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Belgique – Tunisie : un Hummer à cinq roues

Guillaume Gautier
Guillaume Gautier Journaliste

Analyse de la victoire spectaculaire des Diables rouges face à la Tunisie (5-2).

La possession belge pouvait-elle être mieux planifiée ? Commis au coup d’envoi de la rencontre face à une Tunisie au pied du mur, Romelu Lukaku confie le premier mouvement du match aux pieds d’Axel Witsel. Forcément, le numéro 6 enclenche la marche arrière, jusqu’à Toby Alderweireld. Le droitier des Spurs attend le sprint de Wahbi Khazri, leader du pressing ambitieux installé par les Tunisiens dès le premier coup de sifflet. Il écarte alors le jeu vers Thomas Meunier, qui emmène le ballon vers l’axe du terrain avant de le déposer dans les pieds d’Eden Hazard, arrêté fautivement. Le scénario du match tient en trente secondes, et c’est Meunier qui s’est installé derrière la caméra. Seul Axel Witsel touchera plus de ballons que lui au cours de la rencontre.

Mis sur orbite par les passes rapides et précises d’Alderweireld (59 passes sur le match, meilleur belge avec Witsel), le latéral du PSG permet aux Belges de gagner du terrain lors de chacune de ses prises de balle. On joue seulement depuis deux minutes quand il casse le pressing adverse avec une passe en profondeur vers Romelu Lukaku, qui grille son vis-à-vis à la course et tient déjà une parole un jour lancée au micro de SFR Sport : « Mets n’importe qui face à moi en un-contre-un sur quarante mètres, je jure que personne ne peut m’arrêter. »

La sortie du gardien des Aigles de Carthage retarde l’échéance, tout comme ses gants, apparus une minute plus tard au bout d’une frappe du pied gauche signée Meunier. Dès la sixième minute, par contre, le duel se déséquilibre quand Hazard se présente derrière le ballon, à onze mètres de la ligne. Quelques instants plus tôt, le capitaine des Diables a obtenu un penalty, atteint au bout d’une attaque en trois passes bornée par les pieds d’Alderweireld, Meunier et Mertens. Ben Mostefa est hypnotisé par la course d’Eden, et semble surtout chercher à éviter la chute quand le ballon claque le fond de ses filets.

L’AUTOROUTE DU SUCCÈS

La Belgique attaque sans traîner. Après avoir affûté sa patience devant le rectangle panaméen, elle profite de l’ambition du plan tunisien pour lancer ses bolides offensifs sur l’autoroute du succès. Souvent trop audacieuse, surtout quand elle passe par les pieds téméraires d’Ali Maâloul, latéral gauche plus à l’aise près du rectangle adverse que dans sa moitié de terrain. Une première récupération de Meunier offre une opportunité à Hazard au bout d’un centre de Lukaku, parti chercher des espaces à conquérir sur le flanc droit. Quatre minutes plus tard, c’est Dries Mertens qui intercepte, puis place Romelu sur orbite.

Lancé comme un fauve en pleine savane, le buteur atteint sa proie d’une frappe croisée du gauche. Trois passes avaient suffi pour obtenir un penalty. Cette fois, il n’en faut qu’une pour transformer un ballon au milieu de terrain en but. La Belgique n’est pas venue pour faire grimper ses chiffres de possession. Elle termine d’ailleurs le match sous les 50%, et suscite des comparaisons avec les plus belles histoires de ses voisins du nord. Des amoureux du ballon qui suscitaient même l’admiration d’un pragmatique italien. Alors coach du Real Madrid, Fabio Capello vantait la vitesse du football oranje : « J’aimais les Pays-Bas de Cruyff, et ceux de Gullit et van Basten. En trois ou quatre touches, ils étaient devant et c’était but ! C’est ça, le football. Vous, les Espagnols, vous touchez trop la balle. »

Roberto Martinez a beau avoir poussé ses premiers cris en Catalogne, son football natal a bouilli dans la casserole du football anglais, au point de séduire Chris Van Puyvelde, directeur technique de la Fédération belge : « J’adore le football espagnol, mais de la manière dont Roberto Martinez le conçoit, combiné au football anglais, avec cette intensité. » Bien sûr, la Belgique d’Eden Hazard aime le ballon. Mais ce qu’elle aime par-dessus tout, c’est le voir au fond des filets.

