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Ciro Immobile: « Je suis un attaquant atypique »

Auteur de plus de cent buts en Serie A depuis son arrivée à Rome en 2016, dont 36 la saison dernière, l’attaquant de la Lazio a passé un cap en remportant le Soulier d’Or européen. Un honneur qui contraste avec sa discrétion en dehors des terrains. Article de Valentin Pauluzzi issu de France Football.

Ciro Immobile:
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Souvent placé dans l’ombre de concurrents au nom plus prestigieux, c’est pourtant bien Ciro Immobile qui s’est chaussé d’or au terme d’une saison décidément étonnante. Révélé au Torino, perdu à Dortmund, puis à Séville, le casque d’or italien a retrouvé ses sensations sous le maillot bleu ciel de la Lazio. À quelques heures d’un affrontement sur le terrain du Club Bruges, rencontre avec l’un des attaquants les plus sous-estimés du continent.

Depuis 2010, comme pour de nombreux trophées individuels, le Soulier d’Or européen était l’apanage d’un duo d’extraterrestres. Jusqu’à ce que vous vous en saisissiez cette année…

CIRO IMMOBILE: Regardez le palmarès. Leo Messi et Cristiano Ronaldo alternent, et le seul qui s’était immiscé, c’était Luis Suárez ( en 2016, ndlr), un autre cador. Voir mon nom à leurs côtés, c’est juste incroyable! Sans Ballon d’Or cette année, le Soulier d’Or possède une valeur supplémentaire. Même si ce sont deux distinctions différentes, l’une dépend des votes et des trophées collectifs, l’autre exclusivement des statistiques. J’ai par ailleurs battu Lewandowski ( 34 buts, ndlr), qui était un potentiel Ballon d’Or cette année.

Voir mon nom à côté de ceux de Messi, Cristiano Ronaldo et Suárez, c’est incroyable! »

Ciro Immobile

Quand ce Soulier d’Or est-il devenu un objectif?

IMMOBILE: Petit, j’y pensais déjà. C’est un trophée significatif pour les buteurs. Il y a deux saisons, j’étais déjà en course, mais j’avais été freiné par une blessure. En février, j’étais en tête avant l’arrêt des compétitions, mais j’étais conscient des impondérables. Est-ce que j’allais avoir la même régularité à la reprise? La Lazio jouerait-elle le même football? Et finalement, ça l’a fait!

« On jouait où l’on pouvait »

Pour en arriver là, vous êtes parti de Torre Annunziata, près de Naples. Beaucoup fantasment sur ce coin d’Italie depuis le succès de Gomorra, la série sur la mafia. Est-ce que cela correspond à la réalité de l’endroit où vous avez passé votre enfance?

IMMOBILE: J’ai grandi dans les endroits proches de ceux que l’on voit dans la série, laquelle met en avant plein de choses négatives de ma région. Beaucoup sont réelles, d’autres volontairement exagérées, et ça peut se comprendre. C’est un quartier très difficile, où il était facile de basculer dans des situations compliquées et avoir énormément de problèmes.

Dès que possible, vous avez acheté une maison à votre mère afin qu’elle quitte ce quartier difficile…

IMMOBILE: Dans la ville basse, le quartier du port. Ce n’était pas juste pour la remercier, il fallait vraiment que ma famille s’en aille pour habiter dans la maison dont elle avait toujours rêvé, et moi aussi. Je l’ai fait dès que j’ai gagné un peu d’argent.

Vous avez déclaré que les gamins de votre région auraient un coup d’avance sur les autres. Pourquoi?

IMMOBILE: Je suis allé retirer un prix à l’Hôtel de ville en août. Des journalistes m’ont demandé si le maire pouvait faire quelque chose au niveau des infrastructures afin d’aider les jeunes à s’intéresser au foot. J’ai répondu que petit, on jouait où l’on pouvait, et que c’était bien pire que maintenant! Sans aide, on s’en sort quand même. Lorenzo Insigne, Fabio Quagliarella et moi venons tous de ces endroits-là.

C’est difficile de vous comparer à l’un d’entre eux: vous possédez de grosses qualités physiques (1,85 m, plus de 80 kilos) sans miser dessus pour autant.

IMMOBILE: Je suis atypique, je ne suis pas un avant-centre de surface ni un attaquant de soutien. Je n’aime pas rester devant, dans l’axe, j’aime bien bouger sur le front de l’attaque. Par conséquent, on me parle plus de Paolo Rossi, de Toto Schillaci, une autre génération d’attaquants.

« Mes trois années à la Juve ont été fondamentales »

Vous avez cité la Juventus. On vous y associe rarement alors que c’est là où vous avez débuté en pro, en 2009.

