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Comment Josep Bartomeu a perdu son Barça

Aurelie Herman
Aurelie Herman Journaliste pour Sport/Foot Magazine

Josep Bartomeu était l’homme qui avait perdu Neymar et la philosophie de La Masia. Il était aussi celui qui avait dégoûté Lionel Messi de son club de toujours. Il a jeté l’éponge hier soir. Et il n’y a pas grand monde pour s’en plaindre.

Soufflés. KO. Incrédules. Qu’avaient-ils dans la tête, les joueurs de Barcelone, au coup de sifflet final de cette invraisemblable humiliation, subie face au Bayern ? Peut-être la sensation d’un immense gâchis. Peut-être aussi la sensation que le crash du vol blaugrana devait bien arriver un jour.

Depuis le changement d’ADN du Barça, opéré au début de la décennie, c’est tout un club qui vacille, emporté depuis 2014 par la politique menée par son président, Josep Bartomeu, aujourd’hui démissionnaire. Pourtant, l’homme facture treize trophées en six ans et demi, dont un triplé en 2015. Sauf qu’une fois le vernis gratté, ce sont plus les squelettes que les coupes qui garnissent les placards. Au point d’avoir dû compter sur une clause libératoire impayable pour conserver Lionel Messi, résolu à partir loin de sa chère Catalogne.

L’homme de l’ombre

En réalité, Bartomeu, 57 ans, n’était pas prédestiné à occuper le poste suprême, malgré le sang blaugrana qui coule dans les veines de ce socio depuis l’âge de onze ans. Après avoir dirigé les sections basket et handball, cet ancien basketteur débarque au poste de vice-président en 2010, dans le sillage du nouveau patron, son ami Sandro Rosell, rencontré au cours de leurs années d’études sur les bancs d’une des plus prestigieuses écoles de commerce de Catalogne. Moins de quatre ans plus tard, celui qui était habitué à marcher dans l’ombre s’installe derrière le bureau de son grand pote, forcé de jeter l’éponge en janvier 2014 suite à ses ennuis judiciaires autour du transfert de Neymar.

Au fil des années, Bartomeu va centraliser le pouvoir jusqu’à détenir la quasi mainmise sur les transferts.

Une fois en haut de la pyramide, Bartomeu poursuit l’oeuvre de Rosell. Une oeuvre d’expansion de la « marque » Barça, mais aussi de destruction identitaire. Exit le cruyffisme (l’une des premières décisions de Rosell une fois au pouvoir sera d’ailleurs de pousser le grand Johan à se délester de son titre de président d’honneur), par lequel jurait le président Joan Laporta, ennemi intime du duo Rosell-Bartomeu.

À ses débuts comme président, Bartomeu hérite d’un Barça qui fait toujours rêver. Celui de Xavi et Iniesta, de Messi et Neymar. Une équipe presque romantique, mais qui a sans le savoir déjà entamé son déclin. Sur le pré, le style est moins catalan, marqué par une verticalité plus forte, mais son efficacité rappelle les plus belles heures du guardiolisme. Le triplé Liga-Copa-Champions League offre une voie royale à Bartomeu aux élections de juillet 2015. Au fil des années, l’homme va centraliser le pouvoir jusqu’à détenir la quasi mainmise sur les transferts, révèle même une enquête de The Athletic.

Transferts ratés, Masia oubliée

Les transferts, c’est peut-être là que le Barça est le plus difficile à suivre ces dernières années. En 2017, le départ de Neymar met Barcelone en émoi. Bartomeu, lui, est dans le dur, mais plus riche de 222 millions d’euros, qui doivent servir à rebâtir une équipe.

