Sans doute, oui. On leur en demande deux fois plus qu’autrefois, aux joueurs. Courir derrière un homme est deux fois plus fatiguant que se ruer à l’attaque. Ils doivent trop reculer, prêter main forte à la défense. Regardez Eden Hazard contre le Pays de Galles : un quart d’heure fantastique, et puis il recule.’

Qui devrait l’en empêcher ?

MULDER: Hazard et Kevin De Bruyne devraient prendre l’initiative eux-mêmes. Et puis, les Belges ne parviennent pas à tuer un match. Une faiblesse mentale contre un Pays de Galles qui n’a rien d’un foudre de guerre. Les Gallois, eux, étaient forts mentalement. Ils n’ont jamais baissé les bras. C’est une caractéristique des Britanniques. J’ai souvent affronté des clubs anglais. Nous étions meilleurs qu’eux, footballistiquement, mais ils s’imposaient au courage et à la volonté.

Quelle équipe a produit le meilleur football? La France, le Portugal ou quand même l’Allemagne?

MULDER: Mesut Özilet Toni Kroos sont de superbes joueurs. Le Portugal ne m’a pas déçu, Ronaldo s’est même montré sous un jour sympathique. La France était bonne, sans plus. En demi-finale, la différence de classe avec l’Allemagne était effrayante. Puis, juste avant le repos, un penalty est tombé du ciel. Les Allemands sont habitués à gagner. Ils ont participé avec succès au Championnat d’Europe et à la Coupe du Monde pendant des dizaines d’années. Ils sont capables de se concentrer sur les grands tournois et ont déjà mis leur organisation au point un an à l’avance. Mais, contre l’Italie, ils ont joué contre nature. Ils ont eu de la chance de se qualifier aux tirs au but. Une loterie, dit-on. Mais, si Simone Zaza s’est présenté comme un clown face à Manuel Neuer, c’est la faute de l’entraîneur, qui est lui-même un clown.

« C’est la technique qui fait la différence, pas la tactique »

« Antonio Conte est un clown ».© BELGAIMAGE

Antonio Conte, un clown?

MULDER: Oui. Je n’aimerais pas voir mon fils se comporter de cette manière.

Il a tout de même hissé l’Italie plus haut qu’on ne l’attendait.

MULDER: Oui, sur ce plan-là, vous avez raison. Mais cela m’a rappelé la prestation des Pays-Bas à la Coupe du Monde. J’étais honteux. On a tout de même envie de voir du beau football, non? L’Italie a bien joué pendant un match. Après, elle est revenue à son cher catenaccio, comme contre l’Allemagne (ilréfléchit). Affirmer que Conte a battu Marc Wilmots sur le plan tactique, cela n’a pas de sens.’

Qu’est-ce qui a fait la différence, alors?

MULDER: Une superbe passe de Leonardo Bonucci. La technique, pas la tactique.

Les joueurs n’étaient-ils pas sur les genoux après une longue saison ?

MULDER: Je peux l’imaginer, oui. C’était très visible dans le cas de DeBruyne. Ce garçon avait surtout besoin de vacances, d’un massage et d’une crème à la glace.

De Bruyne est-il l’une des déceptions de l’EURO ?

MULDER: De Bruyne ne me déçoit jamais, mais il n’a pas réalisé les coups d’éclat dont il est coutumier à Manchester City. Ce qu’il a réussi là-bas est fantastique : à peine arrivé, il s’est imposé.

Tu es moins fan de Hazard, aujourd’hui?

MULDER: Pas du tout. Je me régale en admirant sa technique. Ce qu’il a montré contre la Hongrie était fantastique. Je considérerai toujours Hazard comme un superbe joueur, même s’il devait perdre cent matches d’affilée. Il s’est battu à l’EURO. Même contre le Pays de Galles.

Nous, les Belges, sommes-nous trop sévères dans notre jugement?

MULDER: Non. Wilmots ne doit pas prétendre que tout s’est passé pour le mieux dans le meilleur des mondes. La Belgique a déçu. Je pensais que les Diables Rouges atteindraient la finale, mais au fond de moi-même, quelque chose me disait que cela allait coincer à un moment donné.

« Pourquoi pas Klinsmann à la tête des Diables? »

Cette génération parviendra-t-elle à remporter un trophée?

