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 » Ce qui manque à la Belgique ? De l’histoire »

La Belgique entame l’EURO par un match contre l’Italie, qui a participé à 18 Mondiaux et 9 championnats d’Europe. Elle a été le berceau du catenaccio, qui plaçait l’accent sur la défense. De la fin des années ’80 au début des années ’90, Arrigo Sacchi a prouvé avec Milan puis avec la Squadra que le football transalpin pouvait aussi être beau à voir. Que pense-t-il de la Squadra actuelle et des Belges?

Les temps sont à la fois passionnants et tristes pour les vrais amateurs de football, peu avant l’EURO. Après cette interview, Arrigo Sacchi verra une Squadra mûre face à l’Espagne mais quelques heures plus tôt, il a appris, comme tout le monde, le décès de Johan Cruijff.

Sacchi est un philosophe du football, apte à mettre sa théorie en pratique. A la fin des années ’80, il a fait sensation en tentant de modifier l’approche italienne du football. « Gagner ne suffit pas, il faut aussi convaincre », tel était son adage : « non solo vincere, ma anche convincere. » Celui qui se contente de gagner est vite oublié alors que ceux qui y mettent la manière restent dans les mémoires, selon lui.

En 2001, Sacchi renonce à sa carrière d’entraîneur, à cause de problèmes de santé. Il devient directeur technique en Italie et en Espagne, d’abord au niveau des clubs, puis il se charge des équipes d’âge italiennes de 2010 à 2014. Depuis plus d’une décennie, il est un analyste respecté, au petit écran comme dans la presse écrite. Il juge ce qu’il voit avec sévérité mais droiture. Or, ce qu’il a observé dans son pays ne l’a pas toujours réjoui.

Aujourd’hui, il est plus optimiste. En janvier, il déclarait à La Republicca: « L’Italie émerge d’une dictature de la tactique mais elle suit désormais le bon chemin. » Directeur des équipes nationales de jeunes, il envoyait ses coaches aux matches d’Empoli, un club entraîné jusqu’il y a un an et demi par Maurizio Sarri, l’actuel coach de Naples. « Empoli affronte des équipes possédant un capital joueurs de 300 millions mais il essaie toujours de dominer le jeu. Comment peut-on progresser en laissant le ballon à l’équipe adverse? Je ne parle pas d’une possession du ballon excessive et ennuyeuse mais d’un style qui essaie de faire mal à l’opposant.

J’ai appris aux joueurs qu’une victoire acquise sans mérite n’en est pas une. Un texte dénué d’objet n’a aucun sens. En football, l’objet, c’est le spectacle », explique Sacchi dans la même interview, satisfait que l’Italie emprunte tout doucement la bonne voie. Selon lui, des équipes comme Naples, Empoli, la Fiorentina et Sassuolo mettent l’accent sur le jeu lui-même tandis que la Lazio et l’AS Rome essaient.

Il a développé ses idées quand, jeune homme, il arpentait l’Europe de l’Ouest pour vendre des chaussures et en profitait pour observer ce qui s’y passait en football.

Dans quelle mesure Johan Cruijff a-t-il été une source d’inspiration pour vous, comme joueur ou comme entraîneur ?

ARRIGO SACCHI: J’admirais le joueur et je partageais les idées de l’entraîneur. Nous avons été rivaux en Supercoupe d’Europe: il était au Barça, moi à Milan. Le football lui doit beaucoup. Comme joueur mais encore plus au poste d’entraîneur, il a contribué au renouvellement du foot. Il était un modèle de jeu positif. Il a oeuvré à la beauté de notre sport. Il a été un des plus grands joueurs, juste après Pelé, Maradona et Di Stefano. Devenu entraîneur, sa vision a eu encore plus d’impact.

Qu’est-ce qu’un bon entraîneur ? Un bon professeur ou un coach mental?

SACCHI: Un entraîneur doit être un auteur, un créateur. Un leader, capable de transmettre à ses joueurs une bonne idée, une idée forte, par de nombreux exercices. Je ne suis pas d’accord avec ceux qui disent qu’un coach dépend de ses joueurs. En fin de compte, ils exécutent ce qu’il leur apporte. C’est comme un film. Ce ne sont pas les acteurs qui déterminent le drame, c’est le réalisateur qui transmet ses idées et le résultat n’est bon que si les acteurs reproduisent aisément ce qu’il leur apprend. De même que l’entraîneur est celui qui aide les footballeurs à être meilleurs. L’entraîneur les guide, il doit faire se mouvoir onze joueurs de manière synchrone, comme il le souhaite. Messi correspond à un type à Barcelone et à un autre en Argentine. Il y a une explication à cela et elle tient à l’entraîneur.

