Don Dio Diego

Une chronique de Fred Waseige.

Une semaine déjà. Que vous avez tout lu, tout vu, tout entendu sur Dio Diego. Je le sais. Tellement que je me dis que vous en avez assez. Tellement que j’essaye de trouver un autre sujet, mais comment parler foot sans parler du plus grand. Depuis mercredi dernier, le monde du foot me parait dérisoire. Tous les souvenirs, émois, jubilations, déceptions, humiliations: eh bien Diego a fait mieux. Tous les footballeurs du monde prennent un coup de banalité. Ils redeviennent de simples joueurs, de simples hommes. Maradona était plus que cela. Un artiste, un inventeur, un meneur de révolution, un fucker de la vie. Diego était la vérité. La sienne. Celle du moment. Celle qui change souvent. Celle qu’on n’aime pas tous le temps.

Tous les footballeurs du monde prennent un coup de banalité. Ils redeviennent de simples joueurs, de simples hommes.

Sa vraie liberté, c’est de n’avoir jamais rien caché. Il ne rendait de comptes ni à lui ni aux autres. Les autres, et maintenant la vie, lui ont réglé son compte. Un compte qu’il savait bon depuis longtemps. Il y a quinze ans, il déclarait: « J’ai 45 ans et je suis toujours en vie. » Comme un étonnement. Il avait déjà décidé que sa mort serait lente. Un calvaire jouissif. Pousser les excès jusqu’à l’issue finale. Toujours l’obsession du but. Le dernier, sa mort. Pour parvenir jusqu’à ce but, il a fait comme avant. Dribbler ses adversaires. Plus les mêmes. Des biens pires que sur les terrains. Son chemin de croix a continué de m’émerveiller. Continué d’étaler le sublime enrobé parfois de minable. Le mal qu’il se faisait ne regardait que lui.

Les vérités qu’il pouvait se permettre de hurler devenaient nôtres. Il était prisonnier de ses addictions, mais toujours libre dans sa tête. Libre de dénoncer les addictions des autres. Quasi toujours des « puissants ». Les mensonges, les magouilles, l’indécence, la dépendance à l’argent. Il n’avait peur de rien. Même pas du « Parrain » du foot: « Sous Sepp Blatter, la FIFA est devenue une honte et une douloureuse gêne pour nous autres qui aimons le football. Ceux qui continuent à le soutenir l’admirent comme un vieux chef de la Mafia qui aurait échappé à la prison. » Tout le monde savait, il le disait. L’avenir lui a évidemment donné raison. Un avenir qui nous propose ce qu’il savait mieux que personne, rien n’a changé. À travers la FIFA, c’est le monde qu’il décrit. Ce monde obnubilé par l’intérêt. Des ronds de cuir obnubilés par eux-mêmes. Qui n’ont rien à voir avec le cuir céleste que Diego a sublimé de son talent. Une autre époque. D’ailleurs, les ballons sont synthétiques maintenant. Plus une matière animale. Venant du vivant. Tout un symbole.

Diego était un artiste. Quelqu’un qui crée ce qui, dans la seconde d’avant, n’existait pas. Les plus brillants ont inventé de nouvelles réalités. Les leurs, pas celles des autres. Diego l’a fait dans la vie comme sur les terrains. C’était un génie comme Mozart. Sauf qu’en musique, une fois la partition écrite, elle n’est plus qu’interprétée. Maradona, lui, faisait de chacun de ses matches une nouvelle partition, que lui seul pouvait jouer. Ses pieds étaient des pinceaux. Sa toile était verte. Il y dessinait façon Léonard de Vinci. Hors des terrains, cela ressemblait plus à du Francis Bacon. De la lumière à l’ombre. Toujours fascinant.

Son chef-d’oeuvre restera à jamais ce match face à l’Angleterre. Cet ennemi de l’Argentine. Dont les soldats étaient armés de fusils contre des Argentins armés de pierres. Il avait des mains à la place des pieds. Leur planter un but de la main, tu comprends bien, ça ne lui a posé aucun problème. Mais le plus sublime, c’est que quatre minutes plus tard, il remet le football au-dessus de tout. Juste une mise au point que seul un génie peut s’offrir. Balle aux pieds, il humilie toute une équipe. Après avoir enfreint la loi, il impose la sienne, tout en respectant celle des autres. Des autres qui n’ont que leurs yeux pour s’émerveiller. Et maintenant pleurer un Dieu tellement humain.

Il y a quelques années, il a failli mourir d’un excès de consommation de pizzas et de champagne. Aussi pathétique que révélateur. La diagonale d’un fou génial. Deux mondes qu’il a unifiés dans la dévotion universelle. Donnons-lui une dernière fois la parole: « Entrer dans le rectangle et ne pas marquer, c’est comme danser avec sa soeur ». L’excès dans toute sa splendeur.

Finalement, évoquer Diego Maradona avec une semaine de retard est bien peu de chose par rapport à son éternité. D’ailleurs, moi, dorénavant, je fêterai l’Ascension. Tous les 25 novembre.

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