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FC Huddeutschfield Town

Après 45 ans d’absence au plus haut niveau, le FC Huddersfield Town débarque en Premier League grâce aux… Allemands. Quoi qu’il arrive en fin de saison, le petit club n’aura pas perdu son temps.

Trois maillots géants pendent à la façade du superbe stade néo-classique de Huddersfield : ceux que les Terriers – le surnom des joueurs depuis 1969 – arboreront lors de cette saison en Premier League. Sur la majestueuse place King George, devant la petite gare qui date de 1845, une tente bleu et blanc a été dressée à côté d’une statue, grandeur nature, de l’ancien Premier ministre anglais Harold Wilson, natif de Huddersfield.

On peut y admirer une coupe, celle que le club a remportée lorsqu’il a battu Reading aux tirs au but, en finale des play-offs, pour l’accession à la Premier League. Le club n’avait terminé que 5e de la saison régulière. Cette promotion est un événement pour la région, mais il pleut des cordes et la place King George reste désespérément vide. Un homme approche et le responsable marketing du club lui demande s’il veut être pris en photo avec la coupe. Non, merci. Il veut simplement un peu d’argent, pour manger.

Un journaliste radio, qui travaille pour l’antenne régionale de la BBC, est présent pour recueillir des réactions. Mais les 39.000 supporters qui ont assisté au match historique à Wembley sont apparemment tous en vacances. Il se tourne donc vers son collègue belge. Comment évalue-t-il les chances de Huddersfield de se maintenir en Premier League ? Pense-t-il que la nouvelle recrue belge du club soit vraiment un renfort ? Après avoir éteint son enregistreur, il demande : « Comment s’appelle-t-il, déjà, ce nouveau joueur belge ? »

Il s’agit de Laurent Depoitre. Lorsqu’il a signé, le 24 juin, il était le transfert le plus onéreux de l’histoire du club : 3,5 millions de livres, soit environ 4 millions d’euros. Ce record n’a tenu que jusqu’au 5 juillet : les Terriers ont alors engagé Steve Mounié, un international du Bénin qui évoluait à Montpellier. Depoitre sait déjà ce qu’il lui reste à faire : livrer des prestations telles que les supporters apprennent rapidement à prononcer son nom.

Huddersfield est un lilliputien dans le paysage du football anglais mais est entouré de quelques clubs légendaires. Manchester et Sheffield sont à une demi-heure de route, Leeds et Bradford sont à moins de 30 kilomètres. C’est une ville universitaire de 163.000 habitants, qui accueille chaque année 32.000 étudiants, mais il n’y a ni aéroport, ni gare de grandes lignes, ni même de sortie d’autoroute. Si on veut s’y rendre en voiture, il faut parcourir 445 kilomètres depuis Folkestone où l’on débarque après avoir traversé la Manche. Si on prend le train à Londres, il faut compter un peu moins de trois heures en direction de Leeds, avec un changement à Wakefield.

Player of the Year 1999 : Nico Vaesen

Nico Vaesen lors de sa période à Huddersfield Town.
Nico Vaesen lors de sa période à Huddersfield Town.© BELGAIMAGE

Depuis la gare, on aperçoit le magnifique stade John Smith, d’une capacité de 24.000 places assises. Il est situé à 2 kilomètres et demi du centre-ville. Lorsqu’il a été inauguré en août 1994, c’était un site moderne multifonctionnel, avec une salle de fitness et une piscine qui étaient (et sont toujours) accessibles au grand public, un cinéma, un café et une pizzeria.

À l’entrée du stade, une photo grandeur nature de Laurent Depoitre est ornée d’un slogan : WearePremierLeague. C’est son maillot qui est le plus exposé dans le minuscule fan-shop, utilisé également par le club de rugby local, les Huddersfield Giants, l’autre locataire du stade. La saison dernière, les Giants évoluaient à domicile devant 5.000 spectateurs en moyenne.

Depuis 1994, en vertu du rapport Taylor, rédigé à la demande du gouvernement après les drames de Hillsborough et de Bradford, les clubs des deux plus hautes divisions ne peuvent plus vendre que des places assises. Si Huddersfield avait dû rénover son ancien stade, la capacité aurait été réduite à 8.000 places. Trop peu pour être viable à l’échelon professionnel.

À l’emplacement de l’ancien stade, pas bien loin du nouveau, un centre commercial moderne a été construit. Le nouveau stade a été financé grâce à la vente des terrains de l’ancien. Les autorités locales ont pris 40 % des frais à leur charge, Huddersfield Town également 40 % et le club de rugby 20 %. Ann Hough est la seule personne de la direction actuelle qui a encore vécu le déménagement.

