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Entretien avec Louis van Gaal: « Le coach est plus important que les joueurs »

Louis van Gaal a annoncé naguère qu’il prenait sa retraite. Il évoque le FC Barcelone, la montée en puissance de l’Ajax et le renouveau de l’équipe hollandaise.

Louis van Gaal nous donne rendez-vous à Noordwijk, le village des bords de mer où il habite. Il nous fait savoir par e-mail qu’il nous attend à midi PRÉCISE (c’est écrit en lettres capitales). A 11h45, il nous ouvre la porte avec une bouteille de vin italien sous le bras. Pour un homme de son âge (67 ans), il a l’air en pleine forme. Il regarde sa montre, approuve et nous salue avec un peu de distance. L’ambiance se détendra au fil de l’entretien.

Qu’allez-vous faire maintenant que vous êtes retraité ?

Louis van Gaal : Je passe ma vie entre les Pays-Bas et le Portugal. A vrai dire, je vis surtout au Portugal. Le climat, les gens, la nourriture et le vin y sont formidables. La différence entre le Portugal et les Pays-Bas, c’est que quand je suis ici, j’ai davantage de travail. Parce que beaucoup de gens veulent me parler, comme vous.

Quel regard jetez-vous désormais sur le football ?

Van Gaal : Je ne suis plus tout cela avec autant d’attention qu’avant, quand je devais analyser des adversaires et des systèmes de jeu. Je regarde surtout pour le plaisir. Je choisis les matches qui me plaisent. Quand on est entraîneur, on doit parfois se taper des matches très ennuyeux. Désormais, je suis plus sélectif.

Quels matches regardez-vous surtout ?

Van Gaal : Les rencontres de Premier League, de Bundesliga ou de Liga espagnole. Parfois, je me contente juste du résultat sur mon smartphone.

Vous ressentez le besoin d’être en contact direct avec le football ?

Van Gaal : Je ne vis pas seul, hein. Je suis marié, j’ai des enfants et des petits-enfants. Ça fait déjà vingt ans que je dis à ma femme que je vais arrêter. A présent, je suis pensionné et j’en profite.

 » Les pays-bas restent un petit pays de football  »

Aux Pays-Bas, ces jours-ci, on ne parle que de l’Ajax. Peut-on comparer l’équipe actuelle avec celle qui a remporté la Ligue des Champions sous votre direction, en 1995 ?

Van Gaal : En octobre de l’an dernier, avant le match Ajax-Bayern en phase de poules, j’ai déclaré dans une interview que l’Ajax actuel était presque aussi fort que celui de 1995. On s’est moqué de moi. Aujourd’hui, les gens voient que j’avais raison.

L’Ajax peut-il remporter la Ligue des Champions ?

Van Gaal : J’y crois. Mais Matthijs de Ligt et Frenkie de Jong sont encore un peu jeunes. Et s’ils partent, l’Ajax devra repartir de zéro. C’est ça, le problème. Comparativement à l’Espagne ou à l’Allemagne, Les Pays-Bas restent un petit pays de football. Ça complique les choses.

L’arrêt Bosman n’a-t-il pas tout changé ? Surtout aux Pays-Bas, où on accorde beaucoup d’importance à la formation ?

Van Gaal : L’arrêt Bosman a changé énormément de choses, c’est sûr. Finidi George, Nwankwo Kanu, Clarence Seedorf, … ils sont tous partis. Là aussi, il a fallu recommencer de zéro. Malgré cela, en 1996, nous avons de nouveau atteint la finale (défaite de l’Ajax aux tirs au but face à la Juventus, ndlr). Ce n’est pas impossible, il n’y a pas d’excuses !

Vous êtes optimiste. Cet optimisme se retrouve-t-il dans le jeu des clubs néerlandais ?

Van Gaal : Dans le cas de l’Ajax, oui. Mais l’équipe nationale pourrait jouer plus offensivement.  »

Football offensif ou défensif, c’est l’éternel débat.

Van Gaal : Le FC Barcelone, l’Ajax, Manchester City… Tous ces clubs jouent offensivement. Liverpool moins. L’équipe nationale hollandaise aussi. Mais elle obtient de bons résultats.

 » Le PSG n’est pas une équipe  »

Pensez-vous que l’avenir du football soit plutôt défensif ?

Van Gaal : J’ai toujours prôné le football offensif. C’est le plus difficile. Jouer défensivement, garer l’autobus, c’est facile. Je ne veux pas gagner comme ça. Quand les deux équipes mettent le bus devant le but, c’est monotone.

