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Comment Mancini a fait de la Squadra l’Italia FC

En trois ans, Roberto Mancini a construit une équipe qui joue bien, gagne et qui séduit non seulement les Italiens, mais aussi les vrais amateurs de foot. Une équipe qui, en plus, est promise à un magnifique avenir.

C’est une vidéo qui montre la force de cette équipe italienne, rassemblée dans le bus durant cet EURO 2020. Les joueurs chantent tous en choeur una canzone d’Eros Ramazzotti : « Piu bella cosa non c’è. » « Il n’y a rien de plus beau. » Une chanson qui sied particulièrement au moment que les joueurs de la Nazionale sont en train de vivre.

Lors de la conférence de presse qui préface le quart de finale contre la Belgique, le sélectionneur Roberto Mancini donne la même réponse à trois questions différentes : « Jouons notre propre jeu, profitons de l’instant présent et de ce que nous vivons ». Profiter ? Pendant un EURO ? Mancini acquiesce : « Bien sûr. S’amuser, c’est la base de tout travail. » Précédemment, le milieu de terrain Marco Verratti avait déjà révélé le secret qui rendait cette équipe italienne si séduisante : « Lors des trois matches précédents, auxquels j’ai assisté depuis la touche, je me suis déjà super bien amusé. Si moi, j’ai pris mon pied, ça signifie que tous les Italiens l’ont pris eux aussi. » Après la victoire contre la Belgique, l’ancien entraîneur Claudio Ranieri s’est lui aussi montré dithyrambique. « Cette équipe italienne est composée de combattants au grand coeur qui jouent un football de très haut niveau. Cette Italie joue comme une équipe de club. Appelons-là : Italia FC. »

Là où d’autres ne voient qu’un simple chemin, Mancini voit une autoroute.

Cet Italia FC est un mélange d’expérience et de jeunes talents. C’est en comparant les équipes belge et italienne qui se sont affrontées le 13 juin 2016 à l’EURO que sa jeunesse saute le plus aux yeux : sur les quatorze Diables présents au match, dix étaient sélectionnés pour l’EURO actuel. Chez les Italiens, il n’en reste que trois : Giorgio Chiellini, Leonardo Bonucci et Ciro Immobile. Autant dire qu’il fallait tout reconstruire.

DES DÉBUTS HÉSITANTS

Lorsque Roberto Mancini est nommé sélectionneur en mai 2018, beaucoup froncent les sourcils. Pour son premier match contre l’Arabie Saoudite, Mancio convoque cinq nouveaux joueurs, dont Emerson Palmieri et l’attaquant Domenico Berardi, qui joue déjà pour Sassuolo à l’époque. Devant, il refait appel à une vieille connaissance : Mario Balotelli, qui n’avait plus revêtu le maillot azzurro depuis quatre ans.

Mais Mancini n’a pas perdu confiance en son ancien élève, celui-là même qu’il avait intégré au noyau de l’Inter, qu’il avait lancé en Serie A et qu’il avait même fait venir à Manchester City. « Mais je veux voir le Balotelli de l’EURO 2012 », précise le coach. Ce Balotelli-là, il ne le reverra hélas jamais. Après trois matches en équipe nationale, Super Mario disparaît de la circulation, mais le problème ne se situe pas uniquement devant. Le moteur, dans l’entrejeu, connaît également quelques ratés.

Pourtant, à l’époque, le sélectionneur demande déjà la même chose qu’actuellement à ses joueurs : « Osez jouer votre jeu, n’hésitez pas à entreprendre des actions, soyez dominants, même si parfois ça ne réussit pas. » Beaucoup de ses internationaux ne sont pas habitués à cela. Conséquence, après cinq matches, le bilan est négatif, avec une seule victoire, deux partages et deux défaites. « Assez de tests, il est temps de faire des choix et d’apporter des certitudes », titre La Gazzetta dello Sport après la défaite contre le Portugal en septembre 2018, le cinquième match du nouveau sélectionneur. « Mancini a créé une révolution dans l’équipe, mais n’a apporté aucune idée, aucun système de jeu, aucune personnalité. Il n’entraîne plus une équipe qui gagne, comme c’était le cas avec l’Inter ou Manchester City, mais un groupe de joueurs sans identité, sans système, qui a perdu l’habitude de gagner. » Le quotidien ajoute même : « Lequel de nos joueurs pourrait revendiquer une place dans l’équipe du Portugal, à l’exception peut-être du gardien Gianluigi Donnarumma ? Et lequel de nos grands talents italiens de Serie A suscite-t-il l’intérêt des grands clubs étrangers durant le mercato ? »