Aujourd’hui, elle est l’une des cinq membres du BoardofDirectors. Huddersfield Town est resté un club familial, on s’en est aperçu lorsqu’une vieille connaissance est venue lui faire un petit coucou. Nico Vaesen, aujourd’hui agent de joueurs, a défendu les buts du club de 1998 à 2001 et a même été élu Joueur de l’Année de Huddersfield en 1999.

Un entraîneur des gardiens à mi-temps

Tom Ince, l'un des récents transferts de Huddersfield Town.
Tom Ince, l’un des récents transferts de Huddersfield Town.© BELGAIMAGE

Les retrouvailles sont chaleureuses. L’ancien gardien belge reçoit un gros bisou d’Ann, qui était la secrétaire du club à l’époque où il jouait encore : « Nico, comment vont les enfants ? » Elle lui fait visiter la tribune principale, qui est encore en chantier. L’éclairage doit être renforcé, une nouvelle tribune de presse doit être aménagée et une loge TV doit être construite sur les côtés, pour accueillir Gary Lineker et ses collègues. Les loges ont toutes trouvé preneurs et la vente d’abonnements a été interrompue lorsque le chiffre de 20.000 a été atteint. Le travail n’a pas manqué, mais il a été effectué avec le sourire, témoigne Ann. « L’année dernière a été une année de rêve ».

Ann travaillait dans un bureau de comptabilité lorsque son père, supporter de Huddersfield, a découvert dans la presse locale une petite annonce mentionnant que le club cherchait une secrétaire adjointe. Elle a été engagée et, depuis octobre 1993, elle a vécu les montées, les descentes et le conte de fées de la saison dernière. Mais elle estime qu’en soi, le club n’a pas beaucoup changé.

« Huddersfield n’était pas habitué à accueillir des footballeurs étrangers. Nico a été un des premiers. Héberger une famille étrangère, avec un bébé et un enfant en bas âge, a constitué un énorme défi. » Vaesen était sur une voie de garage à l’Eendracht Alost en 1998, lorsqu’il a été contacté par un agent de joueurs néerlandais, Piet Buter, qu’il ne connaissait ni d’Eve ni d’Adam.

Vaesen, 1m92, n’avait encore jamais entendu parler de Huddersfield, mais il a passé un test d’une semaine qui s’est avéré concluant. S’il avait eu dix centimètres de moins, Buter n’aurait même pas pris la peine de l’appeler : « En Angleterre, lorsqu’un club a l’intention d’acquérir un nouveau gardien, il ne demande pas s’il est bon, mais combien il mesure. Et cela n’a pas changé aujourd’hui. »

Huddersfield avait alors un entraîneur de gardiens à mi-temps, Eric Steele, qui entraînait également les gardiens de Derby County. A raison de deux jours par semaine dans les deux clubs. Par après, il est devenu l’entraîneur des gardiens d’Aston Villa, de Manchester City, de Manchester United et de l’équipe nationale anglaise.

« Après deux entraînements, il m’a dit : -C’est OK,tu m’as convaincu. Le scout Jeff Lee s’est encore déplacé à Alost pour m’observer dans le match des Réserves contre Saint-Trond, qui était aussi intéressé par mes services. Alost voulait surtout récupérer les six millions de francs belges qu’il avait payé au Cercle de Bruges pour mon transfert. Pour Huddersfield, cette somme ne constituait pas un obstacle. »

Bacon and eggs for breakfast

Laurent Depoitre va découvrir la Premier League avec Huddersfield Town.
Laurent Depoitre va découvrir la Premier League avec Huddersfield Town.© BELGAIMAGE

Nico Vaesen : « J’ai été accueilli très chaleureusement. Je me suis retrouvé dans un vestiaire composé uniquement de Britanniques, ils avaient un sens de l’humour très développé. Le président s’est chargé lui-même de me trouver une maison. Tout le monde s’est coupé en quatre pour me faciliter la vie. Un défenseur du noyau pesait 100 kilos et pouvait à peine courir, mais c’était le boute-en-train de l’équipe. Les nouveaux entraîneurs ont veillé à ce que les joueurs soient très affûtés.

Pendant le stage d’entraînement, nous allions courir une demi-journée, tous les jours. Puis, nous allions en salle de musculation, pour soulever des poids. Le matin, au petit déjeuner, les autres joueurs s’empiffraient de saucisses et de bacon and eggs, et ils me dévisageaient avec curiosité, en train d’avaler des fruits. Ce n’est qu’au bout de trois semaines que j’ai eu des entraînements spécifiques pour gardiens de but. »

« Mais, après neuf minutes dans ton premier match, tu t’es déjà fait exclure », se souvient Ann. « Je me suis dit : mon Dieu, quel gardien ont-ils acheté ? » Vaesen n’a pas oublié cette phase de jeu. C’était lors d’un déplacement à Bury : corner pour Huddersfield, ballon intercepté, contre-attaque, un homme qui se présente en face-à-face. « Je suis sorti de mes 16 mètres, le ballon contre mon épaule. L’arbitre a sifflé une faute de main et a sorti le carton rouge. J’en étais tout retourné, mais après le match, l’entraîneur m’a réconforté : -Ne t’en fais pas, tu te rattraperas !

