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De Zizou à Coach Zidane: les secrets d’un entraîneur à succès

Guillaume Gautier
Guillaume Gautier Journaliste

C’est l’histoire d’un numéro 10 français qui est devenu un coach à l’italienne. Une trajectoire atypique et riche en trophées qu’on vous propose de remonter jusqu’aux racines.

La chronologie est floue. Impossible, donc, de dater avec précision le jour où Zinédine Zidane a décidé que son futur se dessinerait sur un banc de touche. Nous sommes, en tout cas, après le mois de juin 2009, date à laquelle le Français fait son retour au Real Madrid pour y endosser le costume pompeux mais indéfini de « conseiller du président ». Quand les étoiles de la Casa Blanca se produisent sur la pelouse du Bernabeú, Zizou est donc dans les gradins. Et il s’aperçoit, progressivement, qu’il aimerait être quelques mètres plus bas: « À un moment, je me suis rendu compte qu’être directeur d’une équipe, c’était bien, mais que ce n’était pas à terme ce que je voulais faire », confie l’ancien Ballon d’or à Canal +. « J’ai pris la décision de me tourner vers le terrain et le métier d’entraîneur. »

Il pourrait sans doute séduire un club rien qu’avec son regard, aussi puissant que son palmarès. Mais Zidane décide de faire les choses dans l’ordre, posément. Il s’inscrit aux cours d’entraîneur de la Fédération Française de Football. « Pourquoi il passe ses concours? Parce qu’il veut réussir par le travail, pas par le fait qu’il s’appelle Zidane », explique son frère Farid.

En lui, il y a surtout du Capello, du Ancelotti, du Lippi.

Guy Lacombe

L’homme le plus adulé de l’Hexagone veut être un apprenti comme les autres. Philippe Lambert, son formateur à la FFF, se rappelle d’un élève qui a rapidement balayé son passé devant ses professeurs: « Très vite, il nous a dit: ‘Attendez, je ne connais rien du métier’. On a senti chez lui ce besoin de se former, d’échanger. » Au fil des séminaires, qui amènent les membres de sa promo à rencontrer plusieurs entraîneurs de renommée, comme Marcelo Bielsa ou Christian Gourcuff, Zidane se pose en élève curieux. Philippe Lambert résume: « On a senti qu’il prenait les pièces du puzzle qui l’intéressaient. »

LES PIÈCES DU PUZZLE

Comme un enfant qui commencerait un puzzle sans savoir à quoi ressemblera le dessin final, Zinédine récolte des pièces, met dans sa poche celles qui l’intéressent et en écarte d’autres. « Il va prendre ce qui lui convient de chaque entraîneur qu’il a côtoyé », affirme Aimé Jacquet. En jetant un coup d’oeil dans le rétroviseur pour le site de la FIFA, Guy Lacombe, qui a connu à Cannes celui qu’il appelle toujours « Yazid », ne s’inclut que modestement dans le pedigree du nouveau coach à la mode: « En lui, il y a surtout du Capello, du Ancelotti, du Lippi. »

Zidane a compris que le Real n’était pas fait pour le spectacle, et il l’a transformé en une équipe compétitive.

Fabio Capello

Zinédine Zidane n’a jamais travaillé sous les ordres de Fabio Capello. Mais l’énumération de Lacombe esquisse le portrait d’un coach algérien d’origine, français de passeport, mais surtout italien d’adoption. « Tactiquement, Zidane a su équilibrer son équipe. Il a apporté un peu de style italien sur le terrain », lance Capello dans la presse madrilène. Pour le Corriere dello Sport, le Professeur poursuit son raisonnement: « Zidane a compris que le Real n’était pas fait pour le spectacle, et il l’a transformé en une équipe compétitive. » À l’italienne.

MORCEAUX D’ITALIE

Au bout de l’EURO 96, quitté en demi-finales, Zinédine quitte Bordeaux et sa France natale pour rejoindre l’Italie. La traversée des Alpes ressemble à un passage à l’âge adulte, pour celui qui devient une véritable bête de compétition quand il commence à s’habiller en blanc et noir les jours de match. À la Juventus, la victoire est plus qu’une obligation: c’est une routine. Dans l’équipe de Marcello Lippi, Zizou s’installe devant Didier Deschamps et Antonio Conte, tous deux devenus des gagneurs invétérés sur les bancs de touche.

En Italie, chaque entraînement, c’était une trentaine de minutes de jeu sans ballon.