UNE DÉFENSE IMPERMÉABLE

Mais Mancini persiste, et assemble les pièces du puzzle, une à une. Il n’a à sa disposition que 39,5% des joueurs de Serie A (les 60,5% restant sont étrangers), c’est-à-dire environ 240 éléments. Sur la dizaine d’Italiens qui jouent dans d’autres championnats, quatre sont présents à l’EURO (deux du PSG et deux de Chelsea). Au départ, il tâtonne beaucoup. Lors de ses 21 premières sélections, Mancini retient 68 joueurs, dont 54 jouent réellement. Parmi eux, on retrouve 24 débutants. Au centre de la défense, il ne rencontre pas trop de problème. « Avec Chiellini et Bonucci, l’Italie dispose de deux universitaires spécialisés dans l’art de défendre », a un jour déclaré José Mourinho. Mancini connaît bien Bonucci. C’est lui qui l’a lancé en Serie A lorsqu’il n’avait que 19 ans.

S’amuser, c’est la base de tout travail.

Roberto Mancini

Comme dernier rempart, Gianluigi Buffon donne déjà une indication au moment de prendre congé de la Squadra Azzurra après le drame contre la Suède : « Mon successeur est déjà là », affirme-t-il alors, en parlant de Donnarumma. Ce dernier n’a encore que 22 ans mais défend déjà les buts de l’AC Milan depuis quatre saisons. Son avenir pourrait (devrait ?) s’écrire au PSG. Car son agent, Mino Raiola, exige un salaire de dix millions d’euros par an, ce qui ferait de Donnarumma le deuxième joueur le mieux payé de Serie A (après Cristiano Ronaldo et ses 31 millions annuels). Pour parer à toute éventualité, les Rossoneri ont déjà engagé un nouveau gardien, le Français Mike Maignan, de Lille.

Sur le flancs, le joueur de l’AS Rome Leonardo Spinazzola (qui arpente l’aile gauche, alors qu’il est droitier) et l’ancien Romain Alessandro Florenzi (parti à Paris l’an passé après avoir perdu sa place de titulaire à l’AS Rome, dont il était pourtant le capitaine) apportent de la vitesse et de la profondeur. La blessure de Spinazzola a toutefois permis à Emerson de récupérer sa place à l’arrière gauche. Avant l’EURO, c’est lui qui était pressenti pour être titulaire. Quel luxe !

DES QUESTIONS EN ATTAQUE

Devant, Mancini doit se creuser les méninges plus longtemps pour trouver la meilleure solution. « Si je trouve un attaquant de pointe qui marque, je l’aligne directement », répète-t-il souvent. En l’absence de cet oiseau rare, le sélectionneur expérimente une formule à trois joueurs offensifs qui changent fréquemment de position : Lorenzo Insigne, Federico Chiesa et Domenico Berardi. Pour se rabattre finalement, malgré tout, sur un seul attaquant de pointe. La plupart du temps, c’est Ciro Immobile, qui termine comme meilleur buteur italien du Calcio. Mais l’avant-centre de la Lazio est plus à l’aise quand il joue en transition que dans une équipe qui cherche à combiner dans des espaces réduits, dans la moitié de terrain de l’adversaire.

Son concurrent, Andrea Belotti, ne joue pas non plus au Real Madrid ou à Manchester City. Belotti, qui affirme n’être pleinement heureux que lorsqu’il peut tout donner sur le terrain et qu’il en ressort totalement lessivé, n’a évité la relégation avec Torino que lors de la toute dernière journée de la défunte saison. À droite, le marathonien Chiesa a le sens du but. Jusqu’à l’an dernier, le fils d’Enrico jouait encore pour la Fiorentina, son club formateur. Aujourd’hui à la Juventus, il connaît une première saison compliquée. En sélection, sur le flanc droit, il est en concurrence avec Berardi, promu en 2013 avec Sassuolo, un club auquel il est toujours resté fidèle, et avec Federico Bernardeschi, passé de la Fiorentina à la Juventus il y a quatre ans et qui, avec sa vitesse, ses accélérations et sa technique, s’est révélé comme le parfait mélange entre un milieu de terrain doué et un attaquant efficace.

À gauche, on retrouve un homme qui se cherchait encore il y a deux ans. Lorsque Naples vient jouer à Genk en Ligue des Champions, Lorenzo Insigne ne monte même pas sur le terrain. Mais après le départ de l’entraîneur Carlo Ancelotti, il se sent revivre. « Lorenzo est unique », déclare Mancini avant l’EURO. « Dans son rôle d’agent de liaison entre le milieu de terrain et l’attaque, il est le joueur pour lequel j’ai le moins d’alternatives. »

UN ENTREJEU DE FEU

Mais le point fort de cette équipe italienne se situe dans l’entrejeu, composé de deux meneurs de jeu, Jorginho et Verratti, et derrière eux l’énergique récupérateur Nicolò Barella. Verratti ne tarit pas d’éloges à propos de Jorginho : « Il donne l’impression que tout est simple. Jorginho est irremplaçable pour nous, nous avons peu de joueurs qui possèdent ses qualités. C’est lui qui fait tourner l’équipe. »