Il y a une différence entre un entraîneur de club et un sélectionneur ? Vous êtes bien placé pour le dire puisque vous avez occupé les deux postes.

SACCHI: Un sélectionneur doit être en mesure de réaliser une bonne symbiose et doit avoir la chance de fonctionner dans un pays où les différents styles de jeu des clubs correspondent. Par exemple, en Italie, tous les clubs ne pratiquent pas de football total alors qu’il est devenu la norme dans le monde entier. Celui qui veut développer un autre football, plus beau, en Italie, dispose de peu de temps. Heureusement, quelques clubs aspirent à ce style de jeu.

L’apport de Conte

Fin mars, l’Italie occupait la 14e place au classement de la FIFA. Vous pensez quoi de l’équipe nationale actuelle? Vous vous faites du souci ou vous pensez que ça ira à l’EURO ?

SACCHI: J’ai confiance en notre histoire et en notre sélectionneur car je trouve qu’Antonio Conte est un des meilleurs entraîneurs du moment. Seulement, le football italien n’est pas au mieux de sa forme : aucune de nos équipes n’est qualifiée pour les quarts de finale des coupes d’Europe et quelques clubs n’alignent plus que des étrangers, ce qui est très dommageable pour notre football.

Conte a le choix entre 33% des joueurs de Serie A alors qu’en 2006, Lippi, sacré champion du monde, pouvait choisir parmi 66% des footballeurs de l’élite.

SACCHI: Et je pouvais puiser dans un vivier encore plus vaste. En plus, avant le Mondial 1994, j’ai pu compter sur le bloc soudé de l’AC Milan. Il a facilité mon travail et a transmis son style aux autres. Désormais, c’est plus difficile mais l’Italie a un gros avantage: sa longue histoire en football, une histoire de nombreuses grandes victoires, ce qui aide beaucoup.

L’équipe nationale italienne est-elle calquée sur la Juventus d’Antonio Conte ?

SACCHI: Conte peut compter sur peu de grands clubs qui alignent beaucoup de joueurs italiens. L’Inter a joué beaucoup de matches sans Italien ou avec un seul. La Fiorentina en aligne un, l’AS Rome un ou deux, Naples un seul. Voilà la réalité des grands clubs.

Que doit faire le sélectionneur de l’Italie, dans ce cas ?

SACCHI: Se concentrer sur le jeu qu’il veut développer, son style de jeu. Il a trop peu de temps pour travailler la technique et le physique. Donc, il vaut mieux qu’il se concentre sur la tactique et la détection de joueurs qui conviennent à son approche.

Quels sont les points forts et les points faibles de l’Italie, pour le moment ?

SACCHI: L’organisation, et en particulièrement son aspect défensif, est excellente. C’est le résultat de l’histoire. L’Italie a remporté la Coupe du Monde à quatre reprises et en a été la finaliste perdante à deux reprises. Elle n’a pas toujours développé un bon football convaincant, je le reconnais, mais elle constitue une garantie de résultats au bon moment. De nos jours, l’équipe reste compétitive devant et elle possède un bon entraîneur, un homme courageux.

Quand Antonio Conte est devenu international, sous votre direction, il a eu du mal, au début, à comprendre vos demandes et à les exécuter. Que retrouvez-vous de vous-même dans sa tactique? Quels sont les autres accents qu’il place?

SACCHI: Le concept semble identique, seules les définitions qui le sous-tendent divergent. La victoire domine tout, chez lui. Je le répète encore : il est un des meilleurs entraîneurs. Sa montée en force ne m’a pas surpris. J’avais décelé en lui un futur entraîneur. Je me rappelle que quand la Juventus l’a contacté, son directeur sportif, Beppe Marotta, un de mes amis, m’en a parlé et m’a demandé ce que je pensais de ce choix. J’ai répondu : – Benissimo. Vous avez fait un choix remarquable.

Vous êtes surpris qu’il raccroche au terme de l’EURO ?