Zinédine Zidane

Lippi apprend à sa nouvelle star une autre facette du métier de joueur, racontée par Zidane lui-même lors d’un entretien accordé à So Foot: « En Italie, c’était nettement plus tactique. Chaque entraînement, c’était une trentaine de minutes de jeu sans ballon. Uniquement du travail de positionnement. » Le genre de séance qui n’éveille normalement pas l’attention des artistes. Et pourtant, Lippi se souvient d’un joueur qui « avait soif d’apprendre. Il connaissait parfaitement la façon dont l’équipe était organisée. » Il faut dire que Zizou réalise rapidement que le travail paie: « Souvent, on gagnait des matches grâce à notre supériorité tactique. »

C’est sans doute dans le cerveau de Lippi que le Français puise l’une de ses forces principales, cette façon de faire déjouer toutes les équipes qui se dressent sur la route du succès de son Real. Les points forts de l’adversaire semblent toujours disparaître quand ils croisent la route de Zinédine Zidane. Qui, là encore, se rappelle de Lippi: « Je me souviens d’une demi-finale de Ligue des Champions contre l’Ajax. Devant, ils avaient un joueur qui allait à deux mille à l’heure, Tijjani Badibanga, un Nigérian. Eh bien toute la semaine qui a précédé le match, on a travaillé des phases pour que deux joueurs, chez nous, coupent les courses de ce gars. Le premier devait aller au contact, et le deuxième devait être en deuxième rideau à dix mètres derrière, pas plus. C’était très précis. Et ça a marché. On a éteint le mec, et on a gagné. »

L’ÉLOGE DE LA SUEUR

L’histoire est paradoxale, mais le volume des poumons a toujours beaucoup compté dans le jeu de Zidane. Dans la Botte, l’artiste a changé sa vision du football, en y associant la notion de souffrance. « Six mois avant la Coupe du monde 2006, j’ai commencé un régime d’ascète », se rappelle encore celui qui a fait une croix sur le Coca et s’est systématiquement mis au lit à 21h30 pour régner sur le dernier grand rendez-vous de sa carrière. Zizou a senti la supériorité le quitter quand son souffle l’a trahi, lors de ses dernières années madrilènes. Pas étonnant, dès lors, que « travail » et « souffrance » soient les mots-clés du refrain de ses conférences de presse devant les journalistes de la capitale espagnole.

Ils courent parce qu’il faisait ça quand il jouait à la Juventus.

Rafael Benitez

« Nous avons beaucoup souffert, mais j’ai toujours dit qu’on arrivait à la victoire avec de la souffrance », confie Zidane dans les couloirs du stade Giuseppe Meazza, quelques minutes après une Ligue des Champions remportée aux tirs au but face à l’Atlético de Diego Simeone. Dès ses premiers mots en tant que coach de la Casa Blanca, cinq mois plus tôt, Zidane avait annoncé la couleur: « Si on travaille, c’est impossible que les choses se passent mal. »

« Ils courent parce qu’il faisait ça quand il jouait à la Juventus », résumait Rafa Benitez dans la presse espagnole, quelques jours après avoir dû céder le banc madrilène à la légende du Bernabeú. Zidane se souvient des bienfaits de son passé italien, et les transmet à ses joueurs, convaincus parce que convertis, comme s’ils écoutaient les conseils d’un prophète. Jorge Valdano, ancien directeur sportif à la Maison Blanche, prononce son diagnostic: « Depuis son passé de joueur de la Juve, Zidane sait que le football, c’est d’abord de la sueur. »

L’ÉCOLE MADRILÈNE

Sa récolte italienne étant terminée, Zinédine va chercher d’autres pièces pour son puzzle en Espagne. Zizou atterrit à Madrid en 2001, en plein milieu d’une ère galactique qui a vu Florentino Perez attirer Luis Figo dans la capitale un an plus tôt, et qui accueillera ensuite Ronaldo, David Beckham, Michael Owen puis Robinho lors des quatre étés suivants.

Habitué à vivre dans une équipe taillée autour de lui à Turin, le Français est confronté à une réalité bien différente dans la Maison Blanche. Impossible de lui offrir le poste derrière l’attaquant, puisque Raúl et Fernando Morientes se partagent déjà le secteur offensif axial. La solution pourrait venir d’un système en losange, comme dans cette équipe de France qui a remporté la Coupe du monde trois ans plus tôt, voire d’un 3-5-2.

L’empilage de stars du Real de Vicente Del Bosque exile Zidane à gauche, et crée un numéro 10 à l’esprit différent de ce que tout le football avait connu avant.

Impossible, pourtant, d’envisager un module qui n’offre pas un rôle exclusivement offensif sur le flanc droit à Luis Figo, élu Ballon d’or à la fin de l’année 2000. Zidane est exilé sur le côté gauche. Il y apprend la règle du Real Madrid, un milieu aristocrate où tout le monde ne peut pas jouer à son meilleur poste, parce que l’addition des talents ne doit pas nuire à la somme finale.

« On n’a jamais vu un numéro 10 à gauche », se souvient Zizou. « Mais au Real, j’ai quand même dû m’y plier, pour ne pas nuire à l’équilibre de l’équipe. » Autorisé à rentrer dans le jeu pour s’exprimer comme milieu offensif axial en possession de balle, et ainsi libérer le couloir pour les déboulés de Roberto Carlos, Zidane occupe un rôle éminemment tactique, parce qu’il doit sans cesse réfléchir à sa position en fonction de l’équilibre collectif. Vicente Del Bosque et son 4-4-2 asymétrique l’obligent à penser en « nous », et créent un numéro 10 à l’esprit différent de ce que tout le football avait connu avant. Maradona n’a jamais dû réfléchir de la sorte, et n’est jamais devenu un grand entraîneur.