IMMOBILE: Ils m’ont pris sans même me faire passer un essai après un match contre le… Torino. J’évoluais avec les jeunes de Sorrento, dont l’équipe première était en Serie C2 ( D4, ndlr). C’était en U16 nationaux. On a fini premiers de notre poule devant des cadors comme Palerme et Naples, puis on a disputé les play-offs et on est allés jusqu’en demi-finales face au Genoa. Cela ne pouvait pas passer inaperçu. Mes trois années turinoises ont été fondamentales. On était dans les meilleures conditions pour exprimer tout notre potentiel. À Sorrento, il y avait un terrain pour dix équipes. À Turin, chacune avait le sien. Rien que ça, ça motive énormément! Je me suis d’abord mis au niveau des autres jeunes, et quand je les ai dépassés, je me suis dit que je pouvais faire la même chose avec les grands.

Ciro Immobile, la machine à buts laziale.
Ciro Immobile, la machine à buts laziale.© DPA

Cela n’a pas tardé une fois parti de la Juve, avec deux titres de meilleur buteur, à Pescara en Serie B (2012) et au Torino en Serie A (2014).

IMMOBILE: Mais je n’oublie pas les saisons qui ont précédé ces titres, les débuts difficiles en Serie B ( à Sienne et à Grosseto, ndlr) et en Serie A ( au Genoa, ndlr) qui ont servi d’apprentissage. Ensuite, ces deux récompenses m’ont mis sur une rampe de lancement et m’ont offert beaucoup de visibilité.

Au point d’aller à l’étranger en 2014, avec à la clé 18 mois décevants à Dortmund et à Séville. N’avez-vous pas l’impression d’y avoir perdu votre temps?

IMMOBILE: En Allemagne, je ne crois pas. Je pouvais faire mieux, mais c’était une expérience malchanceuse, la dernière année de Jürgen Klopp. L’équipe allait mal et je l’ai payé. En Espagne, je n’ai jamais eu l’occasion d’exprimer mon potentiel, j’étais toujours en ballottage même quand je méritais de jouer. J’ai eu du mal avec Unai Emery…

Vous êtes un peu le symbole des Italiens qui éprouvent des difficultés à s’exporter…

IMMOBILE: Hormis Marco Verratti, qui est le patron du PSG pour ce qu’il a donné au club et pour la façon dont ils le considèrent. Lui, c’est un peu l’exception. D’autres, moi y compris, ont eu beaucoup de mal à l’étranger. Je n’arrive pas trop à l’expliquer. Probablement qu’on s’adapte moins, qu’on a besoin de plus de temps.

Au fait, combien de remarques ironiques avez-vous dû supporter sur votre nom de famille?

IMMOBILE: ( il rit) Le premier a été Zdenek Zeman, à Pescara (en 2011-12). La première chose qu’il m’a dite c’est: « Mais comment tu fais pour jouer en attaque avec ce blaze? », et il n’a pas été le seul!

« Je n’ai jamais essayé de faire plus que ce que mes capacités me permettent »

C’est un patronyme antinomique à votre registre de jeu.

IMMOBILE: Le foot est, selon moi, un jeu beau et simple. J’ai toujours tout misé sur le timing et la maîtrise de l’espace. Je m’entraîne à faire le bon appel, à me jeter dans l’intervalle, à me créer de l’espace, même quand le défenseur ne me laisse pas me retourner. Bref, j’exploite au mieux mes qualités. Je n’ai jamais essayé de faire plus que ce que mes capacités me permettent. Il en découle un football simple qui m’a permis de rapidement progresser. Et cela va de pair, car, quand vous réussissez à faire les choses simples, la confiance augmente, et, parfois, vous réussissez des choses plus difficiles.

Ce serait quoi, un but à la Immobile?

IMMOBILE: Prise de profondeur et tir croisé. Pas de doute, ça, ce sont mes buts!

La Lazio n’a pas forcément été construite autour de vous, mais votre entraîneur, Simone Inzaghi, sait valoriser vos qualités.

IMMOBILE: Quand un club mise sur un noyau de joueurs, son coach doit d’abord en faire un groupe solidaire, et ensuite exploiter leurs caractéristiques. Quand Miroslav Klose s’en va et que la Lazio me recrute, elle sait que je serai son attaquant pour au moins trois ou quatre saisons. Il faut donc mettre en place un certain style de jeu. Idem quand d’autres sont arrivés, comme Luis Alberto, et, en cela, Inzaghi a été incroyable. Il mise sur la simplicité. Le foot existe depuis plus d’un siècle, on ne peut plus rien inventer…

Ciro Immobile, meilleur buteur d'Italie... et d'Europe !
Ciro Immobile, meilleur buteur d’Italie… et d’Europe !© IMAGES PRESS/Isabella Bonotto

Vous retrouvez la Ligue des Champions après une première expérience avec le Borussia Dortmund en 2014. Les attentes vont être grandes vous concernant, au regard de votre nouveau statut de Soulier d’Or…

IMMOBILE: Je le conçois. Désormais, les défenseurs adverses me regardent différemment. C’est une grande responsabilité, mais aussi une grande motivation. On a probablement conclu un cycle de quatre ans à la Lazio, et un autre débute avec cette participation en CL ( les Romains sont dans le groupe F, avec le Zenit Saint-Pétersbourg, le Borussia Dortmund et le Club Bruges, ndlr). On ne veut pas faire de la figuration. Au moins, qu’on s’amuse!