LA ROUTE DU ROM’

Dylan Bronn éveille une Tunisie anesthésiée d’une tête décroisée, placée au bout d’un excellent coup franc de Khazri. Comme contre les Anglais, les hommes de Nabil Maâloul frappent à la première opportunité. Les Belges, eux, poursuivent leur show à l’américaine. Meunier, encore lui, dépose un centre sous les yeux de Yannick Carrasco, dont la volée frappe les gants du gardien tunisien. Juste avant la demi-heure, les Diables remontent dans leur Hummer, et appuient à fond sur l’accélérateur : il ne faut que quelques secondes pour passer d’une tête défensive de Boyata à un ballon envoyé par De Bruyne dans la course de Lukaku. Le contrôle est un peu trop long pour alourdir la marque, et les Aigles de Carthage en profitent pour prendre la main.

Repliée en perte de balle, comme si elle cherchait un second souffle, la Belgique laisse la Tunisie installer ses passes plus haut, et limiter les risques de contre ravageur. En quinze minutes et quatre frappes, les équipiers de Khazri croient en un nouveau scénario. Le capitaine des Aigles est omniprésent dans les parages d’un Vertonghen toujours trop lent à se retourner, et ses équipiers se mettent à rêver d’un retour au marquoir.

Les Belges, eux, poursuivent leur histoire. Courtois relance court, à l’espagnole, malgré un pressing adverse de plus en plus ambitieux. Une stratégie qui finit par payer, quand Meunier slalome devant son propre rectangle avant d’alerter Hazard, lancé plein axe dans sa configuration favorite. Eden alerte De Bruyne, qui pense plus à faire marquer Lukaku qu’à tenter une frappe croisée. La passe est trop longue, mais l’avertissement est lancé. Une soixantaine de secondes plus tard, Meunier récupère un ballon sauvé en catastrophe par un Maâloul amoureux du geste inutile, s’appuie sur De Bruyne et offre un doublé à Lukaku. Big Rom’ décoche son quatrième tir au but du Mondial. Et comme les trois précédents, il termine sa course au fond des filets. Sa moyenne sous Roberto Martinez grimpe à un but marqué toutes les 56 minutes. Il n’y a pas qu’Eddy Merckx qui sait battre le record de l’heure.

SUR LA ROUTE DE TUNIS

Au retour des vestiaires, la Tunisie garde ses ambitions, mais change son plan. La clé du rectangle belge est désormais cherchée dans les poches de Thomas Meunier, autour duquel les Aigles de Carthage combinent pour envoyer deux centres vers Khazri. Le ballon est tunisien, mais le territoire est belge. Les Diables, qui n’ont même pas besoin d’être dominés pour régner dans les espaces, profitent d’un jeu en triangle entre Witsel, Mertens et Alderweireld, et du pied droit millimétré de ce dernier pour renvoyer le suspense et les Tunisiens à la maison.

Biberonné au football de l’Ajax, Toby décoche un ballon à la Frank De Boer pour envoyer Hazard tutoyer le but. Le capitaine met sa domination technique au service du tableau d’affichage, et enchaîne un contrôle parfait de la poitrine, un crochet aérien et délicat, puis une frappe du gauche au fond des filets.

Puisque les statistiques s’équilibrent (14 tirs à 13 en faveur des Belges), Roberto Martinez libère Michy Batshuayi. Entre la 76e minute et le coup de sifflet final, le supersub de l’attaque nationale frappe six fois, souvent avec la complicité de Kevin De Bruyne (5 key-passes, meilleur belge). Il trouve un défenseur, la transversale et le gardien sur son chemin, puis dépose finalement au fond des filets un caviar délivré par Youri Tielemans, apparu sur la pelouse avec le naturel de ceux qui adaptent toujours le niveau de leur football au niveau de leurs coéquipiers.

Le plan de Nabil Maâloul marche enfin. Trouvé dans le dos de Vertonghen, Hamdi Naguez offre un but à Khazri. Malheureusement pour les Tunisiens, Thomas Meunier était déjà en train de ranger sa caméra. La Belgique a filmé son road-trip sur les boulevards offerts par ses adversaires du jour, avec des apparitions constantes de Lukaku et Hazard devant l’objectif. La bande-annonce du blockbuster national est envoyée sur les écrans du monde entier. Les Diables, eux, se préparent déjà à tourner l’épisode suivant. Ils savent que les suites sont souvent moins bonnes que l’opus original. Mais ils n’ignorent pas non plus qu’un road-trip se termine seulement quand les héros sont arrivés à destination.

Par Guillaume Gautier

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