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Grandeur et misère de Michel Platini, la vierge effarouchée du foot mondial

Steve Van Herpe
Steve Van Herpe Steve Van Herpe est rédacteur de Sport/Voetbalmagazine.

L’EURO 2020 aurait dû être son EURO. Car organiser le tournoi à travers toute l’Europe, c’était son idée. Mais Michel Platini (66 ans) n’a pas été invité à sa propre fête. Pourquoi?

Lorsqu’il confesse à son ami Pierre Lescure, un journaliste et homme d’affaires français, qu’il est mû par une folle envie de lire, celui-ci lui répond: « Mais Michel, tu n’as pas besoin de lire! Ta vie est déjà un roman en soi. » Il n’a pas tout à fait tort. Comme footballeur de haut niveau, sélectionneur national et président de l’UEFA, celui qui vient de fêter ses 66 ans a vécu mille vies et est passé par tous les extrêmes: il a côtoyé les sommets, mais s’est aussi retrouvé au fond du trou. Mais il a toujours traversé les moments les plus difficiles avec ce sourire juvénile qui le caractérise.

Contrairement à ce que pensent l’UEFA et la FIFA, le football ne leur appartient pas. »

Michel Platini

C’est ainsi qu’il y a quelques années, dans le cadre d’une enquête sur d’éventuels faits de corruption concernant l’attribution de la Coupe du monde 2022 au Qatar, il passe quelques heures en cellule. À deux reprises, les enquêteurs qui l’interrogent au Palais de Justice de Nanterre font une pause. D’abord vers midi, puis aux alentours de 17 heures. À chaque fois, Platini est placé derrière les barreaux. Dans une interview récemment accordée au journal L’Équipe, l’ancienne star mondiale est revenue sur cette affaire de manière laconique: « La première fois, je n’étais pas seul. Il y avait aussi un Ukrainien dans la cellule. Il m’a reconnu et m’a demandé un autographe. On a alors demandé un bout de papier et un stylo aux enquêteurs. Il a dit: Prison en France, mieux que prison en Ukraine! ( Il rit) La deuxième fois, j’étais seul. Je me suis étiré sur le banc et j’ai rigolé de moi. Si les enquêteurs avaient vu ça, ils se seraient dit que j’étais devenu complètement fou. Tout ce qu’il m’arrive est hors du commun. Lorsque je raconterai tout à mes petits-enfants, ils feront de grands yeux. »

Michel Platini a toujours eu le don de prendre les gens à contre-pied. Sur le terrain, c’était un numéro 10 doté d’un énorme flair et il était réputé pour son intelligence de jeu. C’était un milieu de terrain, mais qui avait le sens du but. Il était surtout célèbre pour ses coups francs. Il s’y est entraîné dès le début de sa carrière à l’AS Nancy, avec des mannequins et son ami, le gardien Jean-Michel Moutier. À la longue, les gardiens ont évidemment étudié la manière dont Platini tirait les coups francs, et souvent, ils pensaient pouvoir s’interposer, mais la plupart du temps, ils devaient s’avouer vaincus malgré tout.

Le penalty inscrit en finale de la Coupe d'Europe des Clubs Champions, sur la pelouse d'un Heysel endeuillé, est peut-être le but le plus tristement célèbre de Platini.
Le penalty inscrit en finale de la Coupe d’Europe des Clubs Champions, sur la pelouse d’un Heysel endeuillé, est peut-être le but le plus tristement célèbre de Platini.© BELGAIMAGE

Il avait la même ingéniosité en dehors du terrain. Lorsqu’un jour, le président de la Juventus Gianni Agnelli le surprend dans le vestiaire en train de fumer une cigarette, Platini lui parle du milieu de terrain Giuseppe Furino, réputé pour sa faculté à courir énormément. « Vous ne devez commencer à vous inquiéter que si lui se met à fumer. »

Rêve de jeunesse

Le footballeur Platini est un stratège, qui mènera son pays vers une première victoire dans un grand tournoi. On est en 1984, lorsque le championnat d’Europe est organisé en France. Platini, qui forme le « carré magique » des Bleus avec Luis Fernandez, Jean Tigana et Alain Giresse, ne laisse aucune chance aux Belges en phase de groupes: 5-0. En cinq matches (trois matches en poule, une demi-finale et une finale), il inscrit neuf buts. Lors de la finale au Parc des Princes, que la France gagne 2-0, c’est aussi Platini qui ouvre la marque, sur coup franc évidemment, contre l’Espagne de Luis Arconada, José Antonio Camacho et Santillana.