SACCHI: Non, j’ai plutôt été surpris qu’il veuille devenir sélectionneur. C’est un poste qu’on accepte plus tard. A 46 ans, il doit encore être sur le terrain tous les jours. Un sélectionneur est souvent un intellectuel, il doit beaucoup réfléchir. Il était encore trop jeune pour occuper ce poste.

Dans la bonne direction

L’Italie dépend-elle d’un ou deux joueurs?

SACCHI: L’équipe dépend davantage d’une certaine tactique que de quelques individus. Ce n’est pas grave. Je vous donne un exemple. En quinze ans, le Real a gagné la Ligue des Champions une seule fois alors que depuis des années, il aligne les joueurs les plus renommés et les mieux payés du monde. Le football n’est pas seulement la somme de la valeur individuelle de tous les joueurs.

Quels footballeurs italiens vous plaisent?

SACCHI: Quelques jeunes ont un profil intéressant : Federico Bernardeschi de la Fiorentina, Marco Verratti quand il aura récupéré, Lorenzo Insigne de Naples. A côté, il y a des éléments chevronnés. Devant, Graziano Pellé n’est pas un grand nom mais un joueur utile, comme Bernardeschi. Nous ne sommes pas encore tout à fait au point mais nous avançons dans la bonne direction.

Devant, il y a aussi Stefano Okaka, d’Anderlecht. Vous êtes surpris de trouver dans la sélection un joueur issu du championnat de Belgique ?

SACCHI: Non. Il a toujours été bon en espoirs nationaux, il a progressé et il est donc logique que Conte le suive et, peut-être, l’emmène à l’EURO. Un joueur peut commettre un faux-pas de temps en temps. En plus, il est devenu normal, pour nous, que nos internationaux évoluent à l’étranger, tout comme les vôtres.

Vous attendez quoi de la Belgique à l’EURO ?

SACCHI: J’ai été responsable des équipes d’âge italiennes jusqu’en 2014. Nos U21 étaient dans le même groupe. J’ai apprécié leur bonne organisation et leur bon fonctionnement sur le terrain. Votre équipe se corrigeait et travaillait de manière innovante. Je ne suis donc pas surpris que des footballeurs de haut niveau aient émergé. La seule chose qui fait défaut à la Belgique, c’est l’histoire. C’est un handicap. Pour le reste, elle est bien, avec beaucoup de jeunes joueurs qui se développent bien. La Belgique sera un adversaire coriace. Elle essaie de produire un football total. Elle a tout pour disputer un bon tournoi.

Pour commencer, elle doit battre l’Italie.

SACCHI(Rires): J’espère que non. Contentons-nous d’un match nul.

Qui était Arrigo Sacchi?

En 1987, quand Silvio Berlusconi a nommé Arrigo Sacchi ( né à Fusignano en 1946) entraîneur de l’AC Milan, il était un illustre inconnu aux yeux du supporter moyen. Sacchi n’a pourtant jamais considéré son manque de passé footballistique comme un handicap. « Il n’est pas nécessaire d’avoir été un grand joueur pour devenir un bon entraîneur. Après tout, un jockey n’a jamais été un cheval non plus. »

Berlusconi a remarqué Sacchi quand celui-ci a gagné un match de Coupe à San Siro, avec Parme. Berlusconi a surtout été frappé par la manière. Sacchi avait trois mots d’ordre: vincere, convincere et divertire: vaincre, convaincre et distraire. Pas seulement gagner comme c’était le cas alors dans la Botte.

Le football total de Milan, qui s’appuyait sur l’école néerlandaise et une touche de réalisme italien, avec une défense en zone et non en marquage individuel, a fait fureur. Sacchi n’a gagné qu’un seul titre national, en 1988, mais deux Coupes d’Europe des Clubs champions, en 1989 et en 1990. En 1994, à la tête de l’Italie, il a perdu la finale du Mondial face au Brésil, Roberto Baggio ayant raté Ie tir au but décisif.

Sa carrière d’entraîneur

1982-1985: Rimini (D3)

1985-1987: Parme (D3 et D2)

1987-1991: AC Milan

1991-1996: sélectionneur de l’Italie

1996-1997: AC Milan

1998-1999: Atlético Madrid

2001: Parme (arrêt pour raisons de santé)

Sa carrière de directeur technique

2001-2004: Parme

2004-2005: Real Madrid

2010-2014: équipes nationales d’âge italiennes

Par Geert Foutré

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