MULDER: Non. Elle a perdu confiance. Et moi, j’ai perdu tout espoir. J’applaudirai encore leurs gestes, mais je sais déjà qu’en Russie, un nouveau grain de sable viendra se glisser dans la mécanique.

Un cliché qui a la dent dure: la Belgique manquerait de personnalité.

MULDER: Thibaut Courtois a dit sa façon de penser. Mais c’est facile après coup. Il aurait mieux fait de dire avant le match : cette tactique n’est pas bonne, coach, nous ne l’appliquerons pas. J’ai joué avec Jef Jurion. Il n’aurait pas attendu pour faire des remarques. La Belgique aurait pu se reposer sur Vincent Kompany. Il lui arrive de commettre une erreur, mais généralement, elle ne porte pas à conséquence car il est solide comme un roc. J’ai du mal à l’avouer, mais oui : il m’a manqué.

Quelles ont été les satisfactions chez les Diables Rouges?

MULDER: Thomas Vermaelen est revenu à son meilleur niveau. Un footballeur élégant, qui s’est signalé par ses tacles et ses interceptions dès le premier match. Witsel m’a bien plu contre l’Irlande. Thomas Meunier est un footballeur racé. Un ancien attaquant, cela se voit directement (ilgrimace).

Qui prendriez-vous comme successeur de Wilmots? Un homme ou une femme qui ne parle ni le français, ni le néerlandais, qui n’a encore jamais lu Le soir ou Het Laatste Nieuws, et qui pense que la Belgique est une ville ?

MULDER: J’ai lancé un nom: Jürgen Klinsmann. Je pense qu’il serait l’homme de la situation. Un garçon bien élevé. Un étranger. Car l’aspect communautaire est toujours bien présent. Peut-être pas au sein du groupe des joueurs, mais surtout dans la presse. Je ne prendrais pas Roy Hodgson, en tout cas. Ni le coach du Pays de Galles: il a été limogé à Fullham. Il reconnaît d’ailleurs que le mérite du succès revient aux joueurs. Un entraîneur doit surtout veiller à ne pas faire d’erreur. Mais, évidemment, Klinsmann coûte quelques millions. Je suis tombé de ma chaise en apprenant que Dick Advocaat ne gagnait que 600.000 euros par an en Belgique. Si l’on veut un bon entraîneur, il faut y mettre le prix.

Vous dites qu’un entraîneur doit surtout veiller à ne pas faire d’erreur. Quelle erreur Wilmots a-t-il commise?

MULDER (ilrésume): Il n’est pas assez intervenu lorsque la Belgique a reculé. Après l’Irlande, il a de nouveau fait reculer Witsel. Il a trop tergiversé avant de décider si De Bruyne devait jouer à droite ou dans l’axe. Contre la Norvège, en match amical, il a accepté que Hazard dise à De Bruyne où il devait jouer. Cela n’a pas plu à De Bruyne, cela se voyait à sa tête.

Mais il n’a rien dit.

MULDER: Vous savez pourquoi? C’est difficile de se fâcher avec Hazard : un brillant footballeur, un style bien à lui, mais un chouette gars. En laissant faire Eden, Wilmots a fui ses responsabilités. Mais on ne doit pas oublier que cette méthode lui a réussi pendant quatre ans.

« IL NE FAUT PAS VOUER WILMOTS AUX GEMONIES »

« Marc Wilmots devrait avoir un adjoint doté d’une certaine personnalité ».© Mutsu Kawamori/AFLO

Quid de Marc Wilmots?

MULDER : Je n’irai pas jusqu’à dire qu’il mérite une statue, mais on ne doit pas le vouer aux gémonies. Il a tenu quatre ans, c’est long.

Quels conseils lui donneriez-vous?

MULDER: De ne plus attendre aussi longtemps avant de dévoiler sa composition d’équipe. D’être plus clair. Et son staff ne l’aide pas. Vital Borkelmans est trop loyal. Il est au service de Marc, c’est tout. Parfois, il vaut mieux avoir un adjoint doté d’une certaine personnalité, qui vous oblige à vous remettre en question. Marc est têtu, mais c’est un bon gars.

Ses joueurs, à une exception près, ne l’ont pas critiqué.

MULDER: Ils se rendent compte qu’il les défend. Il ne les a jamais laissé tomber, même pas Denayer en France, ni Romelu Lukaku au Brésil. Mais ça, tout le monde l’a oublié, sauf les joueurs eux-mêmes.

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