Lors de la quatrième journée, on a disputé le match de l’année : le derby à domicile contre Bradford City. On menait 2-1 lorsque j’ai sorti un ballon de la lucarne à la dernière minute. On a gagné et tout le stade a scandé mon nom. » C’est cette année-là que Vaesen a été élu Player of the Year par les supporters. Un an plus tard, Huddersfield a passé le Nouvel An dans la peau du leader. À trois journées de la fin, un point suffisait pour atteindre les play-offs, mais l’équipe a accumulé trois défaites.

La troisième saison a été catastrophique. Lors de la dernière journée, Huddersfield pouvait se satisfaire d’un point à domicile contre Birmingham pour se maintenir, mais il s’est incliné et est descendu en troisième division. Steve Bruce, l’entraîneur de Birmingham qui coachait Huddersfield un an plus tôt, a attiré Vaesen pour 45 millions de francs belges, un peu plus d’un million d’euros. Notre compatriote était, à ce moment-là, le plus gros transfert sortant de Huddersfield.

Un an plus tard, avec Birmingham, il a remporté les play-offs en arrêtant deux tirs au but en finale, et a accédé à la Premier League. Malheureusement, alors qu’il était sur le point d’être appelé en équipe nationale, il s’est déchiré les ligaments croisés et a été remplacé par Francky Vandendriessche qui, le 29 mars 2003, en Croatie, disputera son seul match avec les Diables Rouges.

Révolution Wagner

David Wagner, le coach allemand à succès de Huddersfield Town.
David Wagner, le coach allemand à succès de Huddersfield Town.© BELGAIMAGE

Pendant ce temps, Ann Hough vit la descente en quatrième division avec Huddersfield. « À l’époque, nous n’avions que dix employés. Personne n’imaginait qu’un jour, le club serait promu en Premier League. » L’homme qui a réalisé ce miracle est un Allemand d’origine américaine. David Wagner, qui aura 46 ans en octobre, a joué huit matches internationaux pour les Etats-Unis, le pays de son père, et a remporté la Coupe de l’UEFA avec Schalke 04 et… Marc Wilmots en battant l’Inter Milan en finale, il y a très exactement 20 ans.

À l’automne 2015, alors qu’il entraînait l’équipe B de Dortmund en troisième division allemande, il a été tout surpris de recevoir un appel de Stuart Webber, le manager sportif de Huddersfield, qui lui a demandé s’il voulait devenir le premier entraîneur non britannique de l’histoire du club. Huddersfield est situé à une centaine de kilomètres de Liverpool, où officie son meilleur ami et ancien coéquipier de Mayence, Jurgen Klopp, dont il était le témoin de mariage.

Lorsque Wagner découvre les conditions de travail en Angleterre, c’est le choc. Rien n’a changé depuis l’époque de Vaesen. Les joueurs arrivent toujours au stade une heure et demie avant le match, ne surveillent aucunement leur alimentation et s’entraînent quatre fois par semaine, le matin. Ils se musclent dans une salle de fitness publique, au milieu de la population. Aujourd’hui, 40 personnes travaillent au centre d’entraînement, joueurs non compris. Ceux-ci disposent d’une salle de musculation qui leur est réservée, d’un diététicien, d’une équipe d’analystes vidéo, et ils doivent déjà être présents à l’hôtel à 10 heures, les jours de match.

Deux jours par semaine, il y a une double séance d’entraînement. C’est la révolution Wagner. L’entraîneur ne jure que par un pressing intensif et exige un engagement de tous les instants. La première année, Huddersfield a terminé neuvième. La saison dernière avait été entamée sans ambition démesurée car le club n’avait que le sixième budget sur les 24 équipes que comptait le D2. C’est en décembre qu’Ann Hough a eu, pour la première fois, le sentiment qu’un exploit était possible.