Comment forme-t-on une équipe qui gagne offensivement ?

Van Gaal : La façon la plus difficile d’être champion, c’est de jouer offensivement. Mais quand on y arrive… (il ouvre ses bras, ferme les yeux et respire profondément. Il cherche ses mots, ndlr). C’est la plus grande satisfaction au monde.

Quel entraîneur joue encore comme cela actuellement ?

Van Gaal : Il n’y en a plus qu’un : Pep Guardiola. Ernesto Valverde essaye mais pas comme Guardiola. Pareil pour Jürgen Klopp. Mais ça ne veut rien dire car City n’a pas encore remporté la Ligue des Champions.

Mais est-ce une question de joueurs ou d’entraîneur ?

Van Gaal : J’estime que l’entraîneur est plus important que les joueurs. Il met en place le processus mais il a besoin des joueurs pour l’exécuter. Evidemment, ceux-ci doivent être de bon niveau mais c’est à l’entraîneur de faire grandir l’équipe.

Vous êtes convaincant.

Van Gaal : On ne peut pas remporter la Ligue des Champions avec un mauvais entraîneur mais pas avec de mauvais joueurs non plus. Le tout est de former une équipe, c’est le team building. Dans toutes les équipes championnes, on retrouve de grandes individualités au service d’un tout. Le PSG a des joueurs formidables comme Neymar et Cavani mais ce n’est pas une équipe. Et le responsable, c’est l’entraîneur.

 » Le Barça fera toujours partie de ma vie  »

Que pensez-vous du FC Barcelone ? Est-il complètement différent de celui que vous avez connu ou vous y retrouvez-vous encore ?

Van Gaal : Ce club fera toujours partie de ma vie. C’était mon premier club à l’étranger. Une belle époque. Avec des gens formidables. C’est là que j’ai appris à boire du vin.

Quand Andrés Iniesta et Xavi parlent de vous, c’est toujours avec des louanges. C’est vous qui les avez lancés. Vous êtes fier de ce qu’ils disent de vous ?

Van Gaal : Bien sûr ! L’avis des joueurs est ce qui compte le plus pour un entraîneur. J’ai toujours voulu être en bons termes avec mes joueurs. Xavi et Iniesta sont restés très longtemps à Barcelone, c’étaient les leaders. Peut-être pas tellement par leur personnalité mais c’étaient des exemples. Et ça, j’en suis fier.

Vous en avez même les larmes aux yeux.

Van Gaal : Bien sûr ! Carles Puyol a longtemps été capitaine du Barça. Lorsque j’y suis devenu entraîneur, c’était un ailier. J’en ai fait un arrière latéral puis un défenseur central. Mais le plus important, c’est que Puyol était une très bonne personne. C’est pour cela qu’il est devenu capitaine. J’ai toujours suivi Barcelone, d’autant que de nombreux joueurs de mon époque y sont encore.

Vous pensez que Xavi entraînera un jour Barcelone ?

Van Gaal : J’ai toujours pensé que les joueurs qui ont évolué en 4 ou en 6 feraient de bons entraîneurs. Surtout les 4 de Barcelone : Guardiola, Xavi… J’étais aussi un 4 ! A cette place, on lit très bien le jeu. C’est le cas de Xavi et Iniesta. Quand ils ont le ballon, ils savent où l’espace se trouve. C’est un grand avantage. Guardiola était pareil.

 » J’aimais bien Pep parce qu’il ne parlait que de foot  »

Vous étiez convaincu que Guardiola serait un bon entraîneur…

Van Gaal : Quand je suis arrivé, j’étais encore un jeune entraîneur ( 46 ans, ndlr) et j’avais ma philosophie de jeu. C’est pour cela que le président Josep Lluís Núñez me voulait. A l’époque, en principe, les capitaines de l’équipe étaient les anciens, ceux qui étaient là depuis longtemps. Il y avait Guillermo Amor, Miguel Angel Nadal, … Guardiola, lui, n’était pas un vétéran mais après six semaines, j’en ai fait mon capitaine.

En compagnie de Memphis Depay.
En compagnie de Memphis Depay.© belgaimage

Pourquoi ?

Van Gaal : Pour son attitude à l’entraînement et suite aux discussions que j’avais eues avec les joueurs. J’aimais bien Pep parce qu’il ne parlait que de football. Et de tactique ! A l’entraînement, par exemple, il venait me dire : ‘ Míster, míster, Figo et Stoichkov doivent rester collés à la ligne pour que je puisse distribuer le jeu les yeux fermés.’ Il criait sans cesse. Maintenant qu’il est entraîneur, il fait pareil. Il vit le match.