Quatorze ans plus tard, lorsque les Bleus deviennent champions du monde au Stade de France sous l’impulsion de Zinédine Zidane et Didier Deschamps, Platini dit au capitaine Deschamps qui s’apprête à recevoir la coupe: « Prends ton temps, car ça ne dure pas longtemps… » Dans L’Équipe, il explique la raison de ses propos: « Parce que je me souvenais de ma propre finale de 1984. Monter ces marches pour aller chercher la coupe, c’est un rêve d’enfant qui devient réalité. Ça dure cinq à dix secondes, puis il y a la presse, les photographes… Mais lorsqu’on est en haut de l’escalier et qu’on agrippe la coupe, on peut se dire: Voilà, mon rêve s’est réalisé. On est alors dans sa bulle et on doit profiter à fond de cet instant. »

Lorsqu’on lui demande si c’est le plus beau moment de sa carrière, Platini conteste: « Je n’ai pas de plus beau moment, c’est toute ma vie qui est hors normes. »

La finale de la Coupe d’Europe des Clubs Champions 1985, au stade du Heysel entre Liverpool et la Juventus, aurait pu être un autre grand moment. On sait ce qu’il en est advenu. Malgré cette tragédie humaine, le match a bel et bien lieu. Les Bianconeri s’imposent 1-0, sur un penalty qui n’aurait jamais dû être sifflé, converti par Platini. Celui-ci fête son but de manière exubérante. Platini déclarera après coup qu’il ignorait qu’il y avait eu des morts, mais Zbigniew Boniek, son coéquipier polonais, tiendra un autre discours, prétendant que tout le monde avait vu les cadavres évacués du stade.

Michel Platini au sommet de son art en 1985, sous le maillot de la Juventus (ici face à Liverpool).
Michel Platini au sommet de son art en 1985, sous le maillot de la Juventus (ici face à Liverpool).© BELGAIMAGE

Successeur de Blatter

Platini aime jouer les vierges effarouchées. Fin novembre 2010, lorsqu’il est invité à l’Élysée par le président Nicolas Sarkozy en tant que président de l’UEFA, il se déclare surpris par la présence du prince héritier du Qatar, Tamim Al Thani. À l’agenda du jour: l’attribution de la Coupe du monde 2022. Alors que le président de la FIFA, Sepp Blatter, a déjà conclu un accord avec à peu près tout le monde, y compris Platini, pour l’attribuer aux États-Unis, Sarkozy souhaiterait que Platini défende la candidature du Qatar et tente de convaincre le plus de collègues possible de voter pour le petit État du Golfe.

Blatter est furieux, à en croire les déclarations faites plus tard au Financial Times: « Une semaine avant l’attribution de la Coupe du monde, j’ai reçu un coup de fil de Platini. Il m’a dit: Je ne suis plus de ton côté, car le chef de l’État m’a demandé de tenir compte de la situation de la France. »

Cette volte-face de Platini détériore une relation née lors de la préparation de la Coupe du monde 1998 en France. Le président de l’époque, François Mitterrand, avait alors demandé à Platini de l’aider à organiser le tournoi, même si son rôle n’a jamais été précisé avec exactitude. C’est de cette manière que Platini rencontre Blatter, qui devient président de la FIFA en 1998 avec l’aide de l’icône du foot français. Aux côtés de Blatter, Platini se fait rapidement une place dans les salons du football mondial, ce qui débouche finalement sur sa nomination en tant que président de l’UEFA en 2007.

Sa plus grande réalisation comme patron de l’organisme qui gère le football européen est certainement l’introduction du fair-play financier, censé veiller à ce que les clubs de football ne dépensent pas plus d’argent qu’ils n’en gagnent. Un dossier qui lui tient réellement à coeur, contrairement à d’autres.

Platini a beaucoup d’idées, mais se montre aussi versatile. C’est ainsi que l’un de ses collaborateurs à l’UEFA démissionne, invoquant la raison suivante: « Si l’on fait la même proposition à des moments différents, on peut avoir des réactions complètement opposées d’un jour à l’autre. »

Même s’il est très critiqué, Platini compte beaucoup d’amis au sein des hautes instances du football. C’est la raison pour laquelle il est longtemps considéré comme le successeur tout désigné de Blatter. Mais son choix de voter pour le Qatar lors de l’attribution de la Coupe du monde 2022 lui sera fatal.

1,8 million d’euros

Lorsque l’organisation de la Coupe du monde 2022 est officiellement attribuée au Qatar, l’incrédulité est grande. Plus tard, une enquête du FBI révèle que plusieurs fonctionnaires de la FIFA ont été corrompus. Blatter, lui, tombe de son piédestal et est remplacé par Gianni Infantino.