« Après un déplacement à Wolverhampton, nous nous sommes rendu compte que nous avions de réelles chances de monter. » Patrick Stewart, l’acteur de Star Trek qui est un supporter de Huddersfield, avait l’intention d’assister au dernier match contre le voisin de Sheffield Wedsnesday aux côtés d’Ann, mais il s’est désisté en dernière minute. « Au lieu de Stewart, c’est un sponsor important, que je ne connaissais pas, qui a pris place à mes côtés. J’étais tellement nerveuse que j’ai continuellement posé ma main sur sa jambe. »

Un club familial et anglais

Le John Smith's Stadium de Huddersfield Town.
Le John Smith’s Stadium de Huddersfield Town.© BELGAIMAGE

Le 28 mai, un des cinq joueurs allemands a propulsé les Terriers au paradis, sur la pelouse de Wembley. Un an plus tôt, le Christopher Schindler en question avait été acheté à Munich 1860, un club de D2 allemande, pour 2,5 millions d’euros : le transfert entrant le plus onéreux de Huddersfield. Un supporter a brandi un panneau sur lequel était écrit : « FC Huddeutschfield. »

Même si Huddersfield s’apprête à entrer dans un autre monde, c’est resté un club familial, affirme Ann Hough. Le mérite en revient au propriétaire, Dean Hoyles (50 ans), l’un des huit propriétaires anglais sur les 20 clubs de Premier League.  » Un homme de la région, qui supporte le club depuis 1969 et en est devenu propriétaire en 2009. Un homme plein d’humilité, qui passe presque inaperçu. C’est un self-made-man, qui a créé son entreprise de toutes pièces. Au départ, il n’avait qu’une camionnette. En 2010, un an après être devenu actionnaire majoritaire du club, il a revendu son business pour 300 millions de livres. »

Hoyles a commencé par vendre des cartes postales et ne possédait qu’une camionnette, qu’il a troquée plus tard contre un magasin. Celui-ci a fait des petits : en 2010, Hoyles était à la tête d’une chaîne de 500 boutiques. « Lors de son intronisation, il a promis de rembourser 100 livres aux abonnés de longue date en cas d’accession à la Premier League », explique Ann. « Et il a tenu parole. Donc, cet été, ma tâche principale a consisté à émettre des chèques de 100 livres. » Les 4.500 abonnés qui n’ont jamais résilié leur seasonticket depuis 2008 se frottent les mains.

« Dean veut que le stade ne soit pas réservé à quelques privilégiés. En avril, nous avons lancé une action permettant d’acheter un abonnement pour cette saison pour 199 livres, quelle que soit la division dans laquelle nous évoluions. En un mois, nous avons écoulé 17.000 sésames, alors que nous ne comptions que 8.000 supporters fidèles il y a quelques années. »

Le 19 juin, les 3.000 abonnements restants, pour arriver au quota fixé de 20.000, ont été vendus. Cette saison, Huddersfield est, après West Ham, le club de Premier League dont les abonnements sont les moins chers. Un supporter doit travailler 20 heures et 33 minutes pour se payer un abonnement. Le supporter de Liverpool, le club dont les abonnements sont les plus onéreux, doit travailler 48 heures et 12 minutes pour avoir accès à Anfield Road toute la saison.

Ann Hough est optimiste. Et on le serait à moins, quand on sait que le troisième montant perçoit 100 millions de livres pour une saison, grâce aux droits télés. En cas de relégation, il aura encore droit à un beau parachute. Bref : Huddersfield a touché le jackpot à la loterie du football anglais. « Quoi qu’il advienne, nous sommes déjà gagnants. Même si nous redescendons après une seule saison, nous n’aurons pas perdu notre temps. Et, avec un peu de chance, qui sait si nous ne parviendrons pas à prolonger l’aventure. Si Bournemouth a réussi, pourquoi ne le pourrions-nous pas ? »

Les belles années 20

Huddersfield Town a été fondé en 1908 et a vécu ses plus belles années dans lesRoaringTwenties, avec une victoire en FA Cup (1922) et trois titres de champion consécutifs (1924, 1925 et 1926), un exploit qui n’a été réalisé que par Arsenal, Liverpool et Man Utd depuis lors.

En 1952, Huddersfield est descendu pour la première fois, et en 1972 pour la dernière fois. En 2003-2004, il est remonté de Division Three (la quatrième division). La saison dernière, les Terriers ont terminé cinquièmes du Championship, la deuxième division, et ont évolué devant 20.342 spectateurs en moyenne.

Pour ses débuts en Premier League, Huddersfield se déplacera à Crystal Palace le 12 août, et recevra Newcastle le 19. La première visite d’un ténor (Tottenham) est prévue pour le 30 septembre, tandis que les voisins de Manchester United (à 35 kilomètres) seront accueillis le 21 octobre.

Lorsque NicoVaesen a signé en 1998, Huddersfield avait sous contrat – outre quelques joueurs sud-africains d’origine britannique – un Danois, un Maltais et un joueur de Grenade. Tous les autres joueurs étaient britanniques. Sur les 31 joueurs actuels recensés fin juillet, 18 étaient étrangers. Depoitre est le troisième Belge de l’histoire du club, après Vaesen et Michel Ngongé, qui est arrivé en mars 2000, mais n’est monté que quatre fois au jeu.

Par Geert Foutré, à Huddersfield

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