Lorsque vous entraîniez Barcelone, on disait de vous que vous étiez arrogant. Maintenant, vous êtes très différent…

Van Gaal : Je peux comprendre. Mais vous devez savoir que je n’ai pas changé. En rien ! Je suis le même Louis van Gaal qu’avant.

En conférence de presse, vous pouviez être très dur…

Van Gaal : Je peux comprendre que la presse ait créé une certaine image de moi. Mais vous devez savoir que les médias n’étaient pas toujours contents de moi, que je devais me battre, défendre ma philosophie. Mais avec mon staff technique, la direction et le président, j’étais toujours aimable et poli.

 » Beaucoup n’ont pas les couilles pour lancer des jeunes  »

Dans de nombreux clubs, vous avez lancé des jeunes qui sont devenus des stars mondiales. Quelles caractéristiques un entraîneur doit-il avoir pour leur faire confiance ?

Van Gaal : ( il rit et réfléchit) Je suis comme ça, je crois aux jeunes. De nombreuses personnes affirment que les équipes expérimentées sont meilleures. Je ne suis pas d’accord ! Je pense que les jeunes inspirent les autres. Dans le vestiaire, il faut un mélange. C’est pour cela que j’accorde une chance aux jeunes.

Mais vous savez que ce n’est pas évident.

Van Gaal : Oui ! Beaucoup d’entraîneurs n’ont pas les couilles de le faire. Mais écoutez : on n’est jamais trop jeune pour jouer. Never too young. En 1995, nous avons remporté la Ligue des Champions avec des joueurs de dix-sept et dix-huit ans.

Que dites-vous à un jeune que vous lancez ? Avez-vous une formule toute faite ?

Van Gaal : Le plus important, c’est qu’ils voient que j’ai confiance en eux et pas seulement dans les plus âgés. Dans le vestiaire, je les traite comme les autres. Je sais que c’est peut-être difficile pour certains joueurs. Mais les jeunes doivent savoir que, s’ils apportent la même chose qu’un joueur plus âgé, ils auront les mêmes responsabilités au sein de l’équipe.

Ronald Koeman dirige l’équipe nationale. Et beaucoup d’anciens joueurs entraînent des clubs d’ Eredivisie : Mark van Bommel, Jaap Stam, … Pensez-vous que les anciens joueurs sont des coaches plus compétents ?

Louis van Gaal : Non. Pour être entraîneur, il faut d’abord une formation. Il faut savoir parler à un groupe et avoir une tactique. Un joueur peut être doué tactiquement mais la plupart d’entre eux ne savent pas ce que c’est. Pep Guardiola et Ronald Koeman ont toujours pensé de façon collective. Quand un joueur n’a pas cela, il doit l’acquérir avant de devenir entraîneur. Il faut aussi de la personnalité parce qu’on doit penser à l’ensemble.

Louis van Gaal :
Louis van Gaal :  » On ne peut pas remporter la Ligue des Champions avec un mauvais entraîneur mais pas avec de mauvais joueurs non plus. « © belgaimage

 » L’équipe actuelle des pays-bas me plaît « 

Les Pays-Bas ont manqué l’EURO 2016 et la Coupe du monde 2018. On dirait que la nouvelle génération est en train de faire changer les choses.

Louis van Gaal : Je crois aux jeunes, c’est pourquoi cette équipe des Pays-Bas me plaît. J’ai lancé Clarence Seedorf à l’Ajax alors qu’il avait seize ans. Un entraîneur doit analyser un joueur et voir ce qu’il peut apporter à l’équipe. S’il peut apporter quelque chose, il faut le titulariser ! C’est ce que Ronald Koeman fait avec l’équipe néerlandaise actuelle. Et les résultats sont là.

Que pensez-vous de la crise que l’équipe nationale a traversée ?

Van Gaal : Un sélectionneur doit gérer le niveau de ses joueurs mais il ne peut travailler avec eux que sept à huit fois par an. La génération des Pays-Bas avait 36 ans et ne pouvait plus lutter. Il était temps de reconstruire. Cela a pris du temps parce que, il y a quelques années, des joueurs comme Matthijs de Ligt, Memphis Depay et Frenkie de Jong étaient trop jeunes pour relever le défi. Aujourd’hui, le sélectionneur peut s’estimer heureux d’avoir des joueurs pareils.

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