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Granit Xhaka : l’envol de l’aigle

Le médian suisse Granit Xhaka, qui affrontera la Belgique vendredi, a fait des pieds… et des mains l’été dernier lors de la Coupe du monde. Portrait.

C’était un but magnifique. Il permettait à la Suisse de revenir à la hauteur de la Serbie à Kaliningrad. Un tir du gauche de l’extérieur du rectangle, à mi-hauteur. Puissant et précis. Un but que chaque joueur rêve d’inscrire mais qui allait être gâché par la façon dont son auteur, Granit Xhaka, le fêtait. Ils ouvrait les mains, paumes à l’intérieur, et entremêlait les pouces pour faire un aigle à deux têtes tout en courant vers la tribune.

L’aigle à deux têtes n’est pas le logo d’une marque de fromage de montagne ni des horloges à coucou suisses. C’est le symbole qui figure sur le drapeau de l’Albanie et qui, au Kosovo, incarne la résistance contre les Serbes, qui ne reconnaissent pas l’indépendance de ce pays.

À la dernière minute, Sherdan Shaqiri marquait à son tour et fêtait également son but par un aigle à deux têtes. Pour beaucoup, il s’agissait d’un message politique, interdit par la FIFA. Les deux joueurs se défendirent en disant qu’ils n’avaient fait qu’exprimer leur émotion, que c’était leur coeur qui avait incité leurs mains à rendre hommage aux supporters albanais du Kosovo.

Tous deux sont en effet fils de Kosovars réfugiés en Suisse au début des années ’90 pour fuir la terreur imposée par les Serbes. Lors de la Coupe du monde, Shaqiri a d’ailleurs joué avec le drapeau suisse sur la chaussure gauche et le drapeau kosovar sur le soulier droit.

Solidarité et gratitude

Lorsque la FIFA leur a infligé une amende de 10.000 francs suisses pour provocation, les Kosovars ont lancé une opération de crowdfunding en Suisse pour les aider à payer. Le Ministre kosovar de l’Industrie et du Commerce, Bajram Hasani, a directement versé son salaire mensuel sur le compte car, dit-il, les joueurs ne doivent pas être punis parce qu’ils n’ont pas oublié leurs racines et car l’argent ne représente rien par rapport à la joie que les joueurs lui ont apportée en fêtant leur but par un aigle à deux têtes.

Granit Xhaka (26) a déjà témoigné sa solidarité au peuple kosovar à de nombreuses reprises lors d’interviews mais il a également toujours souligné sa gratitude envers la Suisse qui a accueilli sa famille et où il est né, tout comme son frère Taulant, 18 mois plus vieux que lui.

Au Kosovo, leur père a fait trois ans et demi de prison pour avoir milité pour les droits démocratiques des Albanais de souche à l’époque où le Kosovo était une province autonome de l’ex-Yougoslavie. L’an dernier, dans The Guardian, Granit a expliqué que son père partageait une cellule avec quatre autres détenus et qu’ils ne pouvaient sortir que dix minutes par jour. Lorsqu’il avait été arrêté à Pristina, il ne connaissait sa future épouse que depuis trois mois. Elle allait l’attendre pendant trois ans et demi.

Champion du monde U17

En Suisse, les frères Xhaka commencèrent à jouer au FC Concordia Bâle mais, très vite, ils passaient au centre de formation du FC Bâle et étaient appelés en équipe nationale de jeunes. C’est ainsi qu’en 2009, au Nigeria, Granit était sacré champion du monde U17 avec la Suisse.

A l’âge de 17 ans, ce médian central gaucher débutait en équipe première du FC Bâle. Deux ans plus tard, il était international. En 2012, il quittait son club sur un doublé, nanti du titre de meilleur joueur du championnat de Suisse. Le Borussia Mönchengladbach déboursait 8,5 millions d’euros pour obtenir ses services.

Quatre ans plus tard, devenu capitaine, il était vendu pour 45 millions d’euros à Arsenal. L’Allemand Ottmar Hitzfield, alors sélectionneur de la Suisse, le comparait à Bastian Schweinsteiger. Granit Xhaka était un des meilleurs passeurs de Bundesliga et il allait en faire autant en Premier League. Il faisait aussi parler de lui en raison de ses tackles, impitoyables.

En Allemagne, cela lui avait valu 35 cartes jaunes et 6 rouges. En Angleterre, il en est déjà à 27 jaunes et deux rouges.

Mon père, ce héros

Il a déjà admis que la mentalité qu’il affiche sur le terrain est le reflet de la force mentale de ses parents. Leur histoire l’a formé et il en tire sa force. Son père est son idole et son exemple, il lui a fait comprendre que, pour arriver à quelque chose, il fallait être fort. Que quand on s’engageait à quelque chose, il fallait y mettre son coeur et son âme pour atteindre l’objectif.

Et qu’en football, l’objectif était de gagner, pas de produire du beau jeu. Pour l’aider à garder les pieds sur terre, son père ne lui disait jamais qu’il avait bien joué. Il lui apprenait à se regarder dans le miroir, à faire son auto-critique. A un point tel que, quand les choses tournaient moins bien, il en venait à se détester.

Dans la vie de tous les jours, il est modeste. Il sait combien ses parents ont souffert quand ils sont arrivés en Suisse, nettoyant des bureaux pendant la nuit afin d’avoir un peu d’argent pour que lui et son frère puissent prendre l’autocar et aller saluer leurs grands-parents à Pristina. C’est cette simplicité qu’il aime à Camden, au nord de Londres, où il fait laver sa voiture dans un car-wash tenu par des Albanais.

L’homme aux deux coeurs

Son frère, qui évolue toujours au FC Bâle, a choisi une autre voie. Ce médian défensif droitier a porté le maillot de la Suisse jusqu’en Espoirs avant d’opter pour l’Albanie. A l’Euro 2016, Granit et Taulant se sont affrontés au cours du premier match de la phase de poules. Le plus jeune l’a emporté.

Ce qui s’est passé l’été dernier à Kaliningrad a eu des répercussions en Suisse. Au retour de Russie, le secrétaire général de la fédération suisse, Alex Miescher, a déclaré qu’il était favorable à la suppression de la double nationalité. Dans le Tagesanzeiger, un journal suisse, il a lancé l’idée de ne plus sélectionner en équipes d’âge que des joueurs qui renonceraient à cette double nationalité. Cela lui a valu énormément de critiques et, en août, il a démissionné.

Pas plus tard que le mois dernier, l’ex-international suisse et ancien joueur de Liverpool Stéphane Henchoz a déclaré dans Blick qu’il était impensable que Granit Xhaka devienne un jour capitaine de l’équipe nationale suisse car il met trop en valeur ses racines albanaises. Sur le site de son club, le médian d’Arsenal s’est dit blessé par ces mots. Il a ajouté qu’il n’en pouvait rien s’il avait deux coeurs et qu’il était fier de porter depuis neuf ans le maillot du pays qui l’a vu naître et grandir. ?

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