En ce qui concerne Platini, on découvre en 2011 qu’il reçoit 1,8 million d’euros « d’arriérés de salaires » de la FIFA, une transaction approuvée par Blatter lui-même. Cette même année, le Français envisage de poser sa candidature pour devenir le président de la FIFA, mais finalement, il s’abstient. Simple hasard? Dans son interview récemment accordée à L’Équipe, l’ancien footballeur se veut serein: « Les gens peuvent penser ce qu’ils veulent, mais comme je n’ai rien à me reprocher, j’ai la conscience tranquille. Je suis incorruptible et je l’ai toujours été. »

Platini et Blatter sont tous les deux bannis du monde du foot. Aujourd’hui encore, le fils de l’immigré italien Aldo Platini prétend toujours avoir été victime d’une conspiration pour l’empêcher de succéder à Blatter. C’est du moins la version qu’il sert à l’envi. Celle d’une victime et d’un innocent.

Dans sa biographie « Entre nous », parue en 2019, il affirme encore ceci: « En regardant dans le rétroviseur de ma vie, je pourrais emprunter ce magnifique titre au journaliste écrivain Philippe Labro, inspiré d’un proverbe japonais: Tomber sept fois et se relever huit fois. Des coups, j’en ai reçu, bien plus souvent que j’en ai à mon tour rendu. J’ignore pourquoi, mais depuis mes plus jeunes années, j’ai souvent suscité la jalousie. Est-ce la conséquence de cette impression de facilité et de désinvolture que je dégage? C’est d’ailleurs, je peux l’avouer aujourd’hui, une posture que j’ai souvent cultivée à dessein. J’aime traverser la vie à la manière du ballon que je frappais sur coup franc: avec légèreté et bonheur. Certains peuvent, à tort, garder de moi l’image de ce numéro 10 aux yeux rieurs, qui jouait en marchant, presque en sifflotant. Ils ne mesurent pas tout le travail de forcené accompli durant de longues années à l’entraînement. Mais je n’ai jamais voulu fatiguer les gens en leur parlant de tous ces efforts et de tous ces sacrifices. À mes yeux, le foot a toujours été une fête. »

Une fête à laquelle Michel Platini n’est plus le bienvenu. Pour l’instant, du moins. Car on vient d’apprendre qu’il deviendrait le représentant français au conseil d’administration de la FIFPro, le syndicat international des joueurs. Le prochain chapitre du roman Platoche débute peut-être.

Michel Platini

Né le 21 juin 1955, à Joeuf (Fra)

Carrière

1972-1979 Nancy (Fra)

1979-1982 Saint-Étienne (Fra)

1982-1987 Juventus (Ita)

France: 72 sélections, 41 buts

Palmarès

1978: Coupe de France

1981: Championnat de France

1984: Championnat d’Italie, Coupe des Coupes, EURO

1985: Coupe des clubs champions, Coupe Intercontinentale

1986: Championnat d’Italie

Individuel

Ballon d’Or: 1983, 1984, 1985

Meilleur buteur de Serie A: 1983, 1984, 1985

Meilleur buteur de l’EURO 1984

Michel Platini et son ex-ami Sepp Blatter.
Michel Platini et son ex-ami Sepp Blatter.© BELGAIMAGE

Michel Platini à propos de…

… son absence à l’EURO 2020:

« J’avais l’intention d’assister à des matches, mais l’UEFA et les pays organisateurs ont apparemment oublié de m’inviter. »

… son idée de jouer à travers toute l’Europe

« Le président de l’UEFA ne représente pas uniquement des pays comme la France, l’Allemagne et l’Angleterre, mais 55 pays. En Roumanie et en Azerbaïdjan, on a construit de nouveaux stades. Pourquoi n’auraient-ils pas le droit d’organiser l’EURO? »

… sa relation avec l’actuel président de l’UEFA Aleksander Ceferin

« Elle est inexistante. Mais je peux le comprendre: il fait partie de cette classe politique qui n’a jamais joué au football et qui connaît aujourd’hui son moment de gloire. Lorsqu’ils se retrouvent aux côtés d’anciens joueurs comme moi, ils ne représentent plus rien. »

… la nouvelle formule de la Ligue des Champions

« C’est une folie incroyable. Ils vont encore rallonger la phase de groupes qui ennuie tout le monde. À l’UEFA, il y a longtemps que c’est devenu la philosophie de certains: toujours plus d’argent. La Ligue des Champions a été créée par Lennart Johansson. J’étais contre. J’estime que la Coupe d’Europe des clubs champions doit être jouée par des clubs qui ont décroché le titre dans leur pays, et uniquement par aller-retour. Cela reste la meilleure formule, mais si les clubs affirment qu’ils veulent plus de matches, et qu’ils ont besoin d’argent, il faut en tenir compte. Lorsque j’ai accédé à la présidence de l’UEFA, j’avais l’intention de favoriser les champions de certains pays au détriment des quatrièmes classés d’autres pays. »

… la Coupe du monde tous les deux ans

« C’était déjà l’idée de Sepp, pas la mienne. La Coupe du monde tous les quatre ans, ça fait partie de l’histoire du football. La valeur provient de la rareté. Contrairement à ce que pensent l’UEFA et la FIFA, le football ne leur appartient pas. »

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