Jorge Luiz Frello Filho arrive du Brésil à quinze ans, déjà en possession d’un passeport italien, et débute en Serie A sous le maillot du Hellas Vérone. Mais c’est à Naples qu’il se révèle au grand public, grâce à Maurizio Sarri, qui l’emmène avec lui à Chelsea en 2018. Le premier match international à enjeu de Jorginho entre d’ailleurs dans l’histoire du football italien, mais pour une triste raison : il s’agit de ce fameux Italie-Suède du 13 novembre 2018, qui se termine par un partage blanc, 0?0. Vu que l’Italie a perdu le match aller en Suède, elle se retrouve privée de Coupe du monde pour la première fois en soixante ans.

Avant cela, Jorginho dispute déjà quelques matches amicaux sous la direction d’Antonio Conte, et joue aussi avec l’équipe nationale U21. Comme le sélectionneur brésilien Tite ne s’intéresse jamais à lui, son choix en faveur de la Squadra Azzura coule de source.

Marco Verratti est le seul joueur de la sélection à n’avoir jamais joué en Serie A (après avoir aidé Pescara à monter de Serie B, il quittera ce club pour le PSG en 2012), mais il devient tellement important pour la Squadra que Mancini n’hésite pas à le reprendre alors qu’il revient de blessure et qu’il n’est pas rétabli à temps pour les premiers matches de poules. Pour ne rien arranger, son remplaçant idéal, Stefano Sensi (voir encadré) se blesse également, mais Mancini ne panique pas. Lors des premiers matches, ce dernier aligne un autre joueur qui s’illustre directement.

À 18 ans, Manuel Locatelli est déjà titulaire à l’AC Milan, mais après quelques prestations de haut niveau, il donne l’impression de plafonner. Il décide donc d’effectuer un pas en arrière en rejoignant Sassuolo, où l’entraîneur Robert De Zerbi le fait jouer d’une autre manière. Aujourd’hui, on le considère comme un parfait box-to-box. Massimilano Allegri, qui l’avait intégré au noyau de l’AC Milan lorsqu’il n’avait que seize ans, aimerait le faire venir à la Juventus. Dortmund et Arsenal se montrent également intéressés. Sa destination dépendra du plus offrant : qui est prêt à débourser les quarante millions d’euros exigés par Sassuolo ? Le troisième pilier de l’entrejeu, Nicolò Barella, débute lui sa carrière à Cagliari et la poursuit au sein de l’Inter d’Antonio Conte, où sa première saison se révèle brillante. Pour résumer : Mancini a vu du potentiel dans des joueurs dont d’autres doutaient. Comme l’avait un jour affirmé son ancien entraîneur à la Sampdoria, Vujadin Boskov : « Là où d’autres ne voient qu’un simple chemin, Roberto voit une autoroute. »

Sans oublier…

STEFANO SENSI

Le milieu de terrain de l’Inter ne s’est pas rétabli à temps pour l’EURO, il a enchaîné les blessures au cours d’une saison très compliquée. Il est cependant considéré comme le remplaçant idéal de Jorginho. Sensi a effectué ses débuts avec la Squadra Azzurra sur le territoire belge, et plus précisément à Genk, lors d’un match amical disputé le 20 novembre 2018 contre les États-Unis, avec Moise Kean. Il a débuté en Serie A sous le maillot de Sassuolo. Ses belles prestations ont suscité l’intérêt des deux clubs milanais, et il a finalement opté pour l’Inter durant l’été 2019.

NICOLÒ ZANIOLO

Le plus grand talent italien, rien de plus. Tellement grand que Mancini l’a convoqué avant même qu’il n’ait disputé le moindre match en Serie A. Il y a trois ans, il avait encore été utilisé comme monnaie d’échange lorsque l’Inter voulait absolument recruter Radja Nainggolan et avait cédé son milieu de terrain à l’AS Rome en plus des 35 millions versés aux Giallorossi. Sans une grave blessure aux ligaments croisés qu’il s’est occasionnée lors d’un match amical contre les Pays-Bas, il aurait certainement participé à l’EURO.

SANDRO TONALI

Un autre milieu de terrain polyvalent extrêmement talentueux, qui offrira encore bien du plaisir aux tifosi au cours des prochaines années. Tonali a été écarté in extremis de la sélection après une année d’adaptation difficile à l’AC Milan, le club qu’il a lui-même choisi comme nouvelle destination. Mancini l’a été convoqué pour la première fois en équipe nationale A lorsqu’il jouait encore en Serie B avec Brescia. Il a débuté le 15 octobre 2019 alors que les Biancazzurri venaient de rejoindre la Serie A. Comme regista, il est souvent comparé à Andrea Pirlo, qui a aussi appris le métier à Brescia.

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