Las, trois ans plus tard, le Barça a claqué près de 800 millions d’euros dans des arrivées parfois improbables, comme celles de Martin Braithwaite ou Kevin-Prince Boateng, par exemple. Des mercatos sans queue ni tête, dont seuls Arthur, Frenkie de Jong ou Clément Lenglet s’en tirent avec les honneurs. Les déceptions, elles, sont énormes. Ousmane Dembélé, Philippe Coutinho et Antoine Griezmann ont coûté des sommes astronomiques, mais aucun d’entre-eux n’a répondu aux attentes.

Au final, ni Iniesta, ni Neymar, ni Xavi, pas même Luis Suárez, en perte de vitesse depuis deux ans, n’ont été remplacés. Si la direction n’a pas trouvé la solution pour renouveler les effectifs, au point d’aligner contre le Bayern l’équipe la plus âgée de son histoire en Ligue des Champions, les finances du club, elles, sont sérieusement grevées. À la fois par les emplettes menées par Bartomeu et ses cinq (!) directeurs sportifs utilisés en six ans de règne, mais aussi par les salaires mirobolants offerts aux joueurs (en 2019, le club possédait la plus grosse masse salariale du monde). Oui, le big boss peut s’enorgueillir en septembre 2019 d’avoir amassé près d’un milliard d’euros de recettes, grâce notamment à ces noms ronflants qui rapportent de l’argent à défaut de ramener des titres. Mais pour quelles pertes ?

Cette transformation du vestiaire catalan cache une vérité encore plus crue : la perte de crédit de La Masia. Longtemps considérée comme le must en matière de formation, l’école des jeunes de Barcelone ne cherche plus à enseigner le toque pour étoffer son équipe A, mais pour revendre ses pépites à bons prix, comme l’explique Tracy Rodrigo, journaliste et suiveuse du Barça pour le site Furia Liga !. Ainsi, Sergi Roberto est l’ultime talent sorti du centre de formation du Barça à s’être taillé une place de choix dans l’équipe première. C’était en 2013. Désormais, c’est à Riqui Puig et Ansu Fati de rendre à La Masia ses lettres de noblesse. Bonjour la pression…

L’espoir Xavi

Cette perte de style et de philosophie a des conséquences. Entre 2016 et 2018, le Real de Cristiano Ronaldo règne sur l’Europe, mais le Barça ne fait plus peur.

Quand la remontada de 2017 face au PSG maquille les carences d’une équipe qui se fera sortir au tour suivant par la Juventus, et ne gagnera qu’une Coupe d’Espagne, celles subies face à la Roma et Liverpool lors des deux saisons suivantes font tomber les masques. Que dire de cette humiliation, subie en mondovision, des pieds du Bayern, en août dernier ? Bilan des courses : aucune finale européenne en cinq ans.

Sur la scène espagnole, Lionel Messi sert de cache-misère, avec ses 106 buts et 56 passes décisives en trois ans, qui permettent au club de gratter deux Ligas, une Copa et une Supercopa. Mais la machine s’enraye inévitablement dans le grand bal européen. Et encore, cette saison, les 25 pions et 21 assists de La Pulga n’ont pas suffi à contenir un Real post-Covid invincible en championnat.

Incapable d’assurer la transition après le départ ou le déclin des héros des années 2005-2015 (Suárez, Piqué, Busquets, Iniesta, …), le Barça s’est perdu, en même temps qu’il a transformé son identité. Le coup était osé. Pourquoi pas innover, s’adapter, après tout ? Encore fallait-il avoir un plan précis, ce qui n’était visiblement pas le cas. Quant aux socios, ils gardent le fol espoir de refaire le coup de Pep, mais avec Xavi Hernández, cette fois. Jusqu’à ce mardi, la perspective de voir bosser l’ancien milieu de terrain, qui brigue ouvertement le poste de coach, sous Bartomeu paraissait quasi nulle. Coup de bol, ce dernier vient de démissionner et ne se représentera donc pas aux élections présidentielles de mars 2021. Un scrutin qui aura lieu presque dix ans jour pour jour après le récital de Wembley, une finale de Ligue des Champions qui avait consacré le football de Guardiola.

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