Aujourd’hui, il n’y a pas beaucoup de différences entre les entraîneurs. La différence principale, c’est le management des hommes.

Zinédine Zidane

Dans ces phases de transition, où le Real peut sembler si vulnérable, Zidane constate aussi l’importance du rôle occupé par Claude Makelele, placé seul devant la défense madrilène. C’est surtout après le départ de son compatriote que Zinédine remarque que le profil de Maké était indispensable au maintien de l’équilibre d’une équipe qui compile autant de joueurs à vocation offensive sur le rectangle vert. Aujourd’hui pion indispensable de l’échiquier du Bernabeú, Casemiro aurait-il connu la même réussite si, en 2003, le Real avait accepté de revaloriser le contrat de Makelele, l’empêchant de rejoindre Chelsea et d’ainsi laisser Madrid orpheline de son équilibriste?

LA MÉTHODE ANCELOTTI

« Plus les séances de théorie sont brèves et concises, mieux c’est. Sinon, le joueur en sort endormi », répète également Del Bosque, qui offre là une autre pièce du puzzle zidanesque. « J’essaie de ne pas étouffer Luka avec beaucoup de consignes. Il sait ce qu’il doit faire sur le terrain », explique ainsi Zidane au sujet de Modric, auquel Benitez avait conseillé d’utiliser moins souvent l’extérieur de son pied. La suite de la formation de coach Zizou s’écrit alors en-dehors du terrain.

Devenu l’homme de confiance de Florentino Perez, conseillant notamment son président sur le recrutement de Raphaël Varane, Zinédine veut étoffer ses connaissances et s’inscrit à l’Université de Limoges, pour y décrocher le diplôme de manager général de club sportif. Il en sort avec les félicitations du jury, mais surtout avec un enseignement majeur: « Aujourd’hui, il n’y a pas beaucoup de différences entre les entraîneurs. La différence principale, c’est le management des hommes. »

Avec lui, chaque détail est analysé, disséqué, contemplé avec le plus grand sérieux.

Carlo Ancelotti

Comme s’il voulait étudier le phénomène de plus près, Zidane quitte son rôle dans les bureaux pour se fondre dans le costume discret de deuxième adjoint de Carlo Ancelotti. Un homme qui vient d’écrire un ouvrage en collaboration avec Chris Brady et Mike Forde, deux consultants en management pour entreprises. Le sous-titre: « L’homme qui murmurait à l’oreille des stars ». Si l’Université de Limoges avait voulu imposer à son élève une séance de travaux pratiques, elle n’aurait sans doute pas choisi meilleur lieu de stage.

LA DERNIÈRE PIÈCE

Zidane complète son puzzle avec une pièce tactique qu’on lui confisque souvent, quand on affirme qu’il gagne uniquement parce qu’il a l’un des meilleurs noyaux de l’histoire du jeu à sa disposition. Sous Ancelotti, c’est lui qui s’occupe des analyses de l’adversaire. « Avec lui, chaque détail est analysé, disséqué, contemplé avec le plus grand sérieux », explique alors le coach italien, qui reconnaît en son adjoint la minutie analytique de l’école italienne.

Zizou savait, quand il était joueur, que les séances de Carlo étaient divertissantes. Il a donc employé des méthodes similaires.

Cristiano Ronaldo

Quand il affronte la Juve pour sa deuxième finale de Ligue des Champions, Zizou offre démonstration de micro-tactique à ciel ouvert. D’abord, à la mi-temps, il inverse les positions d’Isco et de Toni Kroos, qu’il envoie au pressing sur Miralem Pjanic, lequel disparaît du match et prive la Juve d’un ballon qui lui permettait de respirer face aux assauts madrilènes. Ensuite, la parole passe à Luka Modric: « Zidane et le staff ont détecté une faille dans la défense italienne, et nous avons préparé la rencontre en fonction de celle-ci. Nous avons travaillé les passes en retrait. Après avoir analysé les deux matches de la Juve face au FC Barcelone, ils ont constaté leur énorme capacité à recouper les centres dans la surface, mais aussi qu’ils laissaient de grands espaces en zone de tir. C’est ce que nous avons travaillé, et trois de nos quatre buts en finale sont arrivés de la sorte. Ce détail a finalement été la clé du match. »

Zidane l’entraîneur ne révolutionne certainement pas le jeu. Même pas les méthodes. « Quand Zizou nous a rejoints, l’entraînement ressemblait beaucoup à ce que nous faisions avec Carlo », racontait Cristiano Ronaldo. « Zizou savait, lorsqu’il était joueur, que les sessions de Carlo étaient gratifiantes et divertissantes. Il a donc employé des méthodes similaires. »

Les pièces sont rassemblées, et le puzzle semble terminé. Maintenant, on peut voir ce qu’il représente. Zidane en costume, Madrid en fête, et un trophée brandi sur la Plaza de Cibeles.

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