« En sélection, nous avons toutes les cartes en main pour gagner l’EURO »

Sans minimiser ce que vous avez fait jusque-là, les buts en CL revêtent un autre poids.

IMMOBILE: J’en suis conscient, même si j’ai marqué des buts importants dans des moments difficiles d’un point de vue individuel ou collectif.

Ne minimisons pas non plus votre altruisme, puisque que vous avez délivré 27 passes décisives lors des quatre dernières saisons de Serie A.

IMMOBILE: Il n’y a pas de hasard. Quand vous êtes serein devant le but, que vous avez marqué de toutes les façons possibles, quand vous avez des opportunités dans un match, parfois vous tirez et parfois vous faites la passe. Tandis que si vous n’êtes pas en forme, que vous faites mal jouer votre équipe, vous êtes tenté de frapper depuis le milieu de terrain.

Votre altruisme vous a d’ailleurs peut-être coûté le record de buts en Serie A sur une saison que vous avez seulement égalé avec vos 36 réalisations, comme Gonzalo Higuain il y a quatre ans avec la Juve.

IMMOBILE: Oui, ce penalty que j’ai laissé tirer à Luis Alberto en décembre contre l’Udinese. À ce moment-là, il avait besoin de marquer. Je l’ai fait avec plaisir, pas parce qu’il me l’a demandé.

Vous avez trente ans, vous venez de marquer 36 buts en une saison de championnat, comment vous imaginez-vous faire mieux?

IMMOBILE: C’est une bonne question. On peut penser que je suis au maximum de mon potentiel, mais, cette saison, entre la Champions League et l’EURO, j’aurai beaucoup de responsabilités. La Lazio et l’Italie auront besoin de moi et je n’ai pas l’intention de m’arrêter en si bon chemin. En sélection, nous avons toutes les cartes en main pour réaliser un bon EURO, et même le gagner!

Après une telle saison, d’autres équipes ont forcément dû s’intéresser à vous, non?

IMMOBILE: Certaines se sont renseignées sur mon prix et mon salaire. Durant un mercato normal, il y aurait même eu plus de requêtes, mais là, c’est difficile d’acheter, seul Chelsea dépense à tout-va. Je n’ai jamais eu une offre qui m’a fait m’asseoir à ma table avec ma femme Jessica et mon agent Alessandro Moggi en se disant: « Réfléchissons-y. » Ce n’était pas dans mes intentions de tourner la page Lazio, je suis très heureux d’avoir prolongé mon contrat ( jusqu’en 2025, ndlr) et de pouvoir disputer la Ligue des Champions sous ce maillot.

Vous étiez à un point de la Juve avant la coupure forcée de mars. Ruminez-vous encore sur ce Scudetto qui vous a échappé?

IMMOBILE: On marchait vraiment fort, on gagnait tous nos matches tout en jouant bien, ç’a été plus qu’un rêve.

Et cette saison?

IMMOBILE: Ce n’est pas notre objectif ni une obsession, mais dire qu’on peut jouer le titre est une façon de progresser. On ne disputait même pas les Coupes d’Europe quand je suis arrivé. Ensuite, on a visé l’Europa League et on s’est qualifiés, même chose pour la Ligue des Champions. Maintenant, on va essayer de faire au moins mieux que la quatrième place et les 78 points de la saison passée.

Article de Valentin Pauluzzi issu de France Football

Ciro Immobile:
Ciro Immobile: « Le foot existe depuis plus d’un siècle, on ne peut plus rien inventer… »© GETTY

« Tous les clubs de la Campanie voulaient mon père »

Il paraît que vous n’êtes pas le premier goleador de la famille.

CIRO IMMOBILE: ( il rit) Oui, mon papa a longtemps joué en amateurs. Quand je reviens à la maison, je croise ses anciens coéquipiers qui me chambrent et me disent que lui, c’était un vrai buteur! En période de mercato, dans les journaux locaux, le nom de mon père était souvent cité, car tous les clubs de la Campanie ( la région napolitaine, ndlr) le voulaient. Il s’entraînait après le travail. Alors, quand on rentrait de l’école mon frère et moi, on faisait nos devoirs et on filait le voir.

Dans votre jeunesse, la Serie A était remplie de champions, vous avez grandi en les regardant. Quels ont été vos modèles?

IMMOBILE: J’aime citer David Trezeguet, que j’ai côtoyé à la Juventus. Il m’a laissé une impression incroyable dans la surface de réparation. Je n’ai jamais vu quelqu’un comme lui. Il possédait la coordination et la technique pour marquer sur n’importe quel type de centre et avec n’importe quelle partie de son corps. Il y avait aussi Christian Vieri en sélection, Filippo Inzaghi en Ligue des champions, Luca Toni et Alberto Gilardino à la Coupe du monde 2006. J’ai commencé à comprendre le foot avec ces gars-là. On avait une sacrée flopée d